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Le rapport existant des élèves à la preuve « C’est une petite erreur » « C’est une petite erreur »

U est aussi un ensemble élémentaire

1. Le rapport existant des élèves à la preuve « C’est une petite erreur » « C’est une petite erreur »

Dans une classe de seconde, le professeur a proposé à ses élèves de se prononcer sur le vrai ou le faux d’une résolution d’inéquation et de justifier leur évaluation. Le texte ci-dessous en caractères italiques est celui qui est proposé par le professeur.

Voici l’énoncé d’un exercice et une solution proposée par un élève. La solution est-elle vraie ou fausse ? Justifier.

Enoncé : résoudre dans IR l’inéquation (2 x – 3) (6 – 3 x) ≥ 0 Solution proposée par l’élève :

(2 x – 3) (6 – 3 x) ≥ 0 (2 x – 3) ≥ 0 et (6 – 3 x) ≥ 0 2 x ≥ 3 et –3 x ≥ –6 x ≥ ! 3 2 et x ≤ 2 D’où S = ! 3 2 ; + " # $ % # $ % I &" ; 2

] ]

= 3 2 ; 2 # $ % ' ( )

Nous ne comprenons pas très bien l’objectif du professeur. Est-il question de travailler les trous dans une preuve ? En effet l’inéquation de départ est bien équivalente à : ! 2x " 3 = 0 ou 6 " 3x = 0

[ ]

ou 2x " 3 > 0 6 " 3x > 0 # $ % ou 2x " 3 < 0 6 " 3x < 0 # $ % .

Ce dernier système n’a pas de solution, donc l’inéquation de départ est équivalente à

! 2x " 3 = 0 ou 6 " 3x = 0

[ ]

ou 2x " 3 > 0 6 " 3x > 0 # $ % , et donc à « 2 x – 3 ≥ 0 et 6 – 3 x ≥ 0 » qui a bien pour ensemble de solutions

!

3 2 ; 2 " #

$ % & ' . L’équivalence n’est pas signalée dans la solution de l’élève, ni la raison. Mais si l’on considère que le passage d’une ligne à la suivante se fait par équivalence, bien que cela ne soit pas mentionné, on ne peut pas invalider cette résolution. Par contre, il est fort probable que le professeur attende que le passage de la première à la deuxième ligne soit justifié, n’acceptant pas le trou qui correspond au fait que le système constitué par les deux facteurs strictement négatifs n’ait pas de solution. Il est même fort possible que le professeur souhaite

« un tableau de signes ». Mais là n’est pas notre propos, ce qui nous intéresse ici est la correction de cette copie, proposée par un élève (de seconde).

Voici sa réponse, telle qu’il l’a écrite (une copie de l’original figure en annexe à ce chapitre) :

[Une flèche pointe vers l’inéquation x ≤ 2 de l’énoncé ci-dessus] x ≥ 2 car un négatif avec un négatif fait un positif.

C’est juste a part cette petite erreure, le reste, reste juste.

Pour justifier que l’inéquation correcte est x ≥ 2 au lieu de x ≤ 2 (ce qui est faux), il fait un amalgame entre la « règle » selon laquelle une inégalité entre nombres réels du type a ≥ b est équivalente à a / c ≥ b / c dans le cas où c est strictement positif et l’autre « règle » de calcul qui dit que le quotient d’un nombre négatif par un nombre strictement négatif est positif. L’équivalence entre –3 x ≥ – 6 et x ≥ 2 peut être invalidée par un contre-exemple. Là n’est cependant pas l’essentiel de ce que nous voulons montrer avec cet épisode. Il réside plutôt dans le fait que l’élève pense que c’est une « petite erreur » : en effet, il pense qu’il faut juste écrire le signe ≥ à la place du signe ≤ et que cela ne change pas le reste.

