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5. Une conception psychosociale du rapport au savoir (ESCOL)

5.3. Rapport au savoir et rapport à l’apprendre

La philosophie classique définit l’homme par « la Raison », et donc, par cette faculté intellectuelle qui lui permet d’être un Sujet de savoir. Dans le même sens, pour Charlot, rechercher le savoir, c’est s’inscrire dans un type de rapport au savoir. Dès lors, le savoir se conçoit comme rapport : rapport au monde, à soi et aux autres à la fois. De même, selon Schlanger (1978), le savoir est forcément une relation qui en fait une forme de rapport au

monde. Il en découle que ces rapports au savoir sont plus largement des rapports sociaux étant donné que le savoir est produit des rapports qu’entretiennent les hommes entre eux.

Charlot (1997) considère que la question de l’apprendre englobe la question du savoir et répertorie les différentes figures de l’apprendre :

• Apprendre, c’est s’approprier un objet-savoir, dans lequel sont incorporés les savoirs (comme par exemple les livres, les œuvres d’art, etc.) ;

• Apprendre, c’est maitriser des activités (comme par exemple apprendre à lire ou écrire ou faire du vélo) ;

• Apprendre, c’est établir des relations sociales (comme par exemple le fait de s’engager dans une relation amoureuse).

En définitive, le rapport à l’apprendre permet de comprendre ce qui pousse l’élève à apprendre et de saisir les différents processus mis en place pour appréhender ces figures de l’apprendre. Nous avons vu que les travaux de l’équipe d’ESCOL ont surtout porté sur la question du sens dans le rapport à l’apprendre, or cette question du sens renvoie à la problématique identitaire du sujet qui renvoie directement à la question du « Pourquoi

apprendre ». Pour saisir l’intrication de ces différentes modalités entre elles, nous allons

exposer dans ce qui suit les trois modalités du rapport au savoir selon Charlot (1992, 1997).

5.3.1. Un rapport épistémique au savoir

Le rapport épistémique est défini par Charlot comme étant un rapport à l’objet-savoir. Pour Charlot, apprendre est « une activité d’appropriation d’un savoir que l’on ne possède pas

mais dont on pose l’existence dans des objets (virtuels comme le savoir ou empiriques comme les livres), des lieux (l’école) ou des personnes (les enseignants) ». Apprendre, c’est donc

passer de la non possession à la possession, de l’identification d’un savoir virtuel à son appropriation » (Charlot, 1997, 80). Charlot distingue trois processus épistémique :

• Le processus nommé « objectivation-dénomination ». Il est constitué en même temps d’un savoir-objet et d’un sujet conscient de s’être approprié ce savoir. Le savoir apparaît donc comme un objet en soi, existant de par lui-même. ;

• Le processus « d’imbrication du Je dans la situation ». Etant donné que le sujet existe de par son corps, la maîtrise du savoir va s’inscrire dans ce corps. Le corps est ici conçu comme un lieu d’appropriation du monde ;

• Le processus « distanciation-régulation ». Il consiste à maîtriser une relation et non une activité. Il s’agit de trouver la bonne distance entre soi et les autres, soi et soi, quand le sujet est lui-même en situation.

En résumé, ces trois processus épistémiques engagent un sujet dans une activité en rapport avec le monde dans « un ensemble de situations et de relations où il apparaît doté

d’une affectivité et où le rapport au monde est mis à distance et mis en mots» (Charlot, 1997,

84).

5.3.2. Un rapport identitaire au savoir

Tout rapport au savoir présente une dimension identitaire. Apprendre, renvoie l’individu à son histoire, à ses attentes, à ses repères, à ses rapports avec autrui, à l’image qu’il a de lui- même et à celle qu’il veut donner aux autres (Charlot, 1997).

• Car tout rapport au savoir est aussi un rapport à soi-même, puisque l’enjeu de « l’apprendre » réside dans la construction identitaire du sujet.

• Car tout rapport au savoir est aussi un rapport aux autres, puisque « apprendre », c’est entrer dans un rapport avec l’autre « que chacun porte en soi comme un interlocuteur ».

