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Limites de Ndabeni Chemin de fer Autres bâtiments publics Églises

0 500 m

Carte 4.5 – Ndabeni : espace public, espace religieux. L’espace public formel est

ici presque uniquement composé d’églises, lieux de culte, mais aussi de réunions,

d’éducation, d’aide sociale.

De plus, les infrastructures d’éducation à Ndabeni seront organisées par les

églises. L’Armée du Salut, les Presbytériens, les Congrégationnalistes et les

Mé-thodistes feront pression sur le gouvernement pour obtenir la construction d’une

école, qui sera terminée le 28 février 1902 [9, p. 114]. Elles obtiendront également

des subventions gouvernementales pour contribuer (jusqu’en 1905) au payement

du salaire de l’enseignant. Cette première école « publique non confessionnelle »

(undenominational public school) n’était pas la seule à opérer à Ndabeni : dès juin

en-fants par jour

18

. De nombreuses écoles du soir organisées par ces mêmes églises

dans lalocationattirent des centaines d’élèves par an.

4.5.5 Stratification sociale

Les images qui nous restent de Ndabeni montrent que le principal clivage

social existant à l’intérieur de la location était celui de l’éducation : les Noirs

éduqués, urbanisés, tenaient à se démarquer des travailleurs migrants (

amago-duka—« Ceux qui rentrent chez eux »). Instituteurs, religieux, commerçants,

habitaient Ndabeni. Ainsi, les valeurs et les modèles étaient ceux d’une classe

moyenne en formation. N.G. Qunta raconte :

« Nous admirions tellement les enseignantes que nous nous

appe-lions maîtresse une telle. »

19

Et même si elle souligne quelques différences de revenus,

« Sur le plan social [il n’y avait pas de différences] parce qu’on

attribuait aux gens n’importe quelle maison, mais en ce qui concerne

l’argent, il y avait des classes. (. . .) On pouvait [le] voir à

l’ameuble-ment, à la façon dont les gens habillaient leurs enfants et s’habillaient

eux-mêmes. »

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Les rapports de l’administration soulignent une coexistence pacifique entre

les différents éléments de Ndabeni, rendus solidaires les uns des autres par la

ségrégation qui leur est imposée.

4.6 Résistance

Il y a peu de preuves d’une activité politique organisée au sein de la population

africaine de Cape Town avant l’ouverture de Ndabeni. Certains leaders comme

le Révérend Elijah Mdolomba, de l’église wesleyenne, ou William Sipika

prô-naient même l’installation d’unelocationau Cap. Ils espéraient que cela

permet-trait d’avoir accès à des logements décents pour de faibles loyers et que lalocation

offrirait de nouvelles opportunités professionnelles à de nombreux Africains (dont

eux-mêmes). Mais ils souhaitaient unelocationmodèle, avec accès à la propriété

foncière, activités commerciales internes réservées aux Africains et représentation

de la population dans les autorités de tutelle.

Dès l’ouverture de Ndabeni, de nombreux Africains résistent aux ordres

d’ex-pulsion et ne cèdent que devant l’usage de la force. Une manifestation organisée

18L’école « publique » en accueillera en moyenne 54 par jour.

19Oral History Project, Langa/Ndabeni projectfile, interview de Mrs. N.G. Qunta, p. 14.

sur Grand Parade est dispersée par la police. Une grève largement soutenue contre

les expulsions durera jusqu’en septembre 1901. UnUitvlugt Committee, mené par

William Sipika, qui trouve que Ndabeni a bien peu en commun avec lalocation

de ses rêves, proteste auprès des autorités contre des règlements trop draconiens

ou les conditions de vie, rendues encore plus précaires par les premières pluies

d’avril.

Après ces premières manifestations, les habitants de Ndabeni tenteront—avec

un certain succès—de boycotter les loyers. D’autres résistances, plus ponctuelles,

prouvent la capacité de mobilisation de la communauté. Ce dynamisme politique

ne permettra cependant pas aux résidents de s’opposer efficacement à la

destruc-tion de Ndabeni.

