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U est aussi un ensemble élémentaire

3. Le point de vue du faux pour motiver à la preuve

Dans la géométrie pratiquée dans l’enseignement secondaire, et notamment au collège, les travaux de Durand-Guerrier et Arsac (2003) montrent que les démonstrations géométriques reposent, au plan logique, sur le calcul des propositions, essentiellement sur la règle d’inférence appelée le modus ponens87. La centration sur la structure ternaire des pas de démonstration et le recyclage des énoncés (une conclusion d’un pas devenant prémisse du pas suivant) (Duval 1989, 1991) relèvent de ce cadre, où l’on raisonne sur un élément générique, représenté par une figure. Les quantificateurs sont absents des démonstrations. Les théorèmes manipulés sont en effet de la forme Pour tout x d’un certain ensemble, si P(x), alors

Q(x) et on travaille sur l’exemple générique a de x : on utilise donc seulement Si P(a), alors Q(a). L’utilisation exclusive de ce cadre théorique constitue un obstacle

pour certaines preuves (Durand-Guerrier & Arsac 2003) et conduit à des difficultés lorsqu’il s’agit de prouver qu’un énoncé est faux. L’exemple proposé est le suivant : Soit Q un quadrilatère ; pour chacune des deux implications suivantes dire si elle est vraie ou fausse ;

a) si Q est un rectangle, alors ses diagonales ont même longueur ; b) si les diagonales de Q sont perpendiculaires, alors Q est un losange.

L’énoncé a) est vrai, car il est associé à un théorème universel ; quant à l’énoncé b), c’est une instance d’un énoncé ouvert admettant à la fois des exemples et des contre-exemples. Autrement dit, on ne peut pas se prononcer sur la valeur de vérité de cet énoncé. Le déclarer faux revient à assimiler cet énoncé à l’énoncé universellement quantifié associé.

(Durand-Guerrier & Arsac 2003)

87 dont le fonctionnement cognitif passe par la reconnaissance du théorème pertinent, la vérification de ses conditions d’application et le détachement de la conclusion.

Confrontés à un énoncé tel que b), les élèves (de collège et de lycée) vont répondre comme dans l’exemple du carré d’un nombre positif, proposé dans le paragraphe 1 de ce chapitre : ils vont hésiter entre faux, pas toujours vrai et vrai.

Ce qui précède, dans ce paragraphe, n’est pas dit en formation, mais ce qui suit peut donner aux enseignants un autre éclairage sur la preuve, qu’on peut illustrer à partir de l’exercice de la copie de Sophie (paragraphe précédent). En limitant en effet la preuve à une rédaction qui ne convient qu’aux cas où il s’agit de démontrer qu’un objet générique, qui possède certaines propriétés, vérifie nécessairement une autre propriété, non seulement, on exclut les preuves de l’existence d’un objet satisfaisant à une condition (et bien d’autres types de preuves), mais on ne met pas non plus en évidence qu’on raisonne sur des ensembles d’objets, dont on montre l’inclusion. Or, c’est justement cet autre aspect qui pourrait aider à surmonter les difficultés qui apparaissent dès lors qu’on rencontre des objets qui ne sont plus représentés par l’exemple générique. C’est une source de malentendus (de type rapport existant à la

preuve) dès qu’on veut travailler sur le faux.

Par exemple, si l’on reprend le problème que Sophie veut résoudre dans sa copie (paragraphe précédent) : TAXI est un carré et TAGE est un losange, il s’agit de démontrer que les droites (IX) et (EG) sont parallèles. On occulte complètement dans cette preuve qu’elle est valable pour six points quelconques coplanaires, nommés T,

