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Dans la conception de Kellerhals et Montandon, « l’éducation désigne l’ensemble des

actions que divers agents sociaux entreprennent délibérément pour intégrer l’enfant à la vie sociale. Elle représente une partie du processus de socialisation, terme qui englobe également les influences non volontaires, souvent inconscientes que le milieux exerce sur l’enfant ».

(Kellerhals et Montandon, 1991, 14). Nous envisageons à l’instar de Malrieu l’influence du milieu dans le cadre des relations interpersonnelles grâce auxquelles le sujet élabore des attitudes de sociabilité, à la fois d'attachement et de rejet. Pour l’auteur l’éducation et la socialisation sont deux concepts étroitement liés. Ainsi, « l’apprentissage des conduites

culturelles est lié dans la disposition de l’enfant à devenir attentif aux messages d’autrui et à lui faire partager ses propres sentiments ou intentions » (Malrieu et Malrieu, 1973, 8).

Kellerhals et Montandon (1991) ont identifié quatre composantes du processus éducatif : les objectifs et finalités des parents, leurs techniques pédagogiques, les rôles éducatifs et la coordination entre les agents de l’éducation. Dès lors, l’ensemble des actions entreprises par les différents acteurs sociaux fonde une partie du processus de socialisation de l’enfant. Néanmoins, le processus d’éducation, les influences du milieu de vie ainsi que les différentes composantes du processus éducatif peuvent entretenir selon les circonstances des rapports de complémentarité ou de conflits. Il en résulte que les effets de l’éducation diffèrent souvent des intentions éducatives. Les deux auteurs distinguent également quatre domaines selon lesquels le processus éducatif s’opère : l’acquisition des aptitudes spécifiques (les savoirs), l’intériorisation des croyances et des valeurs (la morale), l’acquisition des normes qui régulent les relations interpersonnelles (les techniques d’interaction) et l’appropriation des symboles de l’identité sociale (les marqueurs d’identité).

Il en découle que le processus éducatif conjugue différents aspects de la vie affective et relationnelle de l’enfant ainsi que les dimensions liées aux objectifs éducatifs à transmettre selon les stratégies éducatives parentales.

4.1. Valeurs, normes et stratégies éducatives

Pour Pourtois et Desmet (2000), il n’y a pas d’éducation sans valeur. « Toutes les

pratiques éducatives des parents exprimeront une prétention à atteindre les valeurs auxquelles ils croient » (Pourtois et Desmet, 2000, 71). Pour illustrer toute la complexité de l’acte

éducatif, nous nous référons à Durning (1995) qui explique comment représentations, valeurs et pratiques peuvent être intrinsèquement liées dans le processus éducatif et propose cette définition : « Elever des enfants est une pratique finalisée qui associe des valeurs éducatives,

des représentations relatives à l’action à mettre en œuvre et des pratiques effectives en direction des enfants élevés » (Durning, 1995, 106). De son côté, Gayet développe la notion de

« norme » pour évoquer les valeurs et principes éducatifs : « Dans le domaine de l’éducation,

la notion de norme est le référent éducatif qui permet de juger de la valeur de toute conduite particulière, elle est donc un centre fort convenable permettant de situer les stratégies éducatives », (Gayet, 1995, 51). L’auteur souligne par ailleurs que la norme dépend

directement des principes éducatifs et qu’elle s’inscrit dans des conduites à caractère moralisateur. La finalité de la norme est d’émettre un jugement moral sur les conduites, soit pour les approuver, soit pour les désapprouver (Gayet, 1995).

Dans le but de montrer comment de grandes différences peuvent apparaître dans un système éducatif alors même que l’on se réfère aux mêmes normes, Gayet cite les résultats obtenus par Lautrey (1980). En référence à la théorie de Piaget selon qui, l’équilibration s’opère entre l’assimilation et l’accommodation, Lautrey reconnait qu’un système éducatif est équilibré s’il conjugue à la fois perturbations et régulations. Si nous transposons cela aux normes familiales, comme le propose Lautrey, nous constatons que certaines valeurs tendent vers la perturbation alors que d’autres sont ouvertes vers la régulation. Enfin, pour Gayet (1995), une part importante de l’orientation finale de la stratégie éducative dépendra à la fois de l’orientation générale des normes familiales mais également de la hiérarchie établie entre elles.

