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Les répercussions de l’« exportation » de la crise du logement genevoise

3. Les dysfonctionnements de l’agglomération franco-valdo-genevoise

3.1 Le problème de logement

3.1.2 Les répercussions de l’« exportation » de la crise du logement genevoise

Depuis l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes, les effets-frontière sont atténués en matière de logements. C’est-à-dire, la frontière perd largement son rôle de limiter la « banlieurisation » des territoires périphériques. Dès lors, la pénurie de logements n’est plus uniquement un problème genevois. Avec l’autorisation de s’installer en France, la crise de logements est « exportée » dans les territoires voisins notamment français : Pays de Gex, Genevois haut-savoyard, Vallée de l’Arve, Chablais, et bassin annécien ainsi que Bellegarde. Ces territoires souffrent de la pénurie de logements et des conséquences multiples induistes (renchérissement du foncier, exclusion du marché du logement, etc.). On constate par

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« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série, pp.26.

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exemple, des taux de vacance très bas dans l’Ain (1,3%) et en Haute-Savoie (0,8%)168. Côté vaudois, le District de Nyon est à peu près dans la même situation. Avec une croissance annuelle de 7%, le District de Nyon connaît le deuxième taux de création d’entreprises le plus

élevé en Suisse169. En revanche, Nyon souffre aussi de l’explosion des prix de l’immobilier et

de la pénurie de logements.

Le phénomène de l’emprise foncière peut être appréhendé par plusieurs facteurs : la cherté et faible disponibilité des logements à Genève, les politiques cantonales en matière de logements et les politiques fédérales relatives à l’immigration. Nous les présentons ici plus précisément. Comme le montre G. de Buren (2007 : 108), en 1992, les autorités cantonales genevoises, très

inquiètes de la pénurie de logements, lancent la révision survenue de la Loi générale sur le

logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL). Dans cette révision, l’Etat de Genève décide de centrer l’offre subventionnée sur la classe moyenne inférieure au moyen d’une révision de la LGL. Par conséquent, la classe moyenne aisée occupant une partie du parc de logements sociaux est obligée de déménager. Pourtant, ces habitants genevois ont le choix entre un logement collectif en Suisse et un pavillonnaire en France. Cela conduit en partie à une vague d’émigration en France voisine.

La raréfaction des terrains constructibles et l’augmentation consécutive des coûts immobiliers à l’intérieur du canton rendent de plus en plus difficile d’avoir des résidences secondaires. D’autant que la construction des villas dans le canton de Genève est fortement contrainte par le Plan Directeur Cantonal. Par conséquent, de plus en plus de Genevois investissent dans les

communes françaises frontalières170. Concernant le nombre de logements secondaires, même

si celui-ci reste stable dans l’absolu, en réalité, il diminue jusqu’en 1999 et suit, depuis, une croissance très rapide (+ 2,3% par an) (Genevois, Bas-Chablais). Certains Genevois profitent des pouvoirs d’achat plus forts pour transformer leur résidence secondaire en résidence principale171.

Rappelons que sur le canton de Genève, le nombre de logements manquant correspond peu ou prou au nombre de frontaliers. A part la cherté et la pénurie de logements, la politique

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« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série, pp.26.

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Ibid.

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Le Genevois Haut-Savoyard est un territoire privilégié pour les résidents genevois.

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migratoire restrictive172 de la Confédération suisse contribue également à inciter les nouveaux arrivants dans la région à s’installer en France. En outre, certains employeurs proposent à leurs employés de se loger en France.

L’« exportation » de la crise de logements du canton de Genève génère des incidences suivantes dans les territoires voisins :

(1) Prix de l’immobilier en forte croissance: depuis 1998, le prix par mètre carré des

appartements et des maisons augmentent de manière considérable. Notons qu’au premier semestre 2003, la cherté du logement dans la partie française de l’agglomération est classée en catégorie 1, avec l’Ile-de-France et la Côte d’Azur. Entre 2000 et 2004, les prix des appartements anciens ont une hausse de plus de 60% dans les secteurs de Gex et de