4.6.1 Non-payement des loyers

Pendant les trois premiers mois, les résidents de la toute nouvelle location

n’avaient pas à payer de loyer. Ensuite, s’il était toujours possible de continuer à

les confiner dans le camp, faire payer un loyer (et des frais de transport) à ceux

forcés de rester à Ndabeni posait problème. En effet, la base légale de la

ségréga-tion restait lePublic Health Act, lequel bien évidemment ne prévoyait rien quant

à la collecte de loyers dans un camp d’isolement sanitaire.

En juin 1901, les autorités demandèrent aux résidents de Ndabeni de payer

10 shillings par mois, somme devant couvrir le coût de leur transport ferroviaire,

l’administration du camp et quelques bénéfices. Elles rencontrèrent un net refus

de payer (Saunders, 1979 [115, p. 145sq.]).

Cette résistance dans les premiers mois d’existence de la location n’est pas

complètement unanime. Deux factions prônent le non-payement des loyers : la

première, menée par William Sipika, demande des droits fonciers à l’intérieur

de Ndabeni. L’autre, plus radicale, remet en cause l’existence même de la

loca-tionmaintenant que l’épidémie est terminée. La faction radicale est liée à Alfred

Mangena, avocat, qui sera l’un des fondateurs duSouth African Native National

Congress(premier nom de l’African National Congressen 1912). Cependant, le

rôle de Mangena est moins celui d’un organisateur que celui d’un porte-parole,

conseiller légal et traducteur.

Le boycott des loyers se poursuivit malgré des concessions du gouvernement

réduisant la somme à payer et malgré les poursuites judiciaires contre les

mau-vais payeurs. En fait, très rapidement, les autorités se sont trouvées dans une

im-passe : le non-payement des loyers rendait la gestion de Ndabeni déficitaire. Mais

il n’était pas possible d’expulser les mauvais payeurs dans la mesure où ils étaient

légalement obligés de résider dans lalocation...

Les autorités demandèrent alors à la compagnie de chemin de fer, dont les

frais étaient jusqu’alors inclus dans le loyer, de collecter elle-même le payement

des tickets de transport. Cela déboucha sur un boycott des trains, une grève et

des émeutes. Celles-ci sont intéressantes dans la mesure où c’est la première fois

au Cap que la résistance noire utilise avec profit la géographie même de la

sé-grégation : le fait que Ndabeni soit entouré d’une clôture avec très peu d’entrées

a permis aux partisans de la grève de poster des hommes à chaque sortie. Ces

derniers, armés de bâtons, bloquaient la sortie et assuraient ainsi le succès de la

grève. Il a fallu faire appel à la police pour rétablir l’ordre et briser la grève et

cette première campagne de résistance.

L’acte 40 de 1902 transforma le camp d’isolement sanitaire de Uitvlugt en

location, au sens légal du terme. C’est alors qu’elle fut rebaptisée Ndabeni. En

particulier, le payement du loyer était défini comme l’une des conditions de

ré-sidence. La période 1903-1918 fut politiquement plus calme, les conservateurs

placés à l’Advisory Board dominant la politique locale. Cependant, nombre de

loyers restent dûs. D’autres formes de résistance apparaissent : les règlements, en

particulier ceux prohibant la consommation d’alcool à l’intérieur de lalocation,

sont massivement enfreints. De nombreux Africains continuent de vivre

illégale-ment en ville ou squattent juste à l’extérieur des limites municipales. Enfin, même

le très modéré corps qu’est l’Advisory Boardne peut parfois se retenir de

criti-quer les conditions de vie. Ses activités comprennent aussi, à partir de décembre

1911, une campagne en faveur de l’éducation obligatoire dans la location, qui

échoue sur l’argument donné par les autorités qu’il n’y a nulle part d’éducation

obligatoire pour les Noirs.

