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4.2 Le syndrome sanitaire

4.2.2 Modèles invoqués

Lescompoundsde Kimberley

Le premier modèle invoqué est celui des compounds de Kimberley

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. La

dé-couverte de diamants a transformé ce coin désert du nord de la colonie du Cap en

une agglomération d’importance, attirant migrants de toutes couleurs et de toutes

origines. Très tôt s’est posé le problème du contrôle de la main-d’œuvre : les

dé-sertions étaient nombreuses, à cause de la dureté des conditions de travail comme

des liens que les mineurs gardaient avec leur lieu d’origine. Assurer la stabilité de

la main-d’œuvre était donc rapidement devenu l’un des problèmes-clés des

ma-gnats de l’industrie minière. À cela s’ajoutait la fréquence de l’alcoolisme,

aug-mentant les accidents et faisant diminuer la productivité. Enfin, les ventes illicites

3Pour plus de détails, voir Turrell R.V., « Kimberley’s Model Compounds », 1984 [140] ;

de diamants de contrebande pouvaient atteindre un million de livres par an.

L’industrie minière répondit à cela en élaborant le système du travail migrant

(migrant labour) : les ouvriers étaient recrutés sur des contrats de trois à douze

mois et devaient abandonner femmes et enfants dans les zones rurales pour venir

travailler à des centaines de kilomètres de leur lieu d’origine. Ils étaient logés par

leurs employeurs dans de véritables casernes ouvrières, lescompounds, installés

à proximité des puits. Là, ils sont nourris et confinés pour la période du contrat.

Le compound est un lieu fermé et clôturé de murs, dont on ne peut sortir sans

l’accord des employeurs. Les bâtiments de brique d’un seul étage, en

quadrila-tère, sont composés de pièces juxtaposées, dortoirs des mineurs. Dans ces dortoirs

où parfois plusieurs dizaines d’hommes logent, l’ameublement est réduit : des

hamacs ou des paillasses en béton sans matelas forment l’essentiel. Douches,

cui-sines sont communes, bien souvent placées au centre de la cour. Là aussi sont

les boutiques que les ouvriers peuvent fréquenter et qui appartiennent aussi à la

compagnie minière. La vente d’alcool est très sévèrement réglementée et même

les journées de loisirs se passent dans lecompound.

Un tel système assure non seulement un contrôle parfait sur la main-d’œuvre,

mais aussi limite l’urbanisation des Noirs : leur vie se partage entre lecompound

et la campagne, où restent leurs racines. Ils envoient de l’argent régulièrement,

rentrent à la fin du contrat. Les valeurs des travailleurs migrants sont celles du

monde rural et ils cherchent à les conserver : bien souvent, une chambrée est

constituée d’un groupe de « pays » (home-boys) dont la présence maintient les

traditions

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.

Leslocationsdu Cap oriental

La locationde Ndabeni n’est pas la première à instaurer la ségrégation

rési-dentielle en Afrique du Sud : elles sont déjà nombreuses dans l’est de la colonie

du Cap. En 1855, Port Elizabeth, en 1856, Grahamstown, en 1873, Worcester,

en 1879, Queenstown, pour ne citer que quelques villes, ont délimité des terrains

réservés à la résidence des indigènes (Natives).

De façon prévisible, c’est dans les villes proches de la « frontière » avec les

Xhosa que le problème de la résidence urbaine des Noirs s’est posé en premier.

Le cas de Grahamstown est quelque peu particulier, dans la mesure où le terrain

du « Fingo Village » a été donné par les autorités britanniques aux Mfengu en

récompense de leur dévouement pendant les « guerres cafres ».

La ville de Port Elizabeth a donc été le laboratoire sud-africain de la

ségré-gation, comme l’a démontré A.J. Christopher (cf.en particulier [19, 20, 21]), qui

4Pour plus de détails concernant ces structures sociales, voir l’étude de I. et Ph. Mayer à East

souligne que la séparation entre la population indigène et le reste de la population

est un thème qui revient sans cesse dans l’histoire de Port Elizabeth.

La première concentration de population africaine dans l’agglomération se fait

dans unemission station de la London Missionary Society. Le but des

mission-naires était double : il s’agissait à la fois de convertir et d’éduquer, pour éviter

que les indigènes soient corrompus par les traits les plus déplaisants de la société

industrielle et coloniale [20]. En 1834, la LMS obtint un terrain à 500 mètres à

l’ouest de Main Street. La congrégation dont elle assurait la charge s’y installa.

Néanmoins, ce quartier ne regroupait pas l’ensemble de la population africaine de

Port Elizabeth.

C’est la présence de squatters sur des terrains publics et privés quifit réagir la

municipalité en 1855 : elle choisit un site adjacent au terrain des missionnaires.

Tous les Noirs vivant au sud de Cape Road devaient y emménager. Cette mesure

fut appliquée avec l’aide de la police, ce qui résolut le problème du squatt. À

l’intérieur de cette toute nouvellelocation, les parcelles de terrain étaient louées

pour un maximum de 21 ans. Dès 1855 donc, les droits fonciers des Noirs en ville

étaient très limités : les Noirs n’étaient présents en milieu urbain que de façon

temporaire. Le nom donné à ce quartier ne faisait que souligner cette conviction :

Native Strangers Location(sic). Le logement n’y était pas fourni par la

municipa-lité : les résidents devaient construire leur propre maison, tout en se conformant

aux normes exigées et illustrées par une maison-modèle bâtie par les autorités.

La Native Strangers Location a très tôt rencontré des problèmes qui allaient

devenir récurrents dans l’histoire des townships sud-africains. L’afflux de

popu-lation conduisit rapidement à son surpeuplement : dès 1862, des plans sont faits

pour l’agrandir. Mais dans un contexte de croissance urbaine, la locationest de

plus en plus proche des banlieues blanches, dont les résidents se plaignent. Ils

s’opposent à l’extension du quartier noir, avec d’autant plus de succès que des

in-térêts immobiliers entrent en jeu : la valeur du terrain occupé par les indigènes ne

cesse d’augmenter. Logiquement, on réclame donc leur expulsion. Les émeutes

inter-tribales d’octobre 1882 décideront la municipalité à agir : la Native

Stran-gers Location sera fermée, un nouveau terrain plus éloigné de la ville accueillera

les expulsés à partir de 1884

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.

À lafin du dix-neuvième siècle, Port Elizabeth dispose donc d’un système de

ségrégation assez complet : missionnaires, municipalité et quelques employeurs

privés gèrent chacun au moins unelocation. Les conditions varient selon le

ges-tionnaire : ainsi, les habitants de la mission station ont des droits fonciers et la

sécurité de la tenure ; dans certaineslocationsprivées, les habitants ont le droit de

brasser de la bière indigène ou de construire des maisons traditionnelles. La peste

de 1901, qui atteindra également Port Elizabeth, ne fera que renforcer un système

existant.