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TROISIEME PARTIE : PRESENTATION DES RESULTATS

Ecart 33 Fonction liée aux récompenses et punitions 3 9

1. Les Rapports Epistémiques

1.1. Etudes de cas

1.1.2. Yacine « veut devenir intelligent ! »

Yacine est un garçon âgé de 6 ans et 9 mois. Il est fils unique. Son apparence physique est en adéquation avec son âge. Durant l’entretien, il adopte une attitude très sérieuse qui témoigne d’une grande assurance. Il pose des questions pour s’assurer de sa bonne compréhension des

questions et prend le temps de réfléchir avant de répondre. Sa mère le décrit comme un garçon très vif et intelligent.

Les parents de Yacine sont issus d’un milieu socio-économique que nous qualifions de défavorisé-moyen. Ils sont relativement âgés par rapport à la moyenne des parents interviewés (48 ans pour la mère et 51 ans pour le père) et ont tous les deux un niveau scolaire limité à des études secondaires. La mère de Yacine ne travaille pas et son père est fonctionnaire dans la compagnie des eaux et assainissement. Les parents adoptent un style éducatif « stimulant ». Ils consacrent beaucoup de temps à Yacine et lui proposent régulièrement des activités extra-scolaires. Il existe une forte connivence entre les deux parents, tous les deux très impliqués dans l’éducation de leur fils. Ils partagent les mêmes principes éducatifs et la même vision de leur enfant. La mère décrit son fils comme un enfant sociable, recherchant constamment la compagnie des autres enfants. « Il a beaucoup d’amis », « il aime beaucoup inviter ses copains à la maison pour faire les devoirs ensemble », dit-elle.

C’est le père qui assure le suivi scolaire car Yacine refuse d’étudier avec sa mère. Globalement, le style éducatif parental est de type « stimulant », cependant, la mère adopte souvent une attitude hyper-protectrice vis-à-vis de son enfant : elle insiste pour assister tous les jours à la récréation pour surveiller son fils. Yacine trouve les ressources nécessaires pour s’émanciper vis-à-vis de sa mère grâce à ses modèles identificatoires. « Le sentiment de

dépassement, le rejet de l’infans, amènent l’enfant, grâce à ses modèles, à se tourner vers ce qu’il sera, à rechercher son identité du côté de l’image de ce qu’il fera quand il sera grand » (Malrieu,

1988, 14). Le modèle de Yacine est son père « je veux devenir comme mon père et travailler dans la facture de l’eau, je veux devenir ingénieur». Nous relevons ici un paradoxe à travers l’inscription de Yacine dans la lignée de son père, mais également son droit à s’émanciper par le biais des études et du savoir. Yacine repère le lien entre le métier d’ingénieur et le travail de son père, pourtant employé comme ouvrier. Il veut rester fidèle à son père (en faisant le même travail) mais veut en même temps faire des études (et s’accorder la possibilité de le surpasser).

Parallèlement, son désir de se détacher de sa mère se joue à travers l’école et l’espace de socialisation qu’elle procure. Nous retrouvons ce désir d’émancipation chez Yacine dans l’épreuve des histoires à compléter. Dans son récit, il fait allusion à plusieurs reprises à la possibilité que se donne le héro de grandir et partir dans un autre pays, s’offrant ainsi tous les jouets qu’il désire. Nous pensons que ce processus d’autonomisation est rendu possible par le biais de l’école et du savoir et plus particulièrement de ses expériences de socialisation.

Pour lui, l’école sert à devenir intelligent et lui permet de « connaitre les secrets ». Plus tard, il veut devenir ingénieur et dit être motivé par l’envie « d’inventer des choses ». Freud (1905) considère que la curiosité (entendre par là, la curiosité sexuelle) est éveillée chez l’enfant par l’exploration de son propre corps, le désir de connaître les différences de sexe et surtout de savoir « comment on fait les enfants ? » D’après l’auteur, c’est cette curiosité qui sera à l’origine des théories sexuelles infantiles et donc des prémices de l’intelligence chez l’enfant. Elle va être le moteur de la pulsion de savoir qui utilise comme énergie « le désir de voir » permettant par la suite à l’enfant « d’observer, d’imaginer, voire même de créer ». Dans sa quête d’émancipation, Yacine va alors investir les savoirs sous une dimension sociale qui peut être considérée comme « objet transitionnel ». Dans ce sens, Hatchuel (2005) explique comment l’enfant va investir à l’école « des objets de savoirs socialisés » et non plus personnels.

