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1.1. Rapport au savoir et institution familiale

1.1.1. Dynamique familiale et genèse du rapport au savoir

Pour une meilleure compréhension des processus d’élaboration du rapport au savoir chez l’enfant, l’équipe du CREF a mis l’accent sur l’importance de l’étude du milieu familial A cet effet, Mosconi reprend la définition de Gibello (1984) de la pensée qui correspondrait à trois univers psychiques, à savoir : l’univers linguistique, l’univers des représentations de la

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ESCOL : Education, Socialisation et Collectivités Locales. Paris VIII - Saint-Denis.

11 CREF : Centre de Recherche Education et Formation. Paris X – Nanterre.

12 PDPS : l’équipe 3 du laboratoire « Psychologie du Développement et Processus de Socialisation » de

nature et l’univers du fantasme. Il fait l’hypothèse que c’est le groupe familial qui constituerait le milieu au sein duquel ces niveaux évoluent. Le rapport au savoir étant un processus en mouvement, il dépendrait dès lors de cette dynamique psychique familiale.

La genèse du rapport au savoir dans le milieu familial, commence d’abord par la constitution d’un couple qui fait un projet de vie commune, chacun des partenaires ayant déjà élaboré son rapport au savoir en fonction de sa propre histoire familiale à un niveau inconscient. Il faut de plus prendre en compte l’effet de la dynamique du couple ainsi que les interactions quotidiennes sur le rapport au savoir de chaque partenaire. Finalement, c’est l’ensemble de la dynamique ainsi que les expériences du couple qui contribuent à élaborer une culture commune au groupe familial. Et c’est dans ce milieu culturel commun que les enfants vont constituer à leur tour leur propre rapport au savoir, grâce aux interactions qu’ils développent avec leurs parents et autres membres de la fratrie, ainsi que d’autres membres de la famille élargie tel que des grands parents, des oncles, des tantes ou des cousins (Mosconi, 1996).

Selon Mosconi (1996), outre les interactions familiales, la constitution et l’évolution du rapport au savoir au sein de la famille dépendraient de plusieurs facteurs. En effet, le rapport au savoir des parents dépend du degré de leur situation professionnelle, des attentes qu’ils nourrissent à l’égard de leurs enfants. Il peut également dépendre des symboles ou des idéologies investis par la famille et dont l’influence peut être importante sur la constitution de rapport au savoir. L’auteur fait un parallèle entre cet espace commun, siège de toutes ces interactions et au sein duquel les rapports au savoir se construisent et évoluent, et l’espace transitionnel de Winnicott, lui empruntant son concept « d’objet transitionnel » pour désigner cet « ensemble partagé de représentations et d’affects, de fantasmes, de mots et de savoirs qui

constituent comme une zone intermédiaire entre chaque membre de la famille. » (Mosconi,

1996, 112).

Enfin, l’étude du système familial nous renvoie au niveau socioculturel. La famille est considérée comme le premier groupe social dans lequel l’individu évolue. Au sein de ce groupe, chacun des deux parents a un statut social selon son appartenance socioculturelle et qui détermine son rapport au savoir. En effet, l’individu développe son rapport au savoir selon la classe sociale d’appartenance, selon le niveau d’étude, selon la catégorie socioprofessionnelle à laquelle l’individu appartient. Quand les deux conjoints sont d’origine sociale différente et/ou

appartiennent à une catégorie socioprofessionnelle différente, il y a de fortes chances pour qu’ils n’aient pas développé les mêmes rapports au savoir, ce qui peut entraîner des conflits de classe sociale au sein même de la famille.

1.1.2. Rapport au savoir et modèles familiaux

D’après certains auteurs, ce sont surtout les conflits et contradictions entre sexes qui ont le plus grand impact sur le rapport au savoir des conjoints et des enfants au sein de la famille. Nous allons illustrer nos propos par deux modèles de conjugalité (Roussel, 1980 ; Kellerhals et al., 1982).

Le premier modèle a vu son essor avec l’émergence de la société industrielle dans la moyenne bourgeoisie. Ses principes reposent sur une division du travail où le rôle de l’homme consiste à travailler et la femme à s’occuper du foyer et de l’éducation des enfants. Dans ce modèle, seul l’homme a accès aux savoirs suite à une formation professionnelle qui lui confère un statut social. Quant à la femme, elle est entièrement dépendante de l’homme dans son rapport au savoir, car considérée comme subordonnée aux hommes. Elle n’acquiert généralement que les savoirs et savoir-faire lui permettant d’accomplir les tâches domestiques et éducatives.

Si ce modèle tend à disparaître aujourd’hui, il continue d’exister dans les milieux populaires. Dans les milieux plus aisés, il est remplacé par un modèle qui donnerait aux femmes plus de possibilités, à savoir un accès à des filières scolaires leur permettant d’acquérir des savoirs et des compétences susceptibles de les propulser sur le marché du travail. Mais selon la nature des emplois proposés aux femmes, s’opère une forme de ségrégation horizontale mais aussi verticale (les emplois auxquels accèdent les femmes sont moins élevés et moins bien rémunérés que ceux des hommes). Par ailleurs, cette ségrégation au niveau du marché du travail trouve un écho dans le fonctionnement du couple conjugal. En effet, les couples se définissant par rapport à leurs statuts sociaux, la vulnérabilité professionnelle des femmes se traduit par une vulnérabilité au niveau des échanges familiaux, d’autant plus qu’elles doivent faire face à des obligations liées à la gestion de leur foyer ainsi qu’à l’éducation de leurs enfants.