A, G, E, X et I qui vérifient que TAXI est un carré et TAGE est un losange. Une

conclusion pertinente sur ce point pourrait être proposée à l’issue de la preuve, mais ce n’est pas fait dans le contrat usuel en classe. La preuve consiste en fait à montrer qu’un objet générique, un sextuplet T, A, G, E, X, I, qui possède les deux propriétés que TAXI est un carré et TAGE est un losange, vérifie nécessairement que les droites (IX) et (EG) sont parallèles. Mais nous pouvons aussi considérer cette preuve comme celle de l’inclusion de l’ensemble des sextuplets T, A, G, E, X, I, tels que TAXI est un carré et TAGE un losange (ce qui correspond d’ailleurs à l’intersection de deux ensembles) dans l’ensemble des sextuplets T, A, G, E, X, I, tels que (IX) et (EG) sont parallèles. Nous renvoyons à la thèse de V. Deloustal-Jorrand pour un éclairage détaillé du raisonnement déductif dans le cadre ensembliste et dans celui de la logique formelle (Deloustal-Jorrand 2004).

En formation, nous suggérons que travailler en classe sur le vrai et le faux peut constituer un levier pour enseigner la preuve (une ouverture comme nous le disons en conclusion du paragraphe précédent). Comme nous l’avons vu, certains manuels proposent bien de travailler au collège en ce sens quand on aborde la démonstration, mais c’est pour expliquer que, dans les cas simples des implications abordées au collège, on montre que c’est faux par un contre-exemple. On apprend à prouver que c’est faux, on apprend à prouver que c’est vrai, la plupart du temps, on ne voit pas la cohérence (nous l’avons souligné au chapitre 5 qui analyse des manuels).

Ce que nous proposons en formation, c’est d’adopter le point de vue du faux en classe. C’est se demander constamment, plutôt entraîner les élèves à se le demander, si ce qui est dit ne serait pas faux. Autrement dit, c’est entraîner les élèves à la recherche systématique d’un contre-exemple. Par exemple, le professeur dit : « Si un quadrilatère a deux angles droits, alors c’est un rectangle. » Les élèves trouvent un contre-exemple, c’est donc faux. Le professeur dit : « Si un quadrilatère a trois angles droits, alors c’est un rectangle. » Les élèves cherchent un contre-exemple, ils n’en trouvent pas : serait-ce vrai ? Comment alors prouver qu’il n’y a pas de

contre-Chapitre 9 (Deuxième partie) - Un regard sur les pratiques et le rapport existant des élèves à la preuve

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exemple ? La preuve retrouve sa fonction essentielle qui est de réduire le doute. Nous renvoyons à Weil88 (1943) :

[…] Il n’y a pas à choisir entre la démonstration et l’expérience. On démontre avec du bois ou du fer aussi facilement qu’avec de la craie.

Il y aurait une manière simple d’introduire la nécessité géométrique dans une école professionnelle, en associant l’étude et l’atelier. On dirait aux enfants : « Voici un certain nombre de tâches à exécuter (fabriquer des objets satisfaisant à telles, telles et telles conditions). Les unes sont possibles, les autres, impossibles. Exécutez celles qui sont possibles, et celles que vous n’exécutez pas, forcez-moi à admettre qu’elles sont impossibles ». Par cette fente, toute la géométrie peut s’introduire dans le travail.

L’exécution est une preuve empirique suffisante de la possibilité, mais pour l’impossibilité il n’y a pas de preuve empirique ; il y faut une démonstration. L’impossibilité est la forme concrète de la nécessité.

Adopter le point de vue du faux permet aussi de restaurer un certain enjeu de

vérité dans les questions traitées en classe. Nous allons voir l’intérêt de ce point de vue dans les preuves sur les problèmes qui suivent, notamment dans l’utilisation du raisonnement par l’absurde. Si l’on reprend par exemple la phrase de Sam dans le dialogue vu au paragraphe 1, cela pourrait devenir :

− Supposons que les trois droites ne sont pas concourantes…, commence Sam.

88 Simone Weil, philosophe

CHAPITRE 10 LE CENTRE DE SECOURS

« Ses idées tournaient autour d’un point fixe comme les phalènes autour d’une lampe ; il ne parvenait pas à les fixer ; le plus important lui échappait. » (Marguerite Yourcenar, Anna, soror…, 1981)

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