• Aucun résultat trouvé

2. Les modèles théoriques de l’éducation parentale

2.3. Rôles masculins et féminins en Tunisie

Les auteurs qui ont étudié la structure de la famille dans la société dite « traditionnelle », ont souvent eu tendance à mettre l’accent sur la position de soumission de la femme par rapport à l’homme. Mais en réalité, les femmes occupent une place très importante et participent activement à la production familiale et cela est autant valable en milieu rural qu’en milieu urbain. Cependant, on observe une division du travail entre hommes et femmes, qui repose essentiellement sur deux types de critères : d’abord, un critère spatial puisque l’espace domestique exclut les hommes et ensuite un référentiel culturel et religieux opposant le masculin et le féminin (Ben Salem, 2009).

2.3.1. Place de la mère et rôle d’autorité

Un bref retour en arrière est nécessaire pour comprendre la complexité des relations hommes/femmes et les rôles de pouvoir au sein de la famille tunisienne. Le premier constat que nous établissons, est qu’en dépit de ce que nous pouvons imaginer du rôle de pouvoir exercé par le patriarche au sein de la structure familiale, ce pouvoir n’en demeure pas moins diffus au sein de la famille (Ben Salem, 2009). D’après Ibn Khaldoun (1967), le chef de famille est bien plus le représentant du pouvoir à l’extérieur qu’à l’intérieur de la famille. Son autorité, a une grande valeur symbolique, mais elle est surtout imposée par la rigueur de son comportement puisqu’il se doit d’observer les mêmes règles que celles qu’il impose à la famille. Mais ce qui semble intéressant à signaler, c’est que ce patriarche exerce son autorité seulement en cas de crise au sein de la famille. Ce qui laisse une place centrale au rôle de la mère. « Au bout du compte, contrairement à l’apparence que présente la structure sociale,

c’est la mère éducatrice et transmetteuse de la loi, qui est le véritable pivot de la famille »

(Ben Dahman, 1984, 81).

La dimension symbolique de l’autorité paternelle a déjà été évoquée par les psychanalystes. Pour Lacan, le père réel revêt peu d’importance car c’est la mère qui porte dans son inconscient le père symbolique. Lacan (1958) a pu démontrer à travers la théorie de « la forclusion du nom du père » l’importance symbolique du rôle du père. Selon l’auteur, c’est la mère qui assure le rôle de transmission de ce premier symbole de fonction paternelle. Mais alors qu’en psychanalyse, l’intérêt est porté sur la dimension symbolique de la fonction paternelle, en psychologie, c’est le père réel qui fait l’objet d’études. « Par sa position de tiers,

le père suffisamment présent, introduit la distance nécessaire entre l’enfant et sa mère, l’enfant et lui-même » (Zaouche-Gaudron, 1995, 17).

En France depuis les années 1970, il y a eu un déclin du « Père » comme figure de patriarche mais en même temps, l’évolution sociale a poussé les pères à s’impliquer davantage dans l’éducation des enfants. « Ces nouveaux pères », sont davantage impliqués dans le « caregiving » et assument de nouvelles responsabilités auprès de leurs enfants. Les pères assistent aux accouchements, s’impliquent dans les tâches de soins prodiguées au jeune enfant et conçoivent leur rôle d’autorité de manière plus souple (Castelain-Meunier, 2001a ; 2001b). Par ailleurs, de nouvelles formes de parentalité montrent des couples désireux de vivre dans une relation faite de respect et d’harmonie affective (Bergonnier-Dupuy & Robin, 2007). De

nouveaux concepts émergent tel que « la co-parentalité » et « l’alliance co-parentale » (Frascarolo, 2001a ; Rouyer, 2007 ; Bergonnier-Dupuy et Robin, 2007) illustrant la recherche d’égalité homme-femme au sein du couple pour un meilleur soutien mutuel dans les tâches éducatives. Selon Frascarolo, les parents considèrent que « dans la mesure où l’enfant est le

fruit d’un couple, il semble difficile de considérer le rôle d’un parent sans tenir compte de l’autre, car ils forment un tout, un système » (Frascaolo, 2001a, 98).

2.3.2. Place de la mère dans l’éducation des enfants en Tunisie

De plus en plus en Tunisie, l’éducation des enfants incombe aux deux parents (par opposition à un modèle de famille élargie où toute la famille prenait part à l’éducation des enfants). En effet, le modèle de la famille de type nucléaire influence les relations familiales, le mode d’interactions au sein de la famille et les formes de l’autorité exercée. Même si la famille élargie garde une place importante dans la vie affective de l’enfant, elle n’intervient que marginalement dans l’éducation de ce dernier. Ces changements vont aussi produire certains effets sur les figures identificatoires retenues par le jeune enfant, sur l’image perçue du père et de la mère qui ne sont peut être plus relativisés par d’autres figures d’autorité, le grand père- patriarche à titre d’exemple (Ben Salem, 2009).

