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La réorientation des politiques d’aménagement du territoire en Suisse et en France

5. Le passage de la non-coopération à la coopération entre Genève et les collectivités

5.2 Les mutations changent la donne

5.2.4 La réorientation des politiques d’aménagement du territoire en Suisse et en France

Les mutations supranationales et transnationales que nous venons de montrer ont des effets directs sur les politiques d’aménagement du territoire en Suisse et en France, comme dans les autres pays. La Suisse et la France n’ont pas la même orientation en matière d’aménagement. Pourtant, à partir de la fin des années 1990, les deux systèmes d’aménagement connaissent des réorientations face à des nouvelles réalités socio-économiques et urbaines. Comme nous allons l’expliquer plus loin, les agglomérations deviennent l’objet central de la politique d’aménagement dans les deux pays. Dans la foulée, la Suisse et la France mettent en place des politiques incitatives par le biais du soutien technique et financier afin de stimuler et d’accompagner le développement des agglomérations.

La politique d’aménagement du territoire en Suisse

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En effet, l’Union européenne n’a pas des responsabilités directes en la matière. Paradoxalement, le traité de Rome met en avant la nécessité de « réduction de l’écart entre les différentes régions et du retard des moins favorisées » (Traité de Rome, cité par Merlin, 2002 : 344).

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Pour plus d’informations sur la participation du canton de Genève et de la Confédération suisse au programme INTERREG : c.f. le site d’internet du Service des affaires extérieures du canton de Genève : http://ge.ch/dares/affaires-exterieures/programme_interreg-1086.html, et G. de Buren (2007 : 36-38).

En Suisse, comme dans d’autres pays, l’aménagement du territoire repose sur les particularités nationales qui relèvent de multiples dimensions (géographique, politique, économique, sociale, historique, etc.). Comme le territoire suisse ne représentent qu’environ 13 000 kilomètres carrés, l’exiguïté des espaces habitables est toujours et de plus en plus le problème central de l’aménagement. La pression de l’urbanisation est d’autant plus importante que la Suisse est très attractive à l’échelle mondiale sur le plan économique. En contrepartie, une ligne directrice écologique trouve toute une justification dans un tel contexte. Cette dimension écologique se traduit par un contrôle de l’usage des espaces agricoles fournissant aux citoyens les ressources alimentaires, ainsi qu’une protection des espaces naturels et paysagers permettant de développer le tourisme constituant l’une des activités essentielles de l’économie suisse.

La politique d’aménagement suisse ne voit le jour que tardivement. Ceci résulte partiellement du fait de l’opposition fédéraliste qui craint un interventionnisme centralisateur (De Buren,

2007 : 19). En 1969, l’introduction dans la Constitution fédérale de l’article sur

l’aménagement territorial accorde à la Confédération suisse la compétence d’établir une

législation limitée aux principes. Le 22 juin 1979 est adoptée la Loi fédérale sur

l’aménagement du territoire (LAT). Le 2 octobre 1989, une ordonnance arrive pour préciser

les modalités de l’application de la LAT: ce sont essentiellement les cantons édictent une

législation d’application de la LAT. Les cantons délèguent également une partie de compétences aux communes. En effet, cette approche plutôt ascendante permet aux cantons d’avoir des marges de manœuvre importantes pour définir la densité réglementaire et la répartition des compétences à l’intérieur des cantons, c’est-à-dire entre canton et communes. Quant à la Confédération, elle doit assurer trois grandes tâches : premièrement, elle doit se limiter à édicter les principes. Deuxièmement, elle doit encourager et coordonner l’aménagement cantonal. Troisièmement et enfin, la Confédération doit faire respecter les buts et les principes inscrits dans la LAT dans l’accomplissement des tâches relevant de ses compétences.

Partant des particularités du territoire suisse que nous avons déjà expliquées, la LAT, qui repose sur un esprit protecteur, insiste surtout sur l’utilisation du sol mesurée. En effet, cette loi n’est pas traduite par un plan d’aménagement au niveau national. Par contre, trois instruments complémentaires sont mis en place : les conceptions et plans sectoriels de la Confédération (article 13) ; les plans directeurs cantonaux (article 6-12) et les plans d’affection (article 14-27) (De Buren, 2007 : 20).

Depuis les années 1990, une nouvelle politique fédérale en matière d’aménagement du territoire se dessine pour s’adapter à des mutations socio-économiques d’une part et à des conjonctures dont la crise des finances publiques d’autre part.

Ainsi, cette nouvelle politique d’aménagement doit pouvoir répondre aux nouvelles exigences de l’urbanisation, dont les tensions entre l’espace institutionnel et l’espace fonctionnel. En même temps, la crise des finances publiques provoque la préférence des projets à la planification directrice. Ainsi, la Confédération suisse emprunte à l’expérience française et allemande en appliquant la démarche de politique incitative en matière d’aménagement des

agglomérations304.

Ces deux conditions débouchent enfin sur la politique des agglomérations en 2001. La

Confédération souhaite « dorénavant intégrer davantage la problématique des

agglomérations dans ses politiques sectorielles et encourager la réalisation de projets novateurs par le biais d’une politique incitative plus ciblée »305. Il s’agit « d’une politique incitative basée sur la réalisation de projets modèles, en accordant son soutien technique et financier aux projets novateurs » (de Buren, 2007 : 23). Le souci du trafic est en toile de fond. En outre, la Confédération cherche à améliorer la coopération horizontale (entre les villes) et la coopération verticale (entre les trois échelons institutionnels suisses). La Conférence tripartite sur les agglomérations (CTA) et les projets d’agglomérations constituent les deux outils essentiels de cette politique.