Gayet définit les stratégies éducatives comme étant « la pratique des règles de vie

familiales imposées aux enfants dès le plus jeune âge. Ces règles sont généralement tacites et doivent susciter chez l’enfant-récepteur des habitudes de comportements durables et valorisés, tout en évitant que se forment d’autres habitudes jugées novices pour le sujet lui-même ou pour son entourage. » (Gayet, 1995, 41). Mais l’auteur rappelle qu’il faut également tenir

compte de la personnalité de l’enfant et que les stratégies éducatives élaborées par les parents ne débouchent par nécessairement sur des comportements figés et stéréotypés. Il en résulte qu’aucune concordance claire ne peut être établie entre stratégie éducative et comportement de l’enfant. L’ensemble des règles familiales correspond à un système de fonctionnement familial relativement équilibré, selon la possibilité d’opérer à des ajustements. Selon Gayet (1995), cette aptitude à « l’auto-régulation » dépendrait elle-même de la possibilité de concilier entre l’enfant fantasmé et l’enfant réel et constitue la base des stratégies éducatives.

Pour mieux analyser les stratégies éducatives, il faut s’intéresser aux projets éducatifs. Castellan (1988) va jusqu’à parler du « fantasme fondateur du groupe familial », lui-même

héritier du « fantasme fondateur du couple parental ». Ce projet éducatif apparaît selon

l’expression de Gayet (1995, 44) comme « un climat familial généré par une sorte de

consensus entre le père et la mère », alors même qu’il dépend de l’éducation qu’ils ont chacun

reçue étant enfants. Les idées éducatives des parents, bien que souvent divergentes voire même contradictoires, rentrent dans le cadre des compromis permanents entrepris par le couple parental. Enfin, dans l’analyse des stratégies éducatives, il faut également prendre en compte les modes d’interaction inscrits soit dans le sens d’une relation hiérarchique soit dans le sens d’une relation égalitaire dans le couple.

En conclusion, les stratégies éducatives correspondent à la mise en place d’un projet éducatif commun à un couple parental qui partage généralement des valeurs communes et dont les rapports reproduisent des schémas éducatifs vécus lors de leurs enfances respectives. Mais la question reste de savoir comment juger de l’efficacité des stratégies éducatives. Le caractère subjectif de la question traitée risquerait de biaiser toute évaluation. A ce propos, Gayet (1995) propose deux mesures susceptibles de rendre compte de l’efficacité des stratégies éducatives : la rentabilité scolaire et la rentabilité personnelle. La première se mesurerait selon un objectif de réussite. La seconde, s’inscrivant dans une perspective d’épanouissement de la personnalité, pourrait se mesurer par l’absence de difficultés rencontrées ou de pathologies avérées.

4.2. Valeurs, attitudes et stratégies éducatives

Selon Durning, l’éducation des enfants est « une pratique sociale finalisée qui associe

des valeurs éducatives, des représentations relatives à l’action à mettre en œuvre et des pratiques effectives en direction des enfants élevés » (Durning, 1995, 106). Il convient

néanmoins de distinguer entre les processus éducatifs eux-mêmes et le fait qu’ils peuvent être inférés à partir du discours des parents. Durning rappelle à cet égard qu’il faut rester prudent car il existe souvent des confusions entre valeurs et pratiques éducatives dans le discours des parents interrogés.

Nous proposons de reprendre la définition classique énoncée par Rokeach9 à propos des valeurs éducatives : « une valeur est une croyance durable qu’un mode d’existence est

personnellement ou socialement préférable à son opposé ». L’auteur distingue les valeurs

terminales afférentes aux finalités de la vie et les valeurs instrumentales qui caractérisent les façons d’être ou d’agir en vue d’un but à atteindre. A propos des valeurs, Durning (1995) distingue la dimension cognitive, permettant d’analyser les situations selon des conditions spécifiques ; la dimension affective, qui implique une composante de désirabilité et une classification des valeurs ; et enfin, la dimension conative susceptible d’orienter l’action du sujet.

