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6.1. Socialisation différenciée selon le genre

Parmi les axes de recherche sur les déterminants de l’éducation, certains chercheurs se sont intéressés à la composition du groupe familial, le nombre d’enfants dans la famille, leur rang de naissance et leur sexe, pensant qu’ils orientent de manière décisive les pratiques éducatives des parents. S’agissant du sexe, il est intéressant de se poser la question de savoir si,

compte tenu de l’évolution des rôles et stéréotypes féminins et masculins, les parents éduquent différemment aujourd’hui, leurs filles et leurs garçons.

Peu d’études ont été menées sur les pratiques familiales de socialisation différenciée durant l’enfance. Selon Rouyer (2007), particulièrement à cette période et contrairement à la petite enfance, les relations parents-enfants sont surtout dirigées vers l’accompagnement scolaire. Néanmoins, on observe de plus que les attentes des parents vis-à-vis de leurs enfants sont différentes et une plus grande tolérance à l’égard des garçons est observée. Par exemple, les pratiques éducatives familiales (milieux ouvriers et employés) sont structurées de façon plus rigide pour les filles âgées de 9 ans et une plus grande autonomie est laissée aux garçons. (Vouillot, 1986). En revanche, les filles sont davantage responsabilisées que les garçons en ce qui concerne les tâches domestiques, le travail scolaire et les activités relatives à leur apparence physique et le sont beaucoup moins en ce qui concerne l’organisation familiale et les prises de décision (Bouissou, 1996).

Dans le domaine scolaire, des travaux mettent en avant des attitudes et comportements différenciés des parents envers les aptitudes et la réussite scolaire des garçons et des filles. Par exemple, l’observation des parents et de leurs enfants âgés de 1 à 8 ans dans un musé montre que les parents, en particulier les pères, donnent trois fois plus d’explications relatives à la science et aux œuvres exposées aux garçons qu’aux filles (Crowley et al., 2001). Par ailleurs, les parents ont des perceptions différenciées des aptitudes de leurs enfants. Les mères par exemple, pensent que les filles seraient plus douées pour la lecture et les garçons auraient plus de facilités pour les mathématiques (Lumnis et Stevenson, 1990).

Il semble également que les attentes et les perceptions parentales sont liées à la façon dont les enfants perçoivent les croyances de leurs parents ainsi qu’à leur représentation d’eux- mêmes et de leurs capacités à accomplir des tâches. Ainsi, les croyances des enfants sont plus directement liées aux attentes de leurs parents et à l’image qui leur est renvoyée par ces derniers qu’aux notes qu’ils auraient obtenues. Il semble donc que les attitudes des enfants sont plus influencées par les attitudes parentales sur leurs capacités que par leurs propres performances (Parsons et al., 1982). Enfin, les croyances parentales sont conformes aux stéréotypes de genre : elles favorisent les garçons et semblent avoir un impact négatif sur les filles, au moment où se construit l’image de soi scolaire (Entwisle et al., 1997).

La socialisation différenciée selon le genre observée durant l’enfance perdure à l’adolescence (surtout dans les milieux défavorisés). En effet, les attentes et les représentations parentales continuent à se différencier en fonction du sexe de leur enfant à beaucoup d’égard (Rouyer, 2007). Ainsi, si les parents envisagent l’avenir de leurs enfants des deux sexes en terme de réussite professionnelle, pour les garçons s’ajoutera la réussite sociale et pour les filles la réussite familiale (Vouillot, 2004). Dans le domaine des capacités scolaires, les parents attendent des garçons qu’ils soient meilleurs que les filles en mathématiques et en sciences (Parsons et al., 1982 ; Tenenbaum et Leaper, 2003). Au demeurant, ces systèmes de croyances parentales auront d’autant plus d’impact si les parents conçoivent les compétences comme peu modulables (Pomerantz et Dong, 2006).

Par ailleurs, les travaux montrent que les parents exercent des pressions à la réussite chez leurs enfants de façon différente selon le sexe de ceux-ci. Les pères en particulier semblent plus concernés par la réussite de leurs fils que par celle de leurs filles (Hoffman, 1977 ; Block, 1983). En outre, la différence des pratiques éducatives selon le sexe de l’adolescent est plus marquée dans les milieux défavorisés. (De Léonardis et Lescarret, 1996). Par exemple, s’agissant des adolescents, une étude montre que les parents influencent de façon significative leur estime de soi, les valeurs liées à leurs projets professionnels et leur motivation à réussir (Paikoff et Brooks-Gunn, 1991).