Ce que nous désignons ici est le fait que l’élève considère comme peu grave de devoir simplement écrire un symbole à la place d’un autre, ne mentionnant pas ce que cela entraîne pour la suite de la preuve. Le rapport existant de cet élève à la preuve ne repose pas sur le raisonnement mathématique, essentiellement ici l’équivalence entre les inéquations ou systèmes d’inéquations : il s’agit seulement de faire des calculs en suivant des règles plus ou moins sues, la volonté de preuve est absente. L’élève ne se situe pas là où l’espère le professeur. On pourrait remplacer cet exemple par beaucoup d’autres, qui attestent de ce même type de rapport à la preuve, qu’on peut décrire par : une erreur dans une preuve (d’ailleurs il est fort probable que l’élève ne voie pas qu’il s’agit d’une preuve83) peut se corriger comme une faute d’orthographe, il suffit de rectifier là où elle apparaît sans modifier le reste.

« Il n’a pas le droit de… »

Il s’agit de la même classe de seconde que la précédente, l’énoncé de départ et la question du professeur sont les mêmes. Voici la réponse telle qu’elle est écrite par un autre élève (une copie de l’original figure en annexe à ce chapitre) :

La solution proposée par l’élève est fausse car dans la solution l’élève a écrit

S = [3/2 ; +∞[ ∩ ]–∞ ; 2] ( = [3/2 ; 2]) il n’a pas le droit d’écrire sont résultat final de cette façon il doit écrire S = [3/2 ; 2].

Pour cet élève le faux vient d’une écriture incorrecte de l’ensemble des solutions, incorrecte non pas sur le fond, mais sur la forme. Il fait référence au droit : en mathématiques, on impose des façons de présenter comme on impose de « rouler sur la voie de droite » dans le code de la route en France. Ce que nous

83 Certains enseignants que nous avons interrogés ne considèrent pas que la résolution d’une inéquation (ou d’une équation) est une preuve.

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montrons ici, c’est que l’élève invalide une réponse à cause de sa forme, il ne se préoccupe pas du tout du fond, c’est simplement une mauvaise présentation de la réponse. Nous rapprochons ce fait du comportement de certains professeurs qui rejettent des démonstrations lorsque les élèves rédigent leur justification en employant « car ».

Cet exemple permet d’introduire le débat sur l’usage d’un formalisme qui n’est pas justifié sur le plan mathématique, mais qui est imposé par contrat. On remarque d’autant plus cette prégnance du formalisme en classe que c’est un élève qui y fait référence. On peut évidemment remplacer cet épisode par tout exemple où l’élève invoque « qu’il n’a pas le droit » de faire telle ou telle chose en mathématiques, parce qu’on lui a imposé de procéder ainsi, et non pas pour des raisons mathématiquement fondées.

« On sait que… »

Nous avons déjà évoqué l’utilisation de cette expression dans le contrat usuel relatif à la preuve, sa présence dans les manuels. Il s’agit ici d’un court dialogue entre deux élèves d’une classe de première scientifique, saisi à leur insu par leur professeur :

« Soit I le point d’intersection des trois droites…, commence Sam. - Mais tu ne sais pas qu’elles sont concourantes ! répond Marielle.

- Mais si ! Je le sais, qu’elles sont concourantes ! On me demande de le démontrer, c’est que c’est vrai ! »

Dans cet épisode, le contexte est strictement mathématique : deux élèves sont en train de traiter un exercice où il s’agit de démontrer que trois droites sont concourantes. Sam a parfaitement intégré les règles du fonctionnement scolaire : si on lui demande de démontrer quelque chose, il n’a aucun doute, ce ne peut qu’être vrai. Cependant il commence sa preuve par l’existence de l’objet qu’il veut prouver84, ce qui est dénoncé par Marielle. Celle-ci est persuadée aussi, par la forme de la question posée (que l’on suppose être : montrer que les droites sont concourantes), qu’elles sont bien concourantes, mais contrairement à Sam, elle a compris certaines règles du jeu de démonstration : elle sait que les droites sont concourantes, mais elle se dit qu’on ne le sait pas. Dans sa réponse, elle utilise « tu ne sais pas que » pour signifier à Sam que le fait que les droites sont concourantes est la conclusion à laquelle il s’agit d’aboutir, que ce n’est pas une hypothèse. Nous pensons qu’elle a retenu qu’un texte de démonstration se présentait sous une forme imposant que l’expression on sait que soit suivie des hypothèses.

