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5.1. Approches structurelles

Indéniablement, les travaux sur les pratiques éducatives ont permis d’apporter une meilleure compréhension des effets de l’éducation familiale sur le développement de l’enfant. Pour ce faire, deux dimensions majeures dans le comportement des parents ont été étudiées à travers deux axes. Le premier est l’axe permissivité/contrainte, les indicateurs les plus fréquemment utilisés étant : les limites imposées par les parents à l’enfant, la rigueur des règles éducatives et le mode d’exercice du contrôle parental. Le second est l’axe chaleur/hostilité, les indicateurs utilisés sont : les réponses apportées par les parents aux besoins et attentes de leur enfant, le temps qu’ils consacrent aux activités avec l’enfant et leur engagement dans son bien être (Rollins & Thomas, 1979 ; Maccoby, 1980 ; Pourtois et Desmet, 1980).

Reuchlin (1972), a quant à lui, retenu deux axes principaux dans l’étude des comportements parentaux : le premier oppose l’autoritarisme au libéralisme et le second l’amour à l’hostilité. La combinaison de ces dimensions a permis d’obtenir des typologies intéressantes comme celle, entre autres, de Baumrind (1971), qui en croisant le contrôle et le

soutien parental identifie trois styles éducatifs : Le style « autoritaire » (contrôle élevé et soutien faible) qui caractérise les parents qui tentent de contrôler les comportements et attitudes de leurs enfants selon un principe de règles invariables. Le style « permissif » (peu de contrôle et soutien élevé) est le propre des parents qui tendent à valoriser les désirs, les comportements et les pulsions de leurs enfants, en ayant très rarement recours au contrôle et aux punitions. Le style « authoritative » (contrôle et soutien élevés) caractérise enfin les parents valorisant une attitude qui encourage les échanges verbaux avec un usage de leur autorité en cas de nécessité, grâce à la présence de règles.

L’étude de Lautrey (1980) tente d’établir un rapport entre classe sociale, milieu familial et intelligence. L’auteur s’inspire de la théorie piagétienne et considère comme favorable au développement cognitif de l’enfant, un milieu de vie présentant à la fois des régularités, des perturbations et des stimulations qui vont causer des déséquilibres pour permettre ensuite des rééquilibrations. Il soutient l’hypothèse que le processus d’équilibration des structures cognitives dépend du contexte de fonctionnement familial et définit trois types de familles. Les familles à structuration faible (milieu de vie stimulant mais peu de régularités), les familles à structuration rigide (règles immuables et pas de stimulations) et enfin, les familles à structuration souple (règles flexibles et modulables selon les circonstances).

Lautrey observe que les formes souples de structuration familiale sont plus fréquentes dans les classes sociales aisées et qu’inversement, les formes rigides se trouvent davantage dans les milieux populaires. A la suite de Kohn, l’auteur établit une concordance entre les valeurs éducatives parentales et leurs principes d’éducation. Il en conclut que le type de structuration familiale (souple, rigide ou faible) traduit chez les familles un essai d’adaptation de leurs règles de fonctionnement à leur mode de vie : les ressources faibles et les conditions de vie difficiles occasionneraient le recours à des règles de vie rigides. Des ressources abondantes et des conditions de vie faciles favoriseraient une approche éducative plus souple.

Mahfoudh-Draoui (2000) propose une typologie des familles tunisiennes dans l’objectif d’identifier les différents styles éducatifs. Pour ce faire, elle analyse les attitudes et pratiques éducatives de 1000 parents d’enfants de moins de 18 ans. A l’issue de la recherche, l’auteur a pu distinguer six types de styles éducatifs : Libéral (5% des parents) ; Libéral Modéré (23% des parents) ; Transitionnel Ouvert (20% des parents) ; Transitionnel Nostalgique (23% des parents) ; Traditionnel Ambivalent (14% des parents) et Traditionnel Résigné (7% des

parents). Un dernier groupe représentant 8% des parents n’a pu être catégorisé en raison de la complexité de ses représentations.

Identifiant les caractéristiques spécifiques aux styles identifiés, l’auteur note que dans les milieux « traditionnels », l’autorité du père est plus importante que celle de la mère. Le garçon conserve une position plus privilégiée par rapport à la fille et la répartition des tâches reste traditionnelle. Parallèlement, la relation entre parents et enfants est caractérisée par un contrôle strict surtout en ce qui concerne les pratiques religieuses. En revanche, concernant les catégories de parents dites libérales, si les parents continuent d’orienter les choix des filles (choix des amis et des loisirs par exemple), ils mettent également l’accent sur l’importance de développer leur autonomie. Ils ont également une attitude ouverte vis-à-vis des mass médias et des conseils de l’entourage. On retrouve également chez ces parents une attitude plus centrée sur l’enfant et ses besoins.