5.3.3. Un rapport social au savoir

D’après Charlot (1997), il n’y a de rapport au savoir que d’un sujet, ce sujet se positionnant par rapport au monde et entretenant des relations à l’autre, selon des normes sociales. Le rapport au savoir, est par conséquent aussi un rapport social au savoir. Cette dimension sociale doit cependant être entendue comme existant à travers les dimensions épistémique et identitaire car l’être social ne peut se concevoir en dehors de l’identité du sujet. De plus, il ne faut pas considérer cette dimension sociale comme figeant les individus dans des « positions sociales » mais comme une approche intégrative de leurs histoires sociales, de leurs trajectoires ainsi que de leurs positions.

En définitive, le concept de rapport au savoir est une forme de rapport au monde. Il faut réfléchir ce rapport en termes de relation entre le sujet, le monde et son milieu de vie et non subissant son influence.

5.3.4. Elaboration théorique du concept de rapport au savoir

Le rapport au savoir apparaît donc comme le rapport d’un sujet au monde. Plus précisément, le rapport au savoir est rapport d’un sujet au monde, à soi-même et aux autres. « Il est rapport au monde comme ensemble de significations mais aussi comme espace

d’activités et il s’inscrit par là dans le temps » (Charlot, 1997, 90). Ainsi, selon Charlot, le

rapport au savoir semble déterminé par un ensemble de significations partagées, notamment à travers un système de symbolisation comme le langage grâce auquel se nouent les relations avec soi-même et les autres.

Le rapport au savoir implique également une activité du sujet qui marque son « extériorité » vis-à-vis du monde. C’est en rapport avec cette extériorité que Charlot utilise le terme « rapport » plutôt que « relation » car l’auteur précise par là que « le sujet se rapporte à

quelque chose qui lui est externe ». Enfin, le rapport au savoir est rapport au temps, qui est le

temps d’une histoire de l’individu, « scandé » par des moments significatifs et qui se déploie en trois phases : le présent, le passé et l’avenir. Le rapport au savoir est donc « un rapport

symbolique, actif et temporel d’un sujet singulier qui s’inscrit dans un espace social »

(Charlot, 1997, 91).

Déjà en 1992, Charlot, Bautier et Rochex proposaient une définition du rapport au savoir : « le rapport au savoir est une relation de sens, et donc de valeur, entre un individu (ou

un groupe) et les processus ou produits du savoir » (Charlot et al., 1992, 29). Mais si cette

définition met l’accent sur la notion de relation, elle ne prend pas en compte les divers types de rapport au savoir.

En 1997, Charlot va proposer une définition du rapport au savoir, qui sera retenue comme référence: « Le rapport au savoir est l’ensemble (organisé) de relations qu’un sujet

humain entretien avec tout ce qui relève de « l’apprendre » et du savoir : objet, contenu de pensée, activité, relation interpersonnelle, lieu, personne, situation, occasion, obligation, etc. liés en quelques façons à l’apprendre et au savoir par là même. Le rapport au savoir est aussi rapport au langage, rapport au temps, rapport à l’activité dans le monde et sur le monde, rapport aux autres, et rapport à soi-même comme plus ou moins capable d’apprendre telle chose, dans telle situation. En somme, le rapport au savoir est le rapport au monde, à l’autre et à soi-même d’un sujet confronté à la nécessité d’apprendre » (Charlot, 1997, 94).

Par ailleurs, Charlot développe plus amplement le concept de rapport au savoir en posant la question du désir de savoir et de la représentation de savoir. Concernant la question du désir de savoir, Charlot considère que le sujet « est » rapport au savoir et non « a » un rapport au savoir, puisque le sujet est inscrit dans un ensemble organisé de relations. Le sujet est ainsi défini comme « engagé dans une dynamique du désir ». Cette dynamique est temporelle et construit la singularité du sujet, et par là même, entretient celle de son rapport au savoir. En outre, Charlot met en lien le rapport au savoir et la représentation mentale, en reprenant les définitions que Jodelet et Gilly13 donnent des représentations (mentales) mettant ainsi l’accent sur l’idée de « système en relation avec d’autres systèmes ». Pour Charlot, la parenté entre le concept de représentation et de rapport au savoir est évidente, même si les deux concepts sont différents puisque dans la représentation, ce sont les éléments du système qui sont pensés, alors que dans le rapport au savoir, ce sont les relations. Enfin, Charlot distingue le rapport au savoir en tant que rapport social et les rapports de savoir, qui sont les rapports sociaux fondés sur une différenciation du savoir. Ainsi, le rapport au savoir est un rapport social, puisque les hommes naissent dans un monde structuré et hiérarchisé par des rapports sociaux, considérés également comme des rapports de savoir.