Ce dialogue permet d’abord d’évoquer, avec les enseignants, toute l’ambiguïté de l’utilisation de on sait que, quand il s’agit de faire une preuve : par contrat, cette expression introduit une hypothèse du problème ou un résultat démontré dans le

84 Une méthode pour démontrer que trois droites du plan sont concourantes consiste à

démontrer que le point d’intersection de deux d’entre elles (sous réserve de son existence) appartient à la troisième. Sam a peut-être confondu au départ « point d’intersection de deux droites » avec « point d’intersection des trois droites », c’est une hypothèse.

cours de la résolution. Savoir que les droites sont concourantes n’a pas le statut d’hypothèse, il a celui de conclusion, ce qui ne veut pas dire que ce savoir ne doit pas être utilisé dans la preuve. Au contraire, le fait de savoir ce que l’on veut démontrer oriente la démarche, c’est aussi utile si l’on raisonne par conditions suffisantes. La reconnaissance du statut des énoncés (conjectures, proposition prouvée ou à prouver, définition…) est source de difficultés dans l’apprentissage de la démonstration. Si l’élève ne connaît ou ne reconnaît pas ce statut des énoncés, il ne peut entrer dans une démarche de preuve. Ainsi chaque fois qu’un exercice propose de démontrer une proposition donnée, qui est donc nécessairement vraie, dans le fonctionnement scolaire, l’élève doit comprendre le changement de posture qui consiste à faire comme si on ne savait pas que c’était vrai, tout en le prenant en compte pour la démarche et en utilisant l’expression on sait que pour d’autres éléments du problème. Or nous voulons montrer que l’utilisation de on sait que, imposée par le professeur avec un sens particulier, n’aide pas dans la clarification du statut des énoncés dans une preuve. Dans le langage courant l’expression on sait (que) signifie seulement que l’on a une certaine connaissance, sans rien préciser de son statut :

• on sait les données du problème à résoudre, ce qui dans la preuve prend au départ le statut d’hypothèses,

• on sait que les droites sont concourantes, ce qui doit prendre finalement le statut de conclusion,

• on sait aussi par exemple, que dans un triangle, les hauteurs sont

concourantes, ce qui pourrait (on ne connaît pas le problème à résoudre ici) constituer un théorème utile dans la démonstration de Sam et Marielle.

L’expression introduit ici une proposition qui justifie un pas de démonstration. De cet exemple, nous dégageons en formation un deuxième élément, relatif au rapport à la preuve d’un élève en classe de première scientifique. Nous ne disons pas que Sam ne devrait pas poursuivre des études scientifiques, ce que nous soulignons, c’est l’existence de beaucoup d’élèves qui se sont construit un rapport à la preuve identique à celui de Sam. Le professeur doit donc être conscient que, dans sa classe de première scientifique, mais plus encore dans sa classe de seconde ou de collège, le rapport à la preuve des élèves est très loin de celui qu’il pourrait attendre.

« Il a simplement donné un exemple, il en faudrait au moins deux, et … » Nous rapportons une situation vécue et racontée par un professeur, mais par expérience, nous savons qu’elle est représentative du rapport des élèves à la preuve existant dans toutes les classes. Son objectif est de tester le vrai et le faux en mathématiques dans sa classe de seconde. Notre expérience nous conduit à dire qu’il ne s’agit pas d’une situation exceptionnelle, elle révèle des faits qui sont tout à fait courants, dans la plupart des classes85. L’énoncé comporte une proposition et quatre positions par rapport à sa valeur de vérité :

« Le carré d’un nombre positif est plus grand que ce nombre. » P1 : C’est faux car 0,52 < 0,5.

P2 : C’est vrai car par exemple 72 = 49 et 2,52 = 6,25. Quand on multiplie on obtient

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toujours un nombre plus grand.

P3 : Ca dépend, la phrase est parfois vraie et parfois fausse. P4 : C’est presque toujours vrai.

Le professeur demande alors, par écrit, à ses élèves ce qu’ils pensent de chacun des points de vue P1, P2, P3 et P4, puis fait le bilan des réponses obtenues. Celles-ci sont regroupées suivant chacun des points de vue.