Du reste, nous nous demandons comment cet enfant couvé par sa mère, a-t-il réussi à s’autonomiser ? Qu’est ce qui, dans son éducation, lui donne les moyens de s’émanciper malgré l’hyper-présence de sa mère? Nous faisons l’hypothèse que c’est la qualité de l’amour parental et la sécurité affective que les parents procurent à l’enfant qui vont permettre à Yacine de s’investir à l’école. La figure identificatoire du père semble, dans ce cas, constituer un troisième élément possible, non négligeable, d’autant que ce père est également impliqué dans l’accompagnement scolaire de son garçon : « C’est le père qui assure le suivi scolaire de Yacine ». Dans ce sens, ce sont les apprentissages relationnels et affectifs qui vont amener l’enfant à adopter cette posture réflexive qui va l’amener à élaborer des mobiles identitaires (Charlot, 1992). En effet, les parents de Yacine lui offrent la possibilité de se construire à travers des stimulations variées : espace de parole pour l’enfant, jeux pratiqués avec l’enfant et activités extra-scolaires. Ben Salem (2009) explique comment l’entrée à l’école marque un tournant important dans la socialisation de l’enfant tunisien. Considéré avant son entrée à l’école comme un réceptacle passif, il devient désormais un acteur de sa propre socialisation et en pleine mesure de confronter son propre point de vue à celui de ses parents.

Pour Yacine, apprendre repose sur une activité intellectuelle soutenue qui, comme il l’espère, devrait lui permettre de développer son intelligence « je veux apprendre pour devenir intelligent et tout savoir ». Il adopte une posture réflexive « je réfléchis et puis quand je rentre à la maison, je fais les choses auxquelles j’ai réfléchies ». Il est capable de développer de véritables stratégies d’apprentissage. Ce qui appuie également sa position d’acteur dans le travail scolaire. Pour lui, travailler à l’école, c’est acquérir des compétences et les mettre à l’oeuvre à l’école.

Dans ce sens, son rapport à l’apprendre passe par « un processus de distanciation » (Charlot, 1992).

Pour son bilan de savoir, il dit avoir appris les choses les plus importantes tout seul « par les idées ». Yacine comprend et donne du sens aux apprentissages puisqu’il met en lien le métier qu’il veut exercer plus tard et les disciplines scolaires comme les sciences et les mathématiques. Il confère également « une fonction socio-culturelle » à l’école et au savoir « plus j’étudie bien à l’école et plus je pourrai lire des livres difficiles ». Il évoque par ailleurs et de manière récurrente les contenus liés à l’apprentissage et aux disciplines scolaires. Apprendre, signifie pour Yacine s’approprier les objets intellectuels ou « objet-savoir » à travers « le processus de distanciation », spécifique du rapport épistémique au savoir et décliné sous forme « d’objectivation » et « de

régulation » des savoirs de type formatif (Charlot et al. 1992). Parmi les différentes figures de

l’apprendre, Charlot (1992) note l’importance de la rencontre avec les objets savoirs (pour Yacine, il s’agit des constructions et des livres) et des activités à maîtriser (apprendre à lire et à composer des mots, apprendre à construire un objet, etc.)

L’analyse textuelle révèle un discours très riche et dépourvu d’hésitations. Yacine prend le temps de réfléchir avant de répondre et utilise fréquemment les verbes actifs « je veux », « je peux » qui marquent sa détermination à apprendre ainsi que son positionnement en acteur dans l’activité d’apprentissage.

De plus, les résultats scolaires de Yacine et sa progression tout au long de l’année illustrent la manière dont il s’est saisi des possibilités offertes par ce nouvel environnement qu’est l’école. Yacine semble également entretenir de très bonnes relations avec ses pairs et c’est notamment grâce ces interactions que cet enfant unique a pu élaborer son rapport à l’apprendre basé sur l’appropriation des modes relationnels. De fait, ses relations intenses avec ses pairs représentent encore une forte stimulation dans le savoir car c’est en même temps un moyen d’être mieux intégré dans le groupe des pairs. Ainsi, les interactions sociales vont permettre à Yacine de mettre à l’œuvre « le processus d’objectivation » susceptible de donner du sens à ses expériences : Yacine fait beaucoup référence au travail en groupe avec ses camarades de classe et les considère comme des temps privilégiés.

Le cas de Yacine renvoie à la conception du groupe de Wallon (1952), à savoir, des relations affectives entre individus médiatisées par des contenus d’activités. Malrieu & Malrieu (1973) enrichissent cette idée avec l’hypothèse que le sujet construit son identité, sa personnalité

et sa conscience de soi par la médiation des relations interpersonnelles dans le groupe « dans une

dialectique d’identification et d’individuation délibérée » (Malrieu & Malrieu, 1973, 26).

Au demeurant, l’analyse singulière de ce cas nous permet de mettre en lumière l’importance « des processus de distanciation-régulation », nécessaires à l’enfant pour construire un rapport épistémique au savoir. Ce rapport est fondé sur des mobiles identitaires qui reposent sur un travail de subjectivation (Malrieu 1976). Celle-ci se traduit notamment par un positionnement du sujet comme acteur dans son expérience scolaire, mais également dans son aspiration à l’autonomie.