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6. Analyse du jeu entre Genève et l’ARC

6.2 Analyse du jeu des acteurs entre Genève et l’ARC

6.2.1 Le processus de négociations

Le développement des transports publics est essentiel pour le canton de Genève. Comme la Confédération helvétique entend renforcer son intervention en la matière par le biais financier (fonds d’infrastructures), les autorités publiques genevoises décident de saisir cette opportunité en faisant un projet d’agglomération. Ceci implique que le projet d’agglomération du canton de Genève doit être soumis aux règles fixées par la Confédération helvétique car c’est cette dernière qui évalue la qualité des projets d’agglomération et accorde ses subventions d’infrastructures. L’une des contraintes importantes est le calendrier fixé par la Confédération : les crédits relatifs aux mesures d’infrastructures du projet d’agglomération sont délivrés par tranches quadriennales (2011 – fin 2014, 2015 – fin 2019 et au-delà). Le dépôt du projet doit donc s’effectuer selon ces échéances.

Une autre contrainte importante tient dans les critères relatifs à l’évaluation de la qualité du projet. Dans le cas de Genève, du point de vue de Berne, le projet d’agglomération genevois ne peut être considéré comme pertinent que s’il est transfrontalier. En même temps, comme nous avons montré, les autorités publiques genevoises ont bien la conscience que beaucoup de questions dont celle de mobilité ne peuvent être traitées qu’à l’échelle régionale transfrontalière. Compte tenu de ces facteurs, les élus cantonaux genevois dont le Conseiller

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Il s’agit d’une construction du processus a posteriori à partir de l’enquête de terrain (entretien, stage, document).

d’Etat d’alors Robert Cramer, rencontrent officiellement, pour la première fois, les élus locaux français pour leur demander de faire un projet d’agglomération ensemble.

Cependant, dès le départ, les élus cantonaux genevois et les élus locaux français n’ont pas la même définition du projet. Ceci est expliqué très clairement par un fonctionnaire genevois :

« Il faut voir les différentes approches entre les deux côtés. Donc côté suisse, c’est très basé sur l’organisation spatiale liée aux transports en commun. C’est vraiment le but. Parce que côté genevois, c’est l’urbanisation très compacte avec beaucoup d’espaces verts autour : il y a un espace central très dense. L’espace d’autour est une ceinture verte, [il s’agit de] la zone agricole qui n’est pas du tout urbanisée. Et côté français, c’est vraiment l’inverse, l’étalement… Donc ça a induit que les gens qui viennent travailler depuis l’extérieur utilisent en majorité leur voiture puisqu’il n’y a pas de transports en commun. Donc la politique en Suisse par rapport à ça c’est justement de régler tout ça, de pouvoir densifier ces zones françaises pour pouvoir y mettre des infrastructures de transports. Et côté français, eux, leur vision ce serait plutôt la coopération, c’est plus l’économie, le social … C’est vraiment deux visions complètement différentes » (extrait d’entretien).

Côté Genève, les élus cantonaux proposent de « faire semblant » de faire un projet d’agglomération transfrontalier pour obtenir des subventions de Berne et ensuite de voir

comment partager entre eux352. Concernant le contenu du projet, il est proposé de faire un

projet d’agglomération relevant des trois volets : mobilité, urbanisation, environnement. Il s’agit effectivement des trois thématiques correspondant à la demande de la Confédération et aux préoccupations de Genève.

Les élus locaux français comprennent très bien que Genève a besoin de leur participation pour réaliser ses objectifs, c’est-à-dire, obtenir des cofinancements d’infrastructures et étendre ses activités en territoires voisins. Ainsi répondent-ils que le projet défini par Genève ne les intéresse pas. Par contre, ils sont d’accord pour faire le PAFVG à condition que Genève tienne compte des problèmes propres aux territoires français frontaliers. En même temps, à l’initiative du maire d’Annemasse d’alors, Robert Borrel, une association politique s’intitulant l’Association Régionale de Coopération du Genevois (ARC) est créée en juillet 2002. Cette structure regroupe les collectivités françaises frontalières de Genève compétentes en matière

d’aménagement du territoire pour que celles-ci puissent « peser davantage dans les décisions

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les concernant, en particulier sur le plan transfrontalier »353. Sous l’influence de l’ARC, sept autres thématiques (formation, social, santé, culture, économie, agriculture, logement) sont ajoutées dans le « panier » du PAFVG sous forme de politiques de services. L’objectif

principal, comme nous avons analysé (c.f. 6.1.2), est de rééquilibrer les activités (dont

l’emploi et l’habitat) de part et d’autre de la frontière pour renforcer l’autonomie des

communes françaises vis-à-vis de Genève354.