4.6.2 Résistances ponctuelles

Ponctuellement, des conflits ont déclenché la résistance de la population de

Ndabeni. L’exemple le plus marquant est celui de la mobilisation de la

commu-nauté sur le problème éducatif. Les habitants de Ndabeni ont en effet lancé une

véritable campagne en mai 1918 pour refuser le licenciement arbitraire par les

au-torités du directeur de la United Mission School. Elle est dirigée par le révérend

Z.R. Mahabane, leader provincial du SANNC à cette époque et qui sera président

de l’ANC en 1924. Mais l’épidémie de grippe de l’« octobre noir » 1918, qui

touchera particulièrement la population de Ndabeni, est fatale à ce début de

résis-tance.

Notons aussi :

– la résistance des « célibataires » à libérer des huttes désignées comme

lo-gements familiaux pour aller s’entasser dans les lolo-gements qui leur sont

réservés, tentes sans même un plancher ;

– la réunion de protestation du 2 septembre 1919, où les résidents se plaignent

du manque de consultation ;

exemple celle du révérend Mtimkulu ;

– la résistance à la mise en place de la politique d’emploi préférentiel pour les

Métis (Coloured Preference Policy) et aux autres lois Hertzog de 1926.

Cependant, la résistance politique à Ndabeni est handicapée par les divisions

internes entre l’ANC, le parti communiste, les syndicats dont l’ICU (Industrial

and Commercial Workers’ Union), les résidents, etc., si fortes qu’elles engendrent

des violences entre factions rivales dans le premier trimestre de 1921 et en janvier

1932

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. Une répression sévère à l’échelon national, menée par le ministre de la

justice Pirow, s’ajoute à ces désunions pour rendre toute résistance locale

impos-sible.

À Ndabeni, à part les tentatives venant des partis politiques, il y a peu de

résistance entre 1919 et 1929, jusqu’à la construction d’une nouvelle location,

Langa, et la menace de détruire Ndabeni.

4.6.3 Destruction de Ndabeni

Après la première guerre mondiale, l’afflux d’Africains à Cape Town reprit

de plus belle. De nombreux ouvriers arrivaient des zones rurales directement avec

leur femme, ce qui laissait présager une volonté d’urbanisation permanente.

L’épi-démie de grippe de 1918 et ses 254 victimes à Ndabeni attirèrent une fois de plus

l’attention de l’opinion publique sur les conditions de vie de la population

afri-caine et les dangers sanitaires qu’elles faisaient courir à l’ensemble de la

popula-tion de Cape Town. Par ailleurs, la présence illicite d’Africains en ville se faisait

de jour en jour plus voyante (cf. carte 4.6). C’est dans ce contexte qu’en 1919

le gouvernement central demanda à la municipalité du Cap de se charger de la

responsabilité de lalocation. Plutôt que d’accepter de se charger d’un tel poidsfi

-nancier, cette dernière décida de construire unelocationmodèle, qui remplacerait

Ndabeni : Langa (cf.chapitre 5.1, page 117).

Le terrain de la réserve forestière de Uitvlugt, à quelques kilomètres à l’est

de Ndabeni, fut choisi. Mais comme la construction de Langa prendrait plusieurs

années, deux cents huttes Nissen furent construites à Ndabeni pour loger les

Afri-cains que les raids policiers expulsaient du centre-ville. En ce qui concerne la

nouvellelocation, elle devait comprendre à la fois des baraquements pour

céli-bataires, construits sur le modèle ducompound de la City Deep Mine de

Johan-nesburg, et des quartiers pour familles, à l’image de ceux construits à

Bloem-fontein [116, p. 173]. Langa, planifié de façon plus réfléchie que Ndabeni, est

le premier exemple complet à Cape Town de ce que Pinnock a appelé l’«

archi-tecture poliçable » (policeable architecture) des townships. Le nouveau township

ouvrit en août 1927, avec fort peu de succès : une bonne partie des logements

nouvellement construits resta vide pendant des mois.

0 5 10 km Cape Town Woodstock Mowbray Maitland District 6 Goodwood Kensington Camps Bay Wynberg Muizenberg

Carte 4.6 – Répartition de la population africaine au Cap au début des années