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Le choix stratégique différent, et partiellement en concurrence

5. Le passage de la non-coopération à la coopération entre Genève et les collectivités

5.4.2 Le choix stratégique différent, et partiellement en concurrence

Pour Genève et Vaud, le rapprochement politique à l’échelle de la métropole lémanique reste limité. Ceci peut être notamment appréhendé par le fait que les deux cantons sont en concurrence dans plusieurs domaines, comme nous venons d’analyser. En effet, les deux cantons cherchent à se positionner au centre d’une région élargie. Mais, ayant des positions géographiques différentes, les deux cantons n’ont pas le même choix stratégique :

« Le canton de Vaud constitue une véritable plaque tournante du système des concordats en Suisse occidentale. A l’opposé, le canton de Genève est plus faiblement intégré dans cette forme de collaboration intercantonale » (Comina, 2006 : 181, cité par De Buren, 2007 : 38).

Le problème de Genève, c’est-à-dire l’exiguïté du territoire et la manière dont l’économie locale est asphyxiée par les frontières, ne sont pas ressenties de manière comparable à Lausanne. Pour Genève, compte tenu la compétitivité de Lausanne, la réponse pertinente apportée aux problèmes régionaux est essentiellement centrée sur l’agglomération

franco-genevoise. Quant à Vaud, l’horizon est différent. Etant promoteur de la collaboration

horizontale et verticale338, « … le canton de Vaudjoue plutôt sur sa position centrale, au

croisement des axes est-ouest et nord-sud, pour développer ses relations tous azimuts – Genève n’étant qu’un partenaire parmi d’autres » (Comina, 2006 : 185, cité par De Buren, 2007 : 47).

La divergence entre choix stratégiques genevois et vaudois peut être observée à deux niveaux :

(1) Au niveau de l’élaboration des projets d’agglomérations : pour répondre à la politique des agglomérations de la Confédération, le canton de Vaud lance deux projets d’agglomération : celui de Lausanne-Morges (PALM) et celui d’Yverdon(AggloY). Quant au projet

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Le canton de Vaud est actif sur le plan de la décentralisation qui caractérise son dispositif (c.f. la nouvelle Constitution vaudoise du 14 avril 2003).

d’agglomération de Genève, bien que le PAFVG soit qualifié de franco-valdo-genevoise, la coopération est pour l’instant encore essentiellement franco-genevoise. Seule une petite partie

du canton de Vaud339 est associée au PAFVG. De manière générale, le canton de Vaud reste

observateur à cette échelle.

(2) Au niveau institutionnel, à l’échelle de l’agglomération franco-valdo-genevoise, le canton de Vaud, se positionne comme observateur au sein du CRFG. Comme De Buren (2007 : 48)

le souligne, « Ceci explique en partie que depuis Lausanne, la coopération

franco-valdo-genevoise soit perçue comme un chantier, au même titre que les projets en cours dans le Chablais ou dans le Jura autour de la Conférence TransJurassienne (CTJ)». Tandis qu’il apparaît que pour Genève, le CRFG a une importance plus stratégique par rapport au Conseil du Léman reposant sur une région plus vaste.

Conclusion du chapitre

Partant du constat de E. Friedberg que la coopération est un mythe parce que contre la nature humaine, ce chapitre visait à expliquer pourquoi Genève et les collectivités voisines, tournées dos à dos pendant longtemps, s’engagent à coopérer à partir du début des années 2000 : d’abord au travers du comité stratégique transfrontalier DTPR et du CEVA, ensuite de manière globale dans le PAFVG.

Il a été démontré, en premier temps, que l’agglomération franco-valdo-genevoise est placée devant de différentes mutations multidimensionnelles et multi-échelles combinées qui font émerger de nouveaux enjeux pour cette agglomération. Désormais, cette dernière se voit obtenir une double importance stratégique en tant que métropole émergente et lieu de laboratoire pour l’intégration européenne.