L’autre modèle extrême est ce que Roussel (1980) appelle le mariage « association », et qu’il oppose au premier modèle de type « fusion ». Dans ce type de mariage, les deux

conjoints sont tous les deux pourvus « d’atouts socioéconomiques ». Ils « s’associent » pour favoriser leurs chances d’atteindre des objectifs explicites. Ce modèle illustre un exemple d’égalité des statuts. Les conjoints sont autonomes et développent une importante ouverture sur l’extérieur. Le rapport au savoir des partenaires est ici pensé en termes de différences et de similitudes et peut être un lieu de rivalité et de compétition, mais la place importante laissée aux négociations permet d’aboutir plus aisément à des compromis.

Nous nous interrogeons sur la nature de la construction du rapport au savoir des enfants au sein de ces deux types de familles. Dans le premier modèle familial de type « fusion », les enfants construisent leurs rapports au savoir par identification au parent de même sexe, ils sont prisonniers du désir de leurs parents et des attentes que ces derniers nourrissent à leurs égards. En revanche, dans le deuxième modèle familial de type « association », la constitution du rapport au savoir est plus élaborée grâce à la flexibilité des modèles, les enfants sont considérés comme des partenaires autonomes, capables de construire leur propre trajectoire selon leurs propres objectifs.

Nous venons donc de voir comment la construction du rapport au savoir peut dépendre du contexte familial à plusieurs niveaux inconscient: groupaux, sociaux, économiques et même idéologiques, tout en intégrant la possibilité d’une présence latente de conflits de classe ou de sexe.

1.2. Rapport au savoir et institution scolaire

Pour Rochex (2001), la notion de rapport au savoir doit être appréhendée à travers le sens accordé par l’élève à son expérience scolaire. Elle s’inscrit de ce fait en rupture avec les conceptions qui pensent la réussite ou l’échec scolaire en dehors de l’expérience scolaire sans prendre en compte l’histoire de l’élève, confronté à des pratiques spécifiques de savoir. Elle vise par ailleurs à réduire la parcellisation des domaines de la sociologie, de la pédagogie ou de la psychologie des apprentissages, établissant ainsi de nouveaux rapports entre ces différentes disciplines pour une meilleure compréhension du sujet.

Ainsi, le rapport au savoir peut être défini selon Rochex comme le « rapport à des

processus (l’acte d’apprendre), à des produits (les savoirs comme compétences acquises et comme objets épistémiques et institutionnels, culturels et sociaux), mais à des situations d’apprentissage » (Rochex, 2002, 2). De fait, le rapport au savoir s’établit dans une relation de

sens et de valeur puisque le sujet accorde une valeur aux savoirs selon le sens qu’il leur confère.

Rochex (1995) décrit deux registres relatifs à l’élaboration du rapport au savoir chez l’élève : le registre identitaire et le registre épistémique. Pour l’auteur, le rapport identitaire prend sens pour le sujet en référence à des modèles identificatoires, des croyances et des valeurs, tandis que le rapport épistémique se définit selon ce que l’acte d’apprendre et le fait de savoir représentent pour le sujet.

De fait, tous les élèves développent un rapport au savoir qui leur fait sens, mais ce rapport peut être de nature à favoriser ou au contraire à gêner l’appropriation des savoirs, participant ainsi à l’élaboration de mode différents d’expériences scolaires. Ainsi, les bons élèves accordent du sens aux activités et contenus d’apprentissage, favorisant par là leur développement intellectuel et culturel. Ils inscrivent l’acte d’apprendre dans une logique institutionnelle d’apprentissage et de développement et intègrent facilement les enjeux socioculturels de l’école. En revanche, les élèves en difficulté, qui se situent uniquement dans « une logique de cheminement », ne parviennent pas à investir l’institution et les activités d’apprentissage. Ceci les place dans une difficulté à s’approprier le savoir et les connaissances.

Au demeurant, l’élaboration de rapports au savoir, aux apprentissages et à la scolarité s’enracine dans les modes de socialisation familiale (Montandon, 1997) mais aussi dans les institutions et tout particulièrement dans l’institution scolaire (Rochex, 2002). En effet, la construction du rapport au savoir étant un processus dynamique, l’école ne se limite pas à recevoir des élèves dotés de tel ou tel type de rapport au savoir, mais contribue également à l’élaboration de leur rapport au savoir. Selon Rochex, c’est la confrontation entre des configurations socio-familiales spécifiques, le milieu scolaire et l’analyse des différents phénomènes de dissonance et de consonance que cela implique, qui contribue à la formation du sens de l’expérience scolaire des élèves (Rochex, 1995).

Il n’est donc pas aisé de faire la part entre l’influence de l’éducation familiale et celle de l’institution scolaire, tant l’expérience scolaire de chacun se construit en interaction à partir des différentes expériences des sujets. Le rapport au savoir des élèves ne saurait donc être réduit à l’étude des modes de socialisation familiale, sans une prise en compte des pratiques et

dispositifs pédagogiques qui contribuent à son élaboration, ces pratiques et dispositifs étant plus ou moins favorables à l’appropriation des savoirs scolaires (Rochex, 2002).