En conclusion de cette enquête, l’auteur relève des difficultés d’appréhension du mode de socialisation de l’enfant tunisien. Ceci s’explique par le contexte d’une société qui connait des changements de plus en plus rapides. Il existe beaucoup d’hésitations et d’ambivalence dans le discours des parents qui, quand ils sont conscients de l’importance de jouer ou dialoguer avec l’enfant, continuent à exercer sur lui un contrôle très strict. En effet, chez bon nombre de parents, on retrouve un souci de s’inscrire dans la modernité mais cela peut également générer de l’angoisse. Cette angoisse pourra se traduire par la suite par le recours à la violence ou à des restrictions qui sont en contradiction avec le discours allant dans le sens du développement de l’autonomie de l’enfant. D’où un sentiment de « fragilité des certitudes en

matière d’éducation, des contradictions observées entre représentations sociales et pratiques, ce qui se traduit par des hésitations, des recours à une tradition protectrice, mais aussi par une capacité d’accorder aux enfants, et notamment aux adolescents, une confiance inédite à chaque fois qu’ils prouvent leur capacité et leur désir de réussite » (Ben Salem, 2009, 246).

Enfin nous observons également, dans certains cas, une tendance des parents à laisser-faire ou au contraire à avoir recours à la violence. Les parents qui eux-mêmes ont été élevés dans des milieux dits « traditionnels » ont des difficultés à communiquer avec leurs enfants qui évoluent dans un monde où tout va de plus en plus vite.

Pour notre part, nous avons choisi de nous référer aux travaux de Malrieu et al. (1969), dont la classification est établie à partir de données recueillies sur le terrain, selon une étude

longitudinale concernant l’influence de l’éducation familiale sur les attitudes et comportements de l’enfant en général et sa réussite scolaire en particulier. Les raisons qui ont motivé ce choix sont d’aune part, une très bonne concordance entre cette classification et les modèles théoriques cité plus haut et d’autre part une conception plus proche du terrain.

5.2. Approches interactionnistes

La compréhension du processus éducatif implique une analyse des positions structurelles en vue de leur intégration dans un système d’interactions. De fait, l’approche interactionniste suppose la nécessité d’appréhender la dynamique au niveau des relations entre les divers acteurs ou instances de l’éducation. Cette approche s’oppose à la perspective unidirectionnelle et insiste sur la participation active des enfants, les considérant avant tout comme acteurs de leur propre socialisation, engagés dans les interactions avec les différents agents éducatifs.

Partant de ce point de vue, certains auteurs ont cherché à comprendre les effets des comportements des enfants sur les attitudes des adultes. Cette direction de recherche a été suivie par les psychologues, psychiatres et psychanalystes travaillant auprès de nouveau-nés ou de très petits enfants. Les chercheurs ont alors mis en évidence d’une part que ce sont les enfants qui prennent l’initiative des interactions avec les parents et d’autre part que ce sont certaines de leurs caractéristiques qui influenceraient en retour leurs parents (Bell & Harper, 1977 ; Klaus & Kennell, 1976 ; Peterson & Rollins, 1987). D’autres chercheurs se sont intéressés à l’impact du comportement des enfants plus âgés sur leurs parents. Ainsi, les enfants qui se conforment aux attentes de leurs parents déclenchent des attitudes positives de leur part. En revanche, les enfants qui s’engagent dans des actes que les parents désapprouvent suscitent chez eux une coercition et un contrôle élevé (Bengtson & Toll, 1978).

Ensuite, ce sont les effets réciproques des attitudes et attentes des enfants et parents qui ont intéressé les chercheurs (Peterson & Rollins, 1987). Leurs travaux s’inscrivent dans la lignée de l’interactionnisme symbolique qui met l’accent sur l’examen de « patterns

dynamiques d’interaction ». Les résultats de ces études illustrent l’adaptation des rôles

réciproques lors des interactions parents enfants. Néanmoins, ces travaux soulèvent des questions d’ordre méthodologique (Peterson & Rollins, 1987). En effet, les auteurs ont été amenés à renoncer à une étude classique d’un stimulus parental induisant une réponse chez

l’enfant et les comportements ont dû être analysés en séries de séquences (Osofsky & Connors, 1979).