En second temps, comme nous l’avons montré, les autorités publiques de part et d’autre de la frontière se trouvent devant de nouvelles opportunités et contraintes. Les conditions de coopération transfrontalière connaissent des évolutions. Nous en identifions trois les plus essentielles : (1) plusieurs facteurs génèrent la prise de conscience des enjeux régionaux transfrontaliers par les autorités publiques genevoises en matière d’aménagement : face à des

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Le canton de Vaud n’a pas une présence forte dans le PAFVG. Puisque c’est essentiellement le District de Nyon qui a plus d’intérêt de participer au PAFVG.

concurrences acharnées, Genève risque de perdre son poids dans les différents secteurs internationaux constituant le soubassement de son développement ; l’application des accords bilatéraux dont l’ALCP en juin 2002 renforce l’interdépendance entre Genève et ses périphéries étrangères et rend obligatoire la coopération transfrontalière ; l’échec de l’intégration de la Suisse à l’Union européenne en 1992 réaffirme la nécessité de la coopération transfrontalière pour le canton de Genève ; avec la montée en puissance des collectivités françaises, Genève risque de perdre sa centralité économique à l’échelle régionale. (2) Sous l’influence de la construction de l’Europe et de la décentralisation, les conditions permissives sont améliorées dans la mesure où d’une part, les collectivités territoriales notamment côté France deviennent des acteurs à part entière de la coopération transfrontalière franco-valdo-genevoise, et d’autre part certains dispositifs juridiques relatifs à la coopération transfrontalière sont mis en place par les autorités communautaires. Cette évolution constitue un élément favorable qui rend possible la coopération transfrontalière franco-valdo-genevoise. (3) L’apparition des politiques incitatives nationale et européenne fournissant des soutiens financiers constitue un élément d’opportunités profitable pour la coopération transfrontalière franco-valdo-genevoise. La politique des agglomérations, lancée en 2001 par la Confédération suisse, consiste à déclencher le PAFVG. Celle-ci est accompagnée par les politiques côté France : coopération métropolitaine (Etat français), grands projets (région Rhône-Alpes) et conventions départementales (départements de l’Ain

et de la Haute-Savoie). Il faut souligner que le programme communautaire INTERREG donne

un soutien financier non négligeable au PAFVG.

Ainsi, le passage de la non-coopération à la coopération entre Genève et les collectivités voisines résulte de leurs calculs et reflète leur rationalité face à la combinaison de ces trois types d’évolutions. Il faut souligner que ces évolutions renvoient effectivement à l’«ouverture » de la frontière qui a des effets paradoxaux sur l’agglomération genevoise. D’un côté, l’« ouverture » de la frontière permet à l’agglomération franco-valdo-genevoise d’affirmer sa double importance stratégique à la fois comme une métropole émergente et charnière entre la Suisse et la France, et comme un laboratoire pour l’intégration européenne. C’est pourquoi l’agglomération franco-valdo-genevoise se trouve devant de nouvelles opportunités offertes par les Etats suisse et français, ainsi que l’Union européenne. De l’autre côté, ce processus, au travers de l’application des accords bilatéraux, renforce l’écart entre le bassin de vie transfrontalier et les espaces politico-administratifs segmentés, et introduit une pression globale de la croissance démographique et économique dans

l’agglomération franco-valdo-genevoise. Bref, la coopération transfrontalière s’impose à la fois comme une obligation et comme une opportunité à saisir pour Genève et les collectivités voisines.

L’analyse que nous venons de conclure est centrée sur une dépendance des acteurs (notamment autorités publiques cantonales genevoises) vis à vis du contexte d’action. Les mutations de ce dernier conduit les acteurs politiques genevois à prendre en compte de la réalité de l’agglomération franco-valdo-genevoise et à réévaluer la situation dans laquelle se situe le canton de Genève. Cependant, la dernière partie du chapitre nous permet de nuancer notre propos. Le fait que les élus cantonaux genevois gardent une certaine marge de manœuvre pour faire un choix stratégique entre la « Métropole lémanique » et la « Regio genevensis » malgré l’obligation de coopérer. Comme le montre E. Friedberg (1993 : 271) : les acteurs ont une autonomie par rapport au contexte d’action, ils n’en dépendent jamais complètement.

Dans les deux chapitres suivants, nous voulons développer davantage notre raisonnement organisationnel en utilisant une autre entrée : l’interdépendance entre différents partenaires du PAFVG. Dans le chapitre 6, l’analyse peut être qualifiée d’horizontale, car elle portera sur le jeu de pouvoir entre les autorités publiques cantonales de Genève et l’ARC regroupant l’ensemble des EPCI français limitrophes. L’analyse du chapitre 7 abordera la relation verticale entre les collectivités au sein de l’agglomération franco-valdo-genevoise et les Etats concernés. En même temps, nous n’allons pas abandonner la frontière dans nos analyses. Cette dernière constitue un élément essentiel du contexte d’action qui continue d’influencer la rationalité des partenaires.