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1.4 Plan

2.1.1 La victoire des nationalistes

De la colonisation à la fin de

l’apartheid : bref aperçu de

l’histoire sud-africaine

Tracer un tableau de l’histoire sud-africaine est une entreprise trop vaste pour

être réalisable ici, même si la lecture du passé est indispensable à la

compré-hension du présent—et ce, encore plus en Afrique du Sud qu’ailleurs. Il faut

donc se féliciter de la parution récente d’un certain nombre de synthèses

histo-riques, notamment sur la période contemporaine. On pourra consulter avec

pro-fit la quatrième édition de South Africa : A Modern History de T. R. H.

Da-venport [32], l’ouvrage de Nigel Worden intitulé The Making of Modern South

Africa : Conquest, Segregation and Apartheid [152], ou From Colonization to

Democracy : A New Historical Geography of South Africad’Alan Lester [82].

Je souhaite simplement donner ici un cadre de référence et développer un

cer-tain nombre de thèmes ou d’événements importants à la compréhension de la

si-tuation des Africains au Cap

1

: la mise en place de l’apartheid à partir de 1948 ; la

résistance des Noirs aux politiques de ségrégation, puis d’apartheid ; les dernières

années du régime du Parti national et la transition vers les premières élections

dé-mocratiques d’avril 1994 ; enfin, l’histoire immédiate du gouvernement Mandela.

2.1 La mise au point de l’apartheid

2.1.1 La victoire des nationalistes

Le 26 mai 1948, le Parti national de Daniel F. Malan gagne la majorité au

parlement sud-africain par 79 sièges à 71 pour l’United Partydu général Smuts.

1J’ai présenté ailleurs des événements plus anciens, en particulier la situation de l’Afrique

du Sud aux débuts de la colonisation, les guerres de frontières entre colons blancs et Xhosa ou la formation de la nation afrikaner (Houssay-Holzschuch, 1995, 1996 et 1997 [63, 64, 60]. On voudra bien s’y reporter en cas de besoin.

Pour la première fois, le gouvernement sera constitué uniquement d’Afrikaners.

Le Parti national gardera le pouvoir jusqu’en 1994, date de l’élection de Nelson

Mandela à la présidence de la république sud-africaine. Ce sera lui qui

transfor-mera une ségrégation raciale présente et installée dans les mentalités mais

suscep-tible d’évoluer, en une séparation systématique des races dans tous les domaines,

par la loi : l’apartheid.

La défaite de Smuts

Cette victoire peut sembler surprenante : l’United Party et Smuts ont mené

l’Afrique du Sud à la victoire aux côtés des Alliés. Le prestige international du

général, alors premier ministre, est à son comble : il participe à la création de

l’Organisation des nations unies (ONU) et à la rédaction de sa Charte. Mais cela

ne suffit pas à assurer sa victoire électorale : en effet, sa politique intérieure connaît

un certain nombre d’échecs.

Tout d’abord, ses initiatives en politique intérieure se révèlent souvent

contre-productives. Par exemple, il tentera d’ancrer l’Afrique du Sud dans le

Common-wealth en invitant les souverains anglais à visiter le pays au début de l’année

1947. Mais cette visite renforcera en fait les idées républicaines (Davenport,

1991 [32, p. 320]). De même, Smuts a favorisé l’immigration européenne entre

1947 et 1948. Il espérait ainsi réduire le déséquilibre démographique entre Noirs

et Blancs. Les Afrikaners lui reprocheront de vouloir les « submerger »

démogra-phiquement au profit des anglophones.

De plus, la situation intérieure entre Noirs et Blancs se dégrade, et les

élec-teurs blancs en rendent le gouvernement de Smuts responsable : la résistance

non-européenne se renforce dans le contexte décolonisateur de l’après-guerre (cf.

page 40) : A. B. Xuma, à la tête de l’African National Congress(ANC), réforme

son mouvement pour en faire une organisation moderne. En même temps, laYouth

League, menée entre autres par Mandela, Oliver Tambo et Walter Sisulu monte en

puissance à l’intérieur de l’ANC et accède aux positions dirigeantes. Elle prône

une attitude plus active et revendicatrice, aux accents africanistes. Enfin, l’ANC se

rapproche des mouvements de résistance indiens : elle coopère avec leTransvaal

Indian Congress et leNatal Indian Congresset cherche à unifier la résistance à

l’oppression blanche.

Une campagne brillante, un slogan porteur

Les Nationalistes ont mené une brillante campagne, très organisée, grâce

no-tamment à leur contrôle de la presse de langue afrikaans. Avec un art politique

consommé, ils réussissent à ne s’aliéner ni les anglophones, ni le reste de

l’Afri-kanerdom

2

.

Ils bénéficient d’un certain nombre de facteurs favorables : sur le plan

démo-graphique, les Afrikaners sont plus nombreux que les anglophones et leur taux

de natalité est plus élevé. Le découpage électoral est aussi en leur faveur. De

plus, lors des élections de 1948, quelques catégories socio-professionnelles clés

changent d’allégeance et quittent l’United Partypour le Parti national (Davenport,

1991 [32, p. 322]) :

– Les fermiers blancs du Transvaal sont en effet mécontents de la

suspen-sion de l’influx control pendant la Seconde guerre mondiale ; l’exode des

Noirs vers les villes n’étant plus freiné artificiellement, il augmente et met

en cause la stabilité de la réserve de main-d’œuvre des fermiers.

– Les ouvriers blancs du Witwatersrand se sentent menacés par le recrutement

massif de Noirs dans l’industrie, souvent à des postes semi-qualifiés, et par

leur syndicalisation croissante.

Le slogan central de la campagne électorale est celui d’apartheid, ou

dévelop-pement séparé. Les conséquences de la politique d’apartheid sur le plan

écono-mique sont de contrôler encore plus sévèrement la main-d’œuvre noire. Ouvriers

et fermiers blancs y trouvent leur compte.

Enfin, l’intégration raciale a progressé dans les villes sud-africaines pendant

la Seconde guerre mondiale. Ce phénomène inquiète la majorité des Blancs et le

projet d’un développement séparé des races répond à cette inquiétude.

Le concept d’apartheid a été mis au point pendant les années 1930 par le

Broe-derbond, société secrète afrikaner, et un certain nombre d’intellectuels voulant la

séparation « verticale » des races—chacune se développant selon ses propres

cri-tères et son génie propre, sans interaction avec les autres. Le rapport Sauer

(Da-venport, 1991 [32, p. 323]) lui donnera une ampleur et un contenu politique ; le

programme du Parti national est donc le suivant :

– empêcher l’intégration des Indiens et des Métis dans la société européenne ;

– consolider les réserves africaines, y susciter un développement industriel et

y installer un système politique autonome et « traditionnel » ;

– abolir le contrôle des églises sur l’éducation des Noirs ;

– renforcer et généraliser l’influx controlde telle sorte que seuls les ouvriers

sous contrat soient autorisés à séjourner en ville.

2L’Afrikanerdom désigne à la fois la communauté afrikaner et le sentiment national afrika-ner. Elle s’exprime dans une vision particulière de l’histoire, l’importance de la religion

calvi-niste et l’attachement à l’afrikaans. Pour compléter cette définition un peu à l’emporte-pièce, voir