5.4 Les squatters
5.4.1 Windermere
Le camp de Windermere est situé sur les Cape Flats, à proximité de Maitland,
Ndabeni et des banlieues nord (cf.carte 5.7). Cette localisation lui permet d’être
proche des principales zones industrielles de l’agglomération à cette époque
15.
CBD Nyanga Langa Routes principales 0 5 10 km Camp de squatters (>100 hab) Location officielle © M. Houssay-Holzschuch, 1997 Luyolo Kommetjie Fish Hoek Hout Bay Steenberg Retreat Vrygrond Blaauwvlei Grassy Park Parkwood Est. Cook's Bush Athlone Surrey Est. Sakkiesdorp Philippi (dt Brown's Farm) Welcome Est. Jakkalsvlei Eureka Est. Oakdale Est. Tiervlei Windermere
Goodwood Acres Vasco
Elsies River
Carte 5.7 – Répartition de la population africaine au Cap en 1952.
Source : Fast, 1995 [46, 45].La présence des squatters dans ce quartier date du début du
XXesiècle. Il s’agit
alors principalement de Métis, expulsés de leurs logements en centre-ville et ayant
15Rappelons qu’après la destruction de lalocationen 1936, Ndabeni sera transformé en zone
trouvé refuge à Windermere. Ils font partie des victimes du syndrome sanitaire :
leurs logements ont été déclarés insalubres par les autorités après la peste de 1901.
Pendant ces premières années, on compte environ 850 personnes dans le camp de
squatters et 500 personnes dans un site voisin (Swart, 1983 [136, p. 1–2]). Déjà,
ils dérangent : les habitants des quartiers voisins se plaignent du désordre et des
ivrognes. Mais Windermere ayant été judicieusement installé en dehors des limites
municipales, les autorités sont impuissantes à y faire appliquer les règlements
d’urbanisme ou respecter l’ordre public. D’emblée, le camp de squatters apparaît
comme un espace en marge, géographiquement comme socialement. C’est aussi
largement un espace autonome politiquement.
La population de Windermere n’a commencé à augmenter de façon
impor-tante que dans les années 1920. Les habitants viennent du centre-ville ou des
campagnes. Déjà, une des caractéristiques des camps de squatters sud-africains
se met en place : Windermere, comme les camps de squatters entourant
actuel-lement Alexandra (Lucas, 1994, 1995 et 1996 [84, 85, 86]) n’est pas un espace
intermédiaire entre ville et campagne, où les nouveaux migrants s’adapteraient
au mode de vie urbain avant de chercher un logement dans les quartiers formels.
Cela est vrai d’une partie de la population mais d’autres squatters sont urbanisés
de longue date et ont adopté ce type d’habitat pour des raisons économiques.
Une enquête de la Cape Flats Commissionen 1943 établit la liste des raisons
données par les habitants à leur résidence à Windermere (Swart, 1983 [136]) :
– Échapper aux loyers, aux impôts locaux et aux règlements d’urbanisme ;
– Pour certains, garder un mode de vie semi-rural avec la possibilité d’élever
du bétail ou de la volaille ;
– L’absence d’une politique municipale d’aide au logement ou de
construc-tion de logements sociaux. Même après l’adopconstruc-tion duHousing Actdans les
années 1920, peu de projets sont réalisés à Cape Town. Les quelques projets
existants, comme Ndabeni ou Langa, ne parviennent pas à attirer
spontané-ment une population stable. Bien au contraire, la façon dont ces projets sont
appliqués renforce les raisons citées plus haut pour les Africains.
– Surtout des raisons économiques. La population non européenne est
structu-rellement désavantagée dans sa recherche d’un emploi. LaCivilised Labour
Policy réserve la plupart des emplois qualifiés aux Blancs. Métis et Noirs
n’ont donc accès qu’à des emplois peu ou non qualifiés, avec de bas
sa-laires. La pauvreté qui en résulte, ajoutée à la hausse des loyers et des prix
immobiliers dans un contexte de forte demande, les pousse à aller squatter.
Malgré le coût plus élevé des transports et celui du loyer payé au propriétaire
du terrain
16, il estfinancièrement plus intéressant de squatter à Windermere
que d’habiter un taudis en ville.
La présence d’une population urbanisée à Windermere est confirmée par
l’étude des statistiques démographiques existantes (cf. tableau 5.3) :
accroisse-ment naturel, taux de mortalité et nombre de personnes par ménage sont
relati-vement faibles. Métis et Noirs de Windermere ont déjà largement entamé leur
transition démographique.
En 1945, le Cape Town City Council estime la population de Windermere à
14 235 personnes, soit 557 Blancs, 7 138 Métis, 104 Asiatiques et 6 436 Noirs
17.
Ces chiffres sous-estiment certainement la taille du camp. En 1943, l’Inspector of
Native Locationsl’évaluait à 19 000 personnes. L’organisationFood Control
por-tait ce chiffre à 25 ou 35 000 personnes (Swart, 1983 [136, p. 14]). Néanmoins,
l’estimation officielle reflète sans doute avec justesse la composition raciale de
Windermere, également divisée entre Noirs et Métis et comprenant quelques
Blancs.
Les conditions de vie à Windermere sont difficiles : il n’y a pas de voirie
dé-cente, pas d’éclairage urbain ou de sanitaires. L’eau n’est installée qu’en 1948
(Swart, 1983 [136, p. 20]), sous la forme de robinets publics. Les catastrophes
naturelles sont fréquentes : les dépressions interdunaires dans lesquelles les
habi-tations sont construites sont inondées avec régularité en hiver. Les incendies sont
fréquents et dévastateurs : ils se propagent rapidement dans un quartier dense et
16Certains habitants de Windermere ne sont d’ailleurs pas des squatters, dans la mesure où ils
possèdent leur parcelle et leur maison.
17Rapport annuel duMedical Officer of Health, 1945. Mais il ne prend pas en compte l’ensemble
Composition des ménages : 47,7 % comprennent moins de 3
sonnes, 41,6 % entre 4 et 7 personnes et 10,7 % plus de 8
per-sonnes.
40,2 % des habitations de Windermere logent plus de 2 personnes
par pièce.
28 % de la population a moins de 15 ans.
35 % des naissances non-européennes à Windermere sont
illégi-times.
Taux de mortalité en 1944 (en % ) :
Windermere Cape Town
Européens 18 10,3
non-Européens 35,9 22,6
Taux de mortalité infantile en 1944 (en % ) :
Windermere Cape Town
Européens 133,3 32,7
non-Européens 315,1 134,6
Pourcentage des décès dus à la tuberculose :
Windermere Cape Town
Européens 1,8 0,7
non-Européens 10,3 6,9
Accroissement naturel des non-Européens : 7,8 % à
Winder-mere, 20 % dans l’ensemble de l’agglomération.
T
AB. 5.3 – Profil statistique de Windermere.
Source : enquête du Cape Town City Council à Windermere, 1944-46 pour les statistiques
concer-nant le logement, et rapports annuels du Medical Officer of Health, 1944-54 pour les statistiques
démographiques. Le tout est reproduit dans Swart, 1983 [136, appendix B].