3.3 La révolution minière
3.3.1 Or, diamants et prospérité
La découverte des diamants à Kimberley en 1870 sera le premier événement
transformant Cape Town en un grand port d’exportation. De plus, cette ville peu
tournée vers son hinterland cherche désormais à établir des liens solides avec le
reste de l’Afrique du Sud actuelle : le réseau de transports recevra à cette époque
une impulsion décisive. La colonie souhaite aussi resserrer les liens sur le plan
politique : c’est l’époque où les Britanniques, sous l’égide de Cecil John Rhodes,
mettent au point la grandiose vision impériale d’une Afrique anglaise—au
sous-sol fabuleusement riche—du Cap au Caire. Mais la découverte de l’or du
Wit-watersrand en 1886 va transformer cet intérêt pour l’intérieur du pays en une
vé-ritable ruée et va modifier en profondeur l’Afrique du Sud pour lui donner son
visage actuel.
Charles van Onselen a étudié les premières années de l’histoire de
Johan-nesburg dans ses Studies in the Social and Economic History of the
Witwaters-rand 1886-1914, New Babylon – New Nineveh(van Onselen, 1982, [142, 143]). Il
montre l’ampleur et la soudaineté de ce développement (tableau 3.1).
Année
Part du Rand dans la
production mondiale
d’or (en %)
Année Population du Rand (en
milliers)
1886 0,16 1886 3
1898 27 1896 100
1913 40 1914 250
TAB. 3.1 – Développement du Witwatersrand, 1886–1914 : part dans la
produc-tion mondiale d’or et populaproduc-tion du Rand.
Source : Charles van Onselen,Studies in the Social and Economic History of the Witwatersrand
1886-1914, New Babylon, 1982 [142, p. 1–43].
Une ville, Johannesburg, va donc naître de rien en quelques années. Elle
atti-rera des immigrants de l’ensemble du pays, Noirs ou Blancs, mais aussi de
l’étran-ger. Comme à Kimberley, des fortunes se bâtiront et les magnats des mines (mine
magnates), non contents de contrôler l’économie, influenceront durablement le
politique : on peut penser en particulier au plus célèbre d’entre eux, Cecil Rhodes,
premier ministre de la colonie du Cap, artisan inlassable de l’impérialisme
bri-tannique et des tentatives successives d’annexion du Transvaal, qui mèneront à la
guerre des Boers.
Cet essor sans précédent ni équivalent va bien sûr rejaillir sur Le Cap. La
ville n’est alors que faiblement développée sur le plan industriel. Sur le plan
éco-nomique, des grandes firmes mercantiles importent des marchandises finies ou
semi-finies à très faible prix : cela handicape bien sûr un développement
indus-triel local. De plus, les droits de douane sur les matières premières sont élevés et
la ville du Cap n’est proche d’aucune source d’énergie. C’est pourquoi, en 1875,
il y a peu d’industries et celles qui existent sont de petite taille et peu mécanisées :
fabriques de savons, de chandelles, de biscuits, voire imprimeries, et fabriques de
meubles (Whittingdale, 1973 [149]).
La révolution minière va moins se traduire par une industrialisation du Cap
que par une prospérité économique. De 1870 à 1882, grâce aux diamants de
Kim-berley, les revenus du gouvernement du Cap seront multipliés par cinq
(Bickford-Smith, 1995 [10, p. 43]). Cet argent est largement consacré à l’amélioration des
infrastructures, et notamment du port. Il faut dire que Cape Town profite d’une
situation de monopole : les réseaux routiers et ferroviaires sont dessinés de telle
sorte, dans les premières années de l’exploitation minière, qu’importations et
ex-portations à destination des mines de diamants de Kimberley ou de l’or du
Wit-watersrand passent obligatoirement par le port du Cap, unique débouché possible.
De 1870 à 1882, le chiffre des importations sera multiplié par trois.
L’économie locale bénéficie non seulement de ce boom minier, mais aussi des
guerres de frontières dans le Cap oriental puis au Zoulouland. Enfin, le marché
in-térieur continue de croître, grâce à l’arrivée massive d’immigrants en provenance
d’Europe ou de Saint-Hélène : ils seront 22 000 à arriver entre 1873 et 1884, dont
plus de la moitié entre 1879 et 1883. Des Africains, attirés par l’essor économique
du Cap, viendront du Cap oriental comme du Mozambique s’y installer.
Cette phase de prospérité se terminera en 1881, inaugurant une phase de
dépression, aux importantes conséquences socio-culturelles (cf. chapitre 3.3.2,
page 83). Un rapport d’inspection bancaire de 1883 en énumère les raisons :
« Toute guerre de quelque importance a cessé en Afrique du Sud
depuis le traité de paix signé avec les Boers à Laings Nek. Il y a certes
lieu de s’en féliciter au point de vue humanitaire, mais guère au point
de vue commercial. La cessation subite des hostilités, en plus
d’in-terrompre la circulation de l’or, a laissé aux marchands d’importantes
quantités de biens spécialement commandés pour les besoins de
l’ac-tion et qui sont donc devenus invendables. Ont suivi peu après
l’ef-fondrement des mines de diamants, la dépréciation de l’autruche et
de ses plumes, la sécheresse et les mauvaises récoltes qui s’ensuivent.
Tout ce qui pouvait être mauvais semblait s’abattre sur nous d’un seul
coup. » [10, p. 92]
Une seconde phase de prospérité débutera dans les années 1890, grâce à l’or
du Witwatersrand, mais elle n’égalera pas la première. En effet, une vague initiale
de spéculation entraînera plusieurs faillites. Par ailleurs, la situation de
mono-pole du port du Cap est terminée : non seulement la voie ferrée relie Durban et
Johannesburg, mais le président du Transvaal, Paul Kruger, soucieux
d’indépen-dance vis-à-vis des Britanniques, fera construire la voie Johannesburg-Lourenço
Marques (actuelle Maputo). Malgré tout, le volume des importations via Le Cap
augmente et les transports font l’objet d’investissements lourds : la gare centrale
est construite et le bassin Victoria ouvre en 1895.
peste bovine, la sécheresse et une seconde attaque de phylloxéra s’abattront sur
la colonie. Heureusement—dirait le banquier cité ci-dessus—la guerre des Boers
débute en 1899 : aux bénéfices d’une économie de guerre s’ajoutera la croissance
du marché local, car la population du Cap s’accroît de nombreux réfugiés (cf.
figure 3.1, page 78).
Dans le document
Le Territoire volé, une géographie culturelle des quartiers noirs de Cape Town (Afrique du Sud)
(Page 81-84)