Par ailleurs, la distance par rapport au père tend à être moins grande, mais c’est principalement la mère qui assure l’éducation des enfants. En effet, rares sont les pères qui occupent une place importante dans l’éducation des enfants. Cela constitue un trait différenciateur avec la famille occidentale où le père, malgré son surinvestissement professionnel, cherche à s’investir dans certaines tâches du « care » (jouer avec l’enfant, interagir aussi avec lui) même si cet investissement est moins marqué, en général, que celui des mères (qu’elles travaillent à l’extérieur ou non). L’enquête sur la socialisation commanditée par le Ministère de la Femme et de la Famille menée par Mahfoudh-Draoui (2000) a montré que les pères ne participent aux soins prodigués aux enfants que dans 14% des cas avec des différences notables selon les milieux socio-économiques et culturels. En revanche, cet aspect différenciateur selon le milieu social est commun avec le « modèle » occidental. En effet, on retrouve 7% des pères impliqués dans l’éducation de leurs enfants dans les milieux populaires, 9% dans les catégories moyennes et 22% dans les milieux favorisés.

D’après Ben Salem (2009), les mères sont les principales responsables de l’éducation des enfants et cela même quand elles travaillent et assument des responsabilités

professionnelles. Toutes les enquêtes qui ont été menées sur le sujet montrent que ce sont bien les mères qui s’occupent de l’enfant quand il est malade et l’accompagnent chez le médecin, ce sont aussi les mères qui assurent le suivi scolaire à la maison et vont voir les professeurs à l’école. Cette tendance est également vraie en France, même si bon nombre de pères s’investissent dans ces différentes activités. N’oublions pas qu’en France (en encore plus dans les pays du Nord de l’Europe), certains pères élèvent seuls leurs enfants.

2.3.3. Education parentale et représentation de l’enfant en Tunisie

Au même titre que pour les familles occidentales, la famille tunisienne joue un rôle déterminant dans la socialisation de l’enfant. Par conséquent, les caractéristiques de la famille influencent fortement l’éducation des enfants. Dans l’histoire de la famille tunisienne, nous pouvions remarquer qu’une des caractéristiques majeures était une socialisation fortement différenciée selon le genre et des valeurs familiales à forte connotation religieuse (Ben Salem, 2009). En somme, « la socialisation était conçue comme l’influence contraignante des adultes

sur les plus jeunes » selon les termes d’Emile Durkheim (cité par Ben Salem, 2009, 219).

Aujourd’hui, la famille est toujours le principal lieu de socialisation de l’enfant mais un changement majeur s’est produit du fait de la place donnée à l’école dans la conception de l’éducation familiale. En effet, celle-ci est de plus en plus importante dans la société tunisienne. « Le niveau d’instruction, la trajectoire scolaire et professionnelle, sportive,

politique ou culturelle sont autant de référents identitaires chez les Tunisiens. » (Ben Salem,

2009, 220). Enfin, une des conséquences de ce changement de conception éducative est la différenciation de moins en moins prononcée entre les filles et les garçons.

D’après Ariès (1960), quand le nombre d’enfants diminue, l’investissement affectif augmente et l’enfant occupe une place plus centrale dans la famille. Cependant, dans la famille tunisienne nucléaire, la taille de la famille est réduite mais l’enfant est souvent livré à lui- même. Ce n’est que dans la mesure où il a des frères et sœurs qu’il aura la possibilité de communiquer et de jouer. Selon Ben Salem (2009), la mère s’occupe de son enfant avec amour et tendresse mais communique peu avec lui. Toujours selon le même auteur, l’enfant, dès son plus jeune âge, passe une grande partie de son temps devant la télévision, sans que ses parents n’exercent un contrôle sur les programmes visionnés. C’est dans ce sens que l’on peut parler de l’entrée à l’école comme lieu important de socialisation. Cette étape est d’autant plus importante qu’elle va bientôt bouleverser les habitudes de la famille : un nouveau rapport au temps se met en place : les temps de repas et de sommeil sont plus structurés.

Najar et Kerrou (2007), estiment quant à eux que le mode relationnel de l’enfant a évolué : ses relations avec ses camarades d’école lui permettent de faire des comparaisons, il fait également l’expérience de la compétition, de la réussite et de l’échec. C’est généralement à ce moment qu’il est sollicité par ses parents pour participer davantage à la vie familiale et interrogé sur ses activités à l’école. On accorde davantage attention à ce qu’il dit et un dialogue plus structuré se met en place entre l’enfant et ses parents.