Une deuxième tendance dans les travaux modernes est celle des chercheurs tels que Bronfenbrenner (1979) qui dépassent l’analyse des situations en termes de réciprocité ou de bi- directionalité parent-enfant pour étudier le caractère systémique du processus de socialisation. Selon cette optique, chaque relation dyadique entre individus incarnant un rôle dans une famille peut influencer toutes les autres. Sous cet angle, il devient insuffisant de considérer uniquement les effets mutuels directs des comportements des parents et des enfants.

Une troisième direction de recherches interactionnistes met en relation les processus éducatifs familiaux et l’environnement de la famille (Leichter, 1978 ; Bronfenbrenner, 1979). A cet égard, Bronfenbrenner propose un modèle conceptuel qui appréhende les différentes relations et influences de tous les acteurs impliqués dans la socialisation des enfants. Ce modèle offre une vision globale du milieu de vie de l’enfant. Cette démarche « écologique du

développement humain » place l’enfant au centre d’un écosystème conçu comme un ensemble

d’espaces imbriqués les uns dans les autres. Le premier de ces espaces est le microsystème familial, dans lequel les interactions des familles forment un système où chacun occupe un rôle. Ces microsystèmes sont à leur tour intégrés dans un espace plus large qui les englobe : le mésosystème, qui permet une compréhension adéquate du processus d’éducation grâce à l’analyse des relations entre les microsystèmes. Un troisième espace est composé par l’exosystème qui englobe le micro et le méso systèmes, comprenant les réseaux plus larges dans lesquels évolue l’ensemble de la famille et qui agit indirectement sur les interactions parents-enfants. Enfin, le niveau le plus large du système est le macrosystème, constitué par les modèles culturels structurant l’action et les rôles des individus et des groupes : les normes sociales, les valeurs, les idéologies et les lois.

Leichter (1978) a repris le modèle défini par Bronfenbrenner pour montrer que les interactions entre les différents agents éducatifs et l’enfant peuvent être analysées en termes de « systèmes » selon des paradigmes descriptifs ou interprétatifs. Elle a ainsi tenté de caractériser les différentes articulations des instances de socialisation. L’étude menée par Leichter s’est par la suite avérée riche d’enseignements pour l’analyse des continuités, discontinuités ou contradictions entre éducation familiale et éducation scolaire.

Enfin, Malrieu et al. (1969) ont distingué quatre styles éducatifs parentaux à partir de la combinaison des deux caractéristiques (sécurité et loi) :

• « Trop de loi et peu de sécurité » correspond au style « RIGIDE » où les parents font preuve d’une grande sévérité et d’une forte exigence pour le travail et les projets d’avenir. Leur anxiété ne permet pas à l’enfant de trouver la confiance en soi indispensable aux apprentissages ;

• « Pas de loi et trop de sécurité » correspond au style « COUVREUR » caractérisé par une hyper protection anxieuse des parents et l’absence de sanctions ; les exigences scolaires et les projets d’avenir étant d’un niveau inférieur ;

• « Pas de loi et pas de sécurité » correspond au style « LAISSER-FAIRE » où la sévérité et la protection sont inexistantes et les incitations au travail scolaire peu suivies ; • « Présence équilibrée de loi et de sécurité » correspond au style « STIMULANT » où

les parents manifestent une attention soutenue au travail de l’enfant, le climat de confiance et les sanctions modérées favorisant l’effort et l’autonomie.

Cette classification a été reprise en 1992 par Prêteur, Lescarret et Beaumatin concernant les enfants de 4 à 7 ans, qui ont montré que la dynamique familiale favorable à la réussite scolaire doit comporter deux caractéristiques : la sécurité et loi. Ces résultats qui s’inscrivent dans le domaine affectif confirment les résultats obtenus par Lautrey (1980) dans le domaine cognitif à travers les caractéristiques de régularité et de perturbation.

La typologie de Malrieu et al. (1969), bien que reposant sur des données empiriques, va dans le même sens que les classifications basées sur un modèle théorique préétabli telles que les classifications de Lautrey (1980) : le style rigide renvoie à un milieu de vie rigide, le style laisser-faire à un milieu de vie faiblement structuré et le style stimulant à un milieu de vie souple.