En définitive, les résultats des recherches sont parfois contradictoires et diffèrent en fonction de l’âge de l’enfant. En effet, si certains auteurs mettent en avant un certain nombre de différences d’attentes et d’attitudes parentales (Peterson, Rollins, Thomas & Heaps, 1982, 1985 ; Serbin, 1980) particulièrement repérables chez les parents des jeunes enfants (Parke & O’Leary, 1975 ; Lamb, 1976), les recherches portant sur l’éducation des adolescents ne vont pas dans le même sens. Selon certains chercheurs, on attend des garçons qu’ils soient plus actifs et entreprenants et des filles qu’elles soient plus affectueuses et davantage identifiées à leurs mères (Baumrind, 1980). Du reste, malgré le grand nombre d’études qui mettent en avant une socialisation différenciée selon le genre, certaines études soutiennent que filles et garçons ne sont pas traités de manière fondamentalement différente, que ce soit du point de vue de l’affection exprimée par les parents, de l’autonomie accordée à l’adolescent, ou encore des réactions aux comportements agressifs manifestés par les filles et les garçons (Maccoby & Jaecklin, 1974 ; Rollins et Thomas, 1979).

6.2. Socialisation de l’enfant et différenciation selon le genre en Tunisie

En Tunisie, dans la société traditionnelle, la scolarisation des garçons visait essentiellement l’acquisition d’un savoir-faire ou l’apprentissage d’un métier, souvent celui du père. Celle des filles visait l’acquisition d’aptitudes censées leur permettre de devenir de bonnes épouses ou de bonnes mères. Aujourd’hui, le fossé entre hommes et femmes tend à diminuer.

Malgré cela, alors qu’on pourrait s’attendre à ce que les modes de socialisation soient de moins en moins différenciés selon le genre, les recherches montrent que l’on continue d’accorder plus d’attention à l’éducation des garçons (Mahfoudh-Draoui, 2000). En effet, Mahfoudh et Melliti (2007) observent que plus de liberté est accordée aux garçons alors que les filles sont davantage « protégées » et restent encore largement socialisées dans la perspective de devenir « maîtresse de maison ». Les mêmes auteurs relèvent néanmoins que quand les filles obtiennent de bons résultats scolaires, tout est mis en œuvre pour leur permettre de réussir. Et même si les filles manquent de liberté par rapport aux garçons, une enquête a montré que quand les filles réussissent dans leurs études, les parents et surtout les mères leur font davantage confiance (Tlili, 2006). Cela semble traduire une aspiration (au moins inconsciente) des mères à tendre vers une émancipation qu’elles s’autorisent plus facilement quand leurs filles réussissent et justifie ainsi la transgression de certains stéréotypes.

6.3. Socialisation différenciation selon le milieu socio-économique et culturel

Plusieurs travaux anglo-saxons montrent que l’origine sociale des parents, leur niveau d’éducation, leur profession et leur revenu, exercent une influence décisive d’une part sur les valeurs et les buts qui les guident dans l’éducation de leurs enfants et d’autre part sur les moyens qu’ils utilisent pour les atteindre (Gecas, 1979 ; Hess, 1970).

L’étude de la famille implique la prise en considération d’un certain nombre de variables socioculturelles et économiques, telles que les caractéristiques structurelles de la famille, son milieu social, sa composition, etc. Elle implique aussi l’intégration de données politiques qui ont entraîné des bouleversements dans les comportements familiaux ces dernières décennies. Eu égard à ces changements, il nous semble essentiel d’étudier d’une part les différents modes de fonctionnement familiaux et d’autre part la perception des enfants, dont le statut ne cesse d’évoluer. Il devient donc essentiel de réunir les trois éléments d’analyse

suivant : pouvoir social des parents, mode de cohésion familiale et identité des parents (Kellerhals et Montandon, 1991).