Les élus cantonaux genevois acceptent la demande des élus locaux français. En décembre 2007, l’ensemble des partenaires français et suisses signent une charte d’engagement qui fixe les grandes principes d’organisation du territoire franco-valdo-genevois à l’horizon 2030 : créer des conditions permettant d’accueillir 200 000 habitants (50% en Suisse, 50% en France) et 100 000 emplois (70% en Suisse et 30% en France) nouveaux dans l’agglomération (c.f. 4.5). Surtout, concernant la construction de logements, les autorités publiques genevoises s’engagent à construire 2 500 logements par an. Le contenu du PAFVG comprend un schéma d’agglomération relevant des trois thématiques proposées par Genève et des politiques de services relevant des dix thématiques correspondant notamment à la demande des partenaires français. Il s’agit donc d’une addition de toutes les propositions des partenaires.

Depuis le janvier 2008, un PAFVG 1e génération355 entre dans une phase de mise en œuvre.

Un PAFVG 2e génération doit être déposé en juin 2012 pour concourir aux cofinancements

des infrastructures pour la tranche B (2015-2019). Force est de constater que les conflits de positionnement franco-genevois autour de la définition du projet et la question de clarification de la responsabilité des instances (Comité Régional franco-genevois et Comité de pilotage du PAFVG) semblent avoir été réglés lors de la signature de la Charte 2007. Or, ces questions reviennent d’une manière récurrente dans des réunions de travail au courant de 2009-2010. En

effet, il s’agit d’un moment où le PAFVG 1e génération se termine bientôt et il faut faire un

bilan sur son état de l’avancement avant que l’ensemble des partenaires signataires de la

Charte 2007 ne valident le PAFVG 2e génération.

Lors de la signature de la charte d’engagement en 2007, comme la démarche est de faire une addition de toutes les propositions des partenaires afin de « ne fâcher personne », l’absence d’un arbitrage politique permet de fédérer provisoirement le partenariat tout en laissant de

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Site d’internet d’Annemasse Agglo : http://www.annemasse-agglo.fr/grandes-actions-projets/transfrontalier/

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Cet objectif est clairement exprimé dans les entretiens auprès des élus de l’ARC (c.f. 6.1.1).

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côté certains problèmes liés à l’organisation de l’action collective. Cela alourdit les négociations en phase de mise en œuvre.

Sans mentionner toutes les difficultés de mise en œuvre du projet, notons que le « panier » du PAFVG est trop grand et que le projet n’est pas faisable du point de vue technique. Pour que le projet soit réalisable, toutes les propositions ne peuvent être traitées en même temps. Il est nécessaire de trancher la question « à quel horizon traiter quel objectif ». Cela pose effectivement des problèmes à ceux dont les propositions ne sont pas traitées dans un premier temps. Plus concrètement, lorsque les fonctionnaires genevois voient impossible d’avancer le projet d’agglomération (schéma d’agglomération et politiques de service) défini par la Charte 2007 dans un délai conforme au calendrier fixé par la Confédération suisse, ils s’inquiètent que l’objectif principal pour Genève (obtenir des cofinancements d’infrastructures) « tombe à l’eau ». Ils proposent donc de « mincir » le PAFVG, c’est-à-dire de désynchroniser les deux

composantes du PAFVG356 : le schéma d’agglomération avance en fonction de la date

demandée par la Confédération (un dépôt du projet 2e génération en juin 2012), car c’est sur

cette partie du projet que la Confédération accorde ses cofinancements d’infrastructures ; les politiques de services avancent à des rythmes variés et peuvent avoir une maturité

différente357. Concernant cette proposition, des difficultés liées à la faisabilité technique sont

mises en avant par les fonctionnaires genevois. Or, nous nous demandons si ce n’est pas issu d’une décision politique côté Genève. En effet, d’après un élu de l’ARC, après la signature de la Charte 2007, les élus genevois disent à l’ARC qu’ils ne sont pas trop intéressés aux politiques de services. Il est donc proposé que chacun s’implique dans son projet : c’est-à-dire, Genève s’engage dans le schéma d’agglomération, la France voisine s’implique dans les

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La cheffe de projet d’agglomération côté Genève ne veut s’occuper que du schéma d’agglomération. Le directeur du Service des affaires extérieures, étant le secrétaire général du CRFG côté Suisse, insiste sur la nécessité de clarifier le rôle du CRFG et celui du COPIL () renvoyer aux pages où vous donnez les définitions autour des politiques de services. Même si ces deux acteurs n’ont pas la même responsabilité, leurs propositions convergent devant une nécessité de désynchroniser le schéma d’agglomération et les politiques de services.