Saint-Julien-en-Genevois, et plus de 70% dans le secteur d’Annemasse173. Désormais, le prix des

appartements anciens a une augmentation importante dans l’ensemble de l’agglomération franco-valdo-genevoise : entre 2000 et 2007, une hausse de 122% en Haute-Savoie, 106%

dans l’Ain, 75% à Genève, 38% dans le Vaud174. Toutefois, on peut noter que les prix varient

de manière importante d’un EPCI (Établissement public de coopération intercommunale) à un autre. Les Communautés de communes des Voirons et du Bas-Chablais sont les territoires où les logements (tout type confondu) sont les plus chers (autour de 2 000 euros le m²). Ceci s’explique notamment par leur proximité du canton de Genève, le principal lieu d’emploi. A Nyon, malgré les 520 nouveaux logements construits en 2004, il est quasiment aussi ardu de trouver un logement qu’à Genève. La rareté de logements ne cesse de faire grimper les prix de

loyers : plus de 2 800 CHF pour un 5 pièces et plus de 1 700 CHF pour un 3 pièces175. De

l’autre côté de la frontière, les loyers prennent l’ascenseur. A Divonne ou Ferney-Voltaire, le

mètre carré coûte quelque 3000 euros, et le moindre studio affiche un loyer de 500 euros176.

(2) Augmentation du coût de la vie: à part la hausse des prix immobiliers, les acquisitions

immobilières faites par les Suisses et les frontaliers font également augmenter de manière importante le coût de la vie.

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« Politique migratoire suisse qualifiée de plus en plus restrictive », 26 octobre 2010, L’Hebdo. Voir : http://www.hebdo.ch/politique_migratoire_suisse_qualifiee_de_plus_en_plus_67579_.html

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« La frontière en chiffres 2009 », Eco des pays de Savoie, hebdomadaire économique (2009). Hors série, pp.26.

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Ibid.

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« Les Genevois au bord de la crise de nerfs », 29 septembre 2005, L’Hebdo. Voir

http://www.hebdo.ch/les_genevois_au_bord_de_la_crise_de_21437_.html

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(3) Pénurie de logements sociaux177: sur le canton de Genève, l’offre de logements sociaux atteint à peine le niveau de la moyenne de l’agglomération franco-valdo-genevoise. Pourtant, le nombre de logements sociaux est en diminution spectaculaire depuis les années 1980. Ceci résulte de la forte densité du territoire cantonal d’une part, et de la sortie de nombreux logements du dispositif d’aide cantonale d’autre part. Depuis 1981, le nombre de logements sociaux du canton diminue de 43%. En 2003, la part des logements sociaux représente 22 770, soit 11% des logements du canton de Genève (53 logements sociaux pour 1 000 habitants). Les populations aux revenus modestes ont par conséquent une difficulté accrue à se loger à l’intérieur du canton. Le même phénomène peut être observé dans le District de Nyon. Puisque dans le canton de Vaud, la construction de logements sociaux est encore plus faible178.

Dans la partie française de l’agglomération franco-valdo-genevoise, on peut noter que le Bassin bellegardien a un nombre d’Habitation à loyer modéré (HLM) largement supérieur à la moyenne de l’agglomération : 112 logements sociaux pour 1 000 habitants. Ceci est lié à son histoire industrielle ainsi qu’à la présence d’une population aux revenus modestes. Depuis 1990, le volontarisme politique des élus français contribue à la hausse rapide des logements sociaux, comparée à la croissance de la population. D’une manière générale, le parc accroît à un rythme régulier et assez rapide (+ 3,8% par an dans la partie haut-savoyarde de l’agglomération). Ce rythme est largement au-dessus la croissance démographique dans les communes françaises frontalières de Genève. Or, la croissance de logements sociaux côté France est insuffisante pour récompenser la baisse du parc côté suisse. Par conséquent, à l’échelle de l’agglomération franco-valdo-genevoise, l’offre de logements sociaux s’adapte de moins en moins à la demande toujours en hausse.

Ces trois conséquences que nous venons de présenter débouchent sur l’exclusion de certains ménages locaux ayant un salaire modeste du marché de l’immobilier. Ils ont du mal à se loger à un prix accessible et à payer la consommation quotidienne dont le prix est également en hausse. En même temps, le fait que la production de logements soit beaucoup plus importante dans la partie française de l’agglomération fait l’objet principal des problèmes de voisinage.

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La définition de « logement social » est différente de part et d’autre de la frontière. En France, il s’agit de logements dont la construction et la gestion sont confiées à des organismes particuliers (notamment Office public d’aménagement et de construction (OPAC)). Côté suisse, un logement est considéré comme social lorsque son investisseur bénéfice des subventions du canton (« aide à la pierre ») pour construire ou rénover des logements dont le niveau de loyer est accessible pour de nombreux ménages en situation financière modeste (Canton de Genève, SED Haute-Savoie, 2004 : 21).

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Les élus locaux français ont une crainte de voir leurs communes devenir cité-dortoir. Nous y reviendrons dans le chapitre 6.