En référence aux travaux de Kohn (1959), Verquerre (1989) étudie l’effet du milieu socioculturel et propose de classer les valeurs éducatives parentales selon trois catégories : les valeurs éducatives qui rendent compte d’un contrôle externe (il y est fait référence à

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l’honnêteté, le respect des autres, les bonnes manières par exemple ) ; les valeurs éducatives qui rendent compte d’un contrôle interne (il y est fait référence à la curiosité, l’intelligence, l’ambition et l’autonomie par exemple) ; et enfin, les valeurs éducatives indépendantes de toute forme de contrôle (il y est fait référence à l’épanouissement de l’enfant par exemple).

Dans son utilisation très proche du concept de valeurs éducatives, la notion « d’attitudes éducatives », est choisie par Pourtois (1979) pour dénommer « la charnière » entre les valeurs éducatives et les pratiques éducatives. La définition classique du concept d’attitude a été proposée par Alport (1935, 439) pour qui c’est « un état mental et

neurophysiologique, constitué par l’expérience qui exerce une influence dynamique sur l’individu, le préparant à réagir d’une manière particulière à un certain nombre d’objets et de situations ». Enfin, pour Verquerre et al. (1994), les attitudes éducatives sont à mettre en lien

avec l’évaluation que les parents portent sur leurs comportements éducatifs, elles peuvent se traduire soit par des permissions ou des interdictions, soit directement par des actions éducatives.

En définitive, l’intrication des concepts liés au processus éducatif représente un enjeu majeur pour le chercheur qui tente d’analyser le mode de fonctionnement éducatif car, comme nous l’avons exposé précédemment, il existe souvent un écart entre les pratiques éducatives parentales et les valeurs et attitudes éducatives adoptées. Par conséquent, il nous semble nécessaire d’intégrer dans toute forme d’analyse du processus éducatif, l’étude des attitudes et des interactions verbales en même temps que celles des pratiques éducatives. Car une approche exclusive de l’étude des pratiques éducatives ne saurait rendre compte de la réalité du mode de fonctionnement éducatif du couple parental.

4.3. Valeurs éducatives en Tunisie

Les systèmes de valeur sur lesquels repose la famille tunisienne « obéissent à des

modèles codifiés par la tradition et validés par le référent religieux » (Ben Salem, 2009, 109).

Cela se répercute directement sur l’éducation des enfants qui sont confrontés à une forme de rigueur, surtout à partir de l’âge de sept ans (en référence à la religion, c’est l’âge à partir duquel l’enfant devient en mesure d’intérioriser les normes sociales). Les référents religieux de la socialisation sont de l’ordre du permis et du défendu (Hallal et Haram). La rigueur du mode éducatif se traduit dans la plupart des cas par un recours aux châtiments corporels. « La

négative de lui-même qui décourage la contestation éventuelle d’un ensemble posé d’avance comme incontestable » (Camilleri, 1973, 21). Les garçons sont dès lors initiés à la soumission

en même temps qu’à la virilité, tandis que les filles, éduquées également à la soumission, sont tenue de préserver leur honneur, ce qui se traduit par le fait de préserver leur virginité (Ben Salem, 2009).

Nous avons vu plus haut que c’est l’augmentation du taux de scolarisation qui a peu à peu changé les conceptions de l’éducation de l’enfant. Cependant, ce changement apporté dans les valeurs et attitudes, place les familles dans un positionnement ambigu face à l’enfant. En effet, dans la société traditionnelle, l’enfant était considéré comme « incompétent et passif » et l’éducation était régie par des règles très rigides (Mahfoudh-Draoui et al. 2000). Cette conception, malgré l’évolution du mode de vie des familles, demeure fortement présente. Les parents, pour la plupart continuent de se référer au conformisme et à l’obéissance à travers le respect de l’autorité et la valorisation des règles religieuses. L’accent est alors mis sur l’autorité du père, mais celle-ci est bien souvent déléguée à la mère (Mahdoufh-Draoui et al. 2000).