Pour P1

« Cet élève a à moitié raison, mais ce n’est pas entièrement faux car… »

« L’élève a utilisé un contre-exemple, sa justification est donc bonne, mais il n’a pas traité d’autres exemples. »

« Ce n’est pas strictement faux. »

« Il a simplement donné un exemple, il en faudrait au moins deux et avec un nombre entier. » Pour P2

« Sa dernière phrase ne sert à rien. » Pour P3

« La réponse de cet élève est fausse, ça ne dépend pas, la phrase est soit vraie, soit fausse. A partir du moment où il y a un contre-exemple, une phrase est fausse. »

« Il n’explique pas sa réponse par un exemple. »

« Il a faux car un seul contre-exemple prouve que sa réponse est fausse. » « Il n’y a pas d’exemple pour justifier cette phrase. »

Pour P4

« Il n’y a pas d’exemple pour justifier cette phrase. »

« C’est vrai, il n’existe qu’une infime part d’exceptions possibles. » « Sa réponse est fausse, il y a beaucoup de réels entre 0 et 1. » « Il y a une infinité de contre-exemples. »

La phrase de départ « Le carré d’un nombre positif est plus grand que ce nombre. » est ouverte : on ne sait pas de quels nombres on parle, des entiers, des réels… ? La quantification universelle est implicite86 : un élève ne sait pas nécessairement s’il s’agit d’un nombre en particulier ou si cela concerne tout un ensemble de nombres. Mais c’est bien ce type de formulation qu’on rencontre dans beaucoup de démonstrations ou de cours de mathématiques. Il est donc légitime de regarder ce qu’en pensent les élèves quand ils utilisent, lisent ou entendent cette phrase. Ce que nous mettons en avant, dans cette formation, c’est un rapport à la preuve existant.

Nous insistons auprès des enseignants sur le fait que les réponses des élèves peuvent s’expliquer autrement qu’en disant qu’ils sont en difficulté. Ces réponses montrent en effet que les arguments sont semblables à ceux que l’on donne dans la vie courante, qu’on peut lire aussi dans les annotations des copies. Par exemple, les arguments qui sont donnés pour P1 révèlent que les élèves pensent que c’est incomplet de donner juste un contre-exemple, il y a d’autres choses à dire, comme le fait qu’il y ait des exemples de nombres plus grands que leur carré. Quand on construit une argumentation en français ou dans d’autres disciplines, c’est bien ce qui est attendu. Il ne faut pas se contenter de montrer un cas où l’on prend une position négative, il faut argumenter le pour, le contre, avant de faire une synthèse.

A l’issue de cette partie

Nous invitons les enseignants à tester le vrai/faux dans leurs classes. Des résultats proposés par un enseignant en classe de quatrième figurent en annexe à ce chapitre. Les professeurs sont ainsi amenés à se demander comment ils peuvent aider les élèves à se construire un rapport à la preuve plus adéquat : un travail sur le vrai/faux s’avère nécessaire, à défaut duquel s’installent les malentendus, de manière durable puisque les élèves ci-dessus sont en classe de seconde et qu’ils ont donc un passé déjà important sur la preuve. Qu’ont-ils pu en saisir ? Et les autres qui n’ont pu accéder au lycée ? Ceci permet d’appuyer l’idée que le professeur doit enseigner comment entrer dans la rationalité mathématique. L’activité Circuit (évoquée à la fin du chapitre 8) peut apporter une réponse. Nous montrons aussi le risque de malentendu qui peut résulter de l’illustration des énoncés conditionnels avec des phrases du quotidien : nous renvoyons au paragraphe 4 du chapitre 7 (Les malentendus). Nous concluons cette première partie par les autres savoirs rarement

institutionnalisés, qui sont développés dans ce même paragraphe, ainsi que par la

coexistence dans la classe de trois modes de fonctionnement qui peuvent se heurter, à savoir le fonctionnement scolaire, la logique mathématique et le fonctionnement du

quotidien. Nous les identifions au travers de chacun des exemples présentés. Nous

revenons plus loin sur la quantification implicite.

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