La politique d’aménagement du territoire en France

En France, l’aménagement du territoire commence officiellement après la Seconde Guerre mondiale (Merlin, 2002). Comme en Suisse, la politique d’aménagement de la France connaît aussi des évolutions qui méritent d’être soulignées.

L’aménagement du territoire hexagonal, se structurant dans les années 1950, a pour objectif de mener des réponses aux conséquences de la centralisation ainsi que de mieux répartir des activités sur l’ensemble du territoire français (Merlin, 2002 ; De Buren, 2007). Plus concrètement, il s’agit d’implanter des activités économiques en province. Cette politique peut être appréhendée comme le corollaire de la décentralisation politico-administrative (De

304

Conseil fédéral, 2001, Politiques des agglomérations de la Confédération, pp.28

305

Concernant la politique des agglomérations, voir :

Buren, 2007 : 27). L’année de 1963 peut être considérée comme le véritable départ de l’aménagement du territoire en France, lors de la création, à l’initiative du général de Gaulle, de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) (ibid.). Dans les années 1965-1970, le programme des « métropoles d’équilibre » est mis en place : l’Etat français entend de contrebalancer l’influence de Paris et de réorganiser le niveau régional en le hiérarchisant à travers les huit ensembles urbains majeurs (Ascher, 1995 : 16).

Suite à la montée en puissance de l’Europe communautaire, un changement d’échelle s’impose comme un enjeu fort pour les Etats membres de l’Europe. Intégrées dans un réseau beaucoup plus large, les agglomérations françaises doivent faire face à une forte concurrence entre les métropoles européennes. Ayant une « compétitivité » importante, Paris devient un atout pour l’hexagone. Ce changement de logique a des effets importants pour la politique de l’aménagement du territoire. Cette politique passe d’une politique redistributive à celle de mise en valeur des potentiels locaux en intégrant les niveaux environnementaux, de développement durable et de qualité de vie. En 1995, la loi d’orientation pour l’aménagement du territoire instaure les schémas national et régionaux d’aménagement du territoire. La volonté d’une meilleure organisation du territoire national (cohérent, solidaire et durable) se traduit par un renouvellement du corpus législatif entre 1999 et 2000 : (1) La loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (Loi LOADDT ou Loi Voynet) du 25 juin 1999 propose deux nouveaux dispositifs contractuels : le projet d’agglomération concernant les aires urbaines et le projet de pays pour l’espace rural ; (2) La loi relative à l’organisation et à la simplification de la coopération intercommunale du 12 juillet 1999 (Loi Chevènement) réorganise la coopération intercommunale par trois types d’établissements publics (EPCI) : la communauté de communes, la communauté d’agglomération et la communauté urbaine ; (3) La loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain du 13 décembre 2000 (Loi SRU) refond les outils de planification : les Schémas directeurs (SD) sont remplacés par les Schémas de cohérence territoriale (SCOT), les Plans d’occupations du sol (POS) font place aux Plans locaux d’urbanismes (PLU). Dans ce mouvement, la DATAR est remplacée en 2005 par la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à la compétitivité des territoires (DIACT). En 2003 est lancé un appel à coopération

métropolitaine, à l’initiative de l’Etat français portant constat que « les grandes villes

démographique, mais sont peu affirmées quant à leurs fonctions économiques »306. Cette politique vise à inciter « une forte volonté politique » à développer les fonctions supérieures dites « métropolitaines » à travers une « coopération métropolitaine souple » pour développer le rayonnement des grandes villes françaises. La candidature franco-valdo-genevoise est retenue avec 14 autres candidatures, dont 8 transfrontalières.

La convergence

Nous avons vue que la Suisse et la France ont initialement des orientations politiques d’aménagement très différentes voire opposées : la Confédération suisse joue essentiellement un rôle de coordinateur des intérêts divers, alors que l’Etat français met en avant l’intérêt général qui se traduit par la planification du territoire nationale (Meyer, 1995, cité par de Buren, 2007 : 31). Ceci est sans doute lié à la différence fondamentale entre le fédéralisme et le centralisme.

Toutefois, depuis que les mutations socio-économiques et la métropolisation s’imposent, les politiques d’aménagement des deux pays se réorientent en convergeant sur quelques points communs.

La convergence se trouve d’abord au niveau des enjeux : les dynamiques métropolitaines dépassent les maillages institutionnels et rendent obsolète l’échelle des communes. Les autorités publiques suisses et françaises ont toutes une conscience des problèmes résultants de l’écart entre les espaces politiques et les espaces quotidiens. En même temps, la mondialisation et la construction de l’Europe obligent une prise de conscience du jeu concurrentiel généralisé entre des agglomérations. La convergence se trouve également dans des réponses, dont la coopération entre des institutions au sein d’une agglomération. Ceci constitue l’enjeu essentiel pour renforcer la « compétitivité » des agglomérations. Enfin, la convergence est instrumentale (De Buren, 2007 : 31). La Suisse et la France mènent des

politiques incitatives qui visent à promouvoir un développement « durable » des

agglomérations, préservant la qualité de vie des habitants tout en réduisant les effets négatifs de l’étalement urbain et de l’exclusion sociale (ibid.).

306

CRFG, 2007, Projet d’agglomération franco-valdo-genevois, annexe n°8 : le Projet de Coopération métropolitaine.

Nous voulons attirer l’attention sur le fait que ces politiques incitatives n’exclurent pas les agglomérations transfrontalières. Ceci est illustré par excellence par l’agglomération franco-valdo-genevoise qui reçoit les subventions dans le cadre du projet métropolitain en France et du projet d’agglomération en Suisse. La convergence des politiques d’aménagement en France et en Suisse contribue à favoriser la construction de l’agglomération franco-valdo-genevoise.