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Un élu local français nous explique qu’en effet, il existe aussi des raisons politiques derrière la proposition de désynchroniser les deux parties du PAFVG : « c’est pour des querelles internes politiques genevoises. Avant, Robert Cramer [homme politique suisse membre des Verts] a concentré tout le pouvoir [dans un seul département : département du territoire] et a eu les dix casquettes. Donc tout l’objet des élections genevoises de la droite genevoise, c’était de lui couper tout ça en morceau, et de démolir ce qu’il avait fait. Maintenant il se trouve qu’ils [l’aménagement du territoire et la coopération transfrontalière] sont en deux. Comme ils sont en deux, logiquement, le coprésident du PAFVG devrait être le président du Conseil d’Etat, quitte à ce qu’il change. Mais c’est la représentation de l’Etat. Ils [les élus du canton] n’ont pas osé de faire ça. Comme ils ont pas de confiance sur Mark Muller [homme politique suisse membre du Parti libéral], et ne veulent pas lui donner trop de pouvoir. C’est pourquoi maintenant c’est réparti entre Pierre-François Unger [homme politique suisse membre du Parti démocrate-chrétien] et Muller. » (extrait d’entretien).

politiques de services. L’analyse de faisabilité justifie la volonté politique genevoise de faire semblant faire un projet transfrontalier.

Selon les fonctionnaires genevois, la désynchronisation des deux parties du projet permet également de trancher une question d’organisation toujours non réglée : la clarification du rôle du Comité de pilotage (COPIL) du PAFVG et du Comité Régional franco-genevois (CRFG). En effet, même si la Charte définit d’une manière générale la responsabilité de chaque

instance (c.f. 4.5.6), en réalité, jusqu’à ce moment-là, cette question n’est jamais vraiment

tranchée (c.f. chapitre 7). Côté France, partant de sa définition du PAFVG, l’ARC veut que le

COPIL soit responsable à la fois du schéma d’agglomération et des politiques de services (sauf le domaine de santé relevant des compétences de l’Etat français). Alors que côté Genève, les fonctionnaires se trouvent progressivement devant une même option : le COPIL ne s’occupe que du schéma d’agglomération, et le CRFG pilote les politiques de services. Donc, lorsque les fonctionnaires genevois proposent de désynchroniser le schéma d’agglomération et les politiques de services, ils considèrent en corollaire nécessaire de diviser la responsabilité sur ces deux parties du projet.

Pour les élus de l’ARC, la proposition des fonctionnaires genevois est inacceptable. Ils ont l’impression d’être « trahis » puisque les autorités publiques genevoise ne font pas comme ce qui est signé dans la Charte 2007, c’est-à-dire, de s’engager non seulement dans le schéma d’agglomération, mais aussi dans les politiques de services. Ils craignent que les politiques de services ne soient abandonnés, et que finalement le PAFVG ne devienne qu’un prétexte permettant à Genève d’étendre ses activités en France et par conséquent de renforcer la dépendance des communes français vis-à-vis de Genève. Ceci va certainement à l’encontre de l’intérêt essentiel des communes françaises. Les élus de l’ARC insistent sur les dysfonctionnements du CRFG afin de justifier que ce dernier est incapable de piloter les politiques de services. Ils veulent que le COPIL soit responsable du schéma d’agglomération et des politiques de services et insistent la nécessité d’avancer les deux parties au rythme identique. Il faut souligner que le président de la Communauté de Communes du Genevois prend une position assez forte vis-à-vis de l’avancement des politiques de services. Lors d’une

réunion du COPIL, il refuse de valider le PAFVG 2e génération. Mais, il n’est pas suivi par

ses collègues de l’ARC, y compris Robert Borrel, président d’Annemasse Agglo, qui a

auparavant une position assez forte face à Genève (c.f. 6.1.1). La question de l’organisation se

pose encore. La prochaine étape est la signature du Projet d’agglomération de 2ème génération,