Les différentes stratégies éducatives adoptées par les parents impliquent des différences de finalités et valeurs éducatives entre parents de divers milieux sociaux. Par exemple, certains travaux se sont intéressés à l’analyse des formes de discipline et de punition des enfants (Bronfenbrenner, 1958). Les résultats des recherches font apparaître que les familles populaires ont davantage recours aux châtiments corporels pour punir leurs enfants que les familles bourgeoises (Gecas, 1979). Plus largement, on a montré que les familles les plus défavorisées font davantage usage de coercition, de contraintes et de force dans leurs méthodes éducatives que les parents appartenant aux milieux les plus favorisés. Ces deniers cherchent surtout à communiquer avec l’enfant, à lui offrir leur soutien et à adopter une attitude plus « démocratique » (Cook-Gumperz, 1973 ; Baumrind, 1971 ; Bernstein & Henderson, 1973 ; Gecas & Nye, 1974 ; Kellerhals et Valente, 1987).

Plusieurs chercheurs ont tenté d’expliquer les raisons de ces différences d’attitude ou de comportement des parents. Ainsi, Kohn (1969) évoque le système des valeurs prévalant dans le milieu de travail des parents et met l’accent sur « les facteurs synchroniques ». Les valeurs sont ensuite transmises aux enfants soit à travers leurs interactions verbales, soit par le biais des méthodes pédagogiques qu’ils utilisent. Quant à Bronfenbrenner (1958), il explique ces différenciations entre les pratiques éducatives selon le milieu par des facteurs historiques, notamment par une transmission sélective des savoirs et savoir-faire éducatifs des parents vers leurs enfants.

Par la suite, certains chercheurs comme Bernstein (1975), ont fait appel à la régulation du groupe familial comme variable intermédiaire entre pratiques éducatives et milieu social. Les facteurs les plus déterminants seraient alors d’une part le genre de communication qui prévaut dans la famille et d’autre part la structuration des rôles familiaux. S’agissant du genre de communication, Bernstein pense qu’un code linguistique « élaboré » prédomine chez les membres des classes sociales favorisées alors qu’un code linguistique « restreint » prédomine chez les membres des classes sociales défavorisées. A l’instar de Kohn, Bernstein explique le recours à ces codes par le milieu professionnel des parents. La deuxième explication de ces différences selon Bernstein concerne la structuration familiale. Il distingue deux genres de familles isomorphes aux deux styles linguistiques évoqués. « Les familles positionnelles » et

« les familles orientées vers des personnes ». Les premières sont celles où les rapports entre les parents et les enfants découlent d’une forte différenciation selon les statuts générationnels et sexuels. Dans les secondes, les rapports et les décisions sont surtout modulés par la reconnaissance des qualités personnelles spécifiques à chacun.

Au demeurant, certains travaux qui ont cherché à établir un rapport entre la position sociale des parents et les pratiques éducatives ne se sont pas limités à l’étude du statut socioprofessionnel actuel des parents. Percheron (1981) a étudié la trajectoire sociale des parents pour montrer comment les familles « en mobilité ascendante » ont tendance à valoriser davantage le travail et la réussite scolaire dans l’éducation de leurs enfants. Par ailleurs, dans la lignée du courant anthropologique, certains auteurs mettent en relation les stratégies éducatives parentales avec leurs origines culturelles réfutant ainsi les hypothèses de l’existence d’un « handicap » ou « déficit » culturel chez les familles dont le modèle ne correspond pas au modèle de fonctionnement de la famille occidentale bourgeoise (Allen, 1978 ; Cross, 1981 ; Hill, 1981 ; Ogbu, 1984).

Enfin, en vue de comprendre le rapport qui s’établit entre les pratiques éducatives familiales, le milieu social et le développement de l’enfant, Palacio-Quintin (1988), a étudié des éléments de convergence entre plusieurs études. Ainsi, elle a mis en évidence un ensemble de facteurs comme étant favorables ou défavorables à la réussite aux épreuves cognitives. Les enfants qui réussissent le mieux ont un milieu de vie familial qui aide à l’exploration, encourage à évaluer les conséquences de leurs actions, donne davantage de feedbacks positifs et donne des informations spécifiques et pertinentes. Les enfants qui réussissent moins bien ont un milieu de vie familial qui est plus directif, intervient à leur place, s’exprime sous forme impérative, donne la solution au problème et donne plus de feedbacks négatifs. Des études montrent également que les pratiques éducatives mentionnées en premier lieu sont plus fréquentes en milieu socioculturel favorisé (Freeberg et Payne, 1967; Hess et Shipman, 1968 ; Steward et Steward, 1973 ; Lautrey, 1980).