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U est aussi un ensemble élémentaire

3. Le malentendu diagnostic échec

Le professeur diagnostique par exemple que l’élève ne sait pas faire une démonstration parce qu’il n’a pas réussi à remplir le tableau en trois colonnes « hypothèse, règle, conclusion ». Il est persuadé que ce dispositif est pertinent pour apprendre la preuve. L’échec dans le remplissage du tableau est donc interprété comme un échec dans l’apprentissage de la preuve. Certains enseignants, la majorité peut-être, pourraient dire que les deux élèves qui ont donné les réponses citées dans l’épisode de l’ami malade, ne savent pas lire les consignes. Ce type d’analyse, en terme d’échec dans la réalisation d’une tâche, conduit au mieux à des pratiques destinées à apprendre aux élèves à lire des consignes. Nous remettons ceci en question en regardant du côté des pratiques plutôt que de celui des élèves.

Le système éducatif développe actuellement beaucoup de moyens pour montrer qu’il faut enseigner en tenant compte de l’acquisition ou de la non-acquisition de capacités par les élèves. Lorsqu’on détecte qu’un élève n’a pas acquis une certaine capacité, on cherche à y remédier en lui proposant des tâches supposées adéquates. A un manque de l’élève, on tente ainsi de faire correspondre des tâches destinées à combler ce manque. Les enseignants viennent alors en formation pour trouver des tâches bien ciblées par rapport à certaines défaillances supposées des élèves et on tombe dans ce que l’on appelle la différenciation. Ce qu’on ne remet jamais en cause dans ce fonctionnement, ce sont ces diagnostics d’échecs. On ne regarde pas les raisons qui peuvent conduire un élève à donner une réponse qui sera interprétée ensuite comme révélatrice qu’il n’a pas acquis une connaissance ou un savoir-faire. On ne regarde pas les pratiques des enseignants qui peuvent conduire à ces comportements d’élèves. Or c’est justement ce que nous proposons, écartant l’analyse primaire de certains échecs en termes de manques de la part de l’élève. Ce faisant, nous nous opposons au courant dominant actuellement dans les établissements scolaires — diagnostic d’échec à une compétence, remédiation, individualisation de l’enseignement (différenciation) — ce genre70 dominant étant

lui-même, à notre sens, le fruit de malentendus sur ce que recouvre le terme de

70 Le genre est un ensemble ouvert de règles, de conventions, d’actions pour agir, non écrites, à la fois contraintes et ressources qui définissent, dans un milieu donné, l’usage des objets et l’échange entre les personnes. (Clot 1999)

compétence71, sur les moyens d’évaluer leurs degrés d’acquisition. Mais nous ne développerons pas ces points dans ce travail.

A l’occasion d’un stage sur la démonstration en 199572, un professeur nous communiqua des copies qui lui semblaient révélatrices des difficultés de ses élèves par rapport à la démonstration. Dans sa classe de quatrième, il avait proposé en devoir surveillé l’énoncé suivant :

BLE est un triangle isocèle de sommet principal L. La parallèle à (BL) qui passe par E et la parallèle à (LE) qui passe par B se coupent en U. Démontre que (BE) est perpendiculaire à (LU).

Voici la copie de Farida.

71 Ce terme recouvre de multiples définitions. Nous reprenons celle de Roegiers (2000) : « La compétence est la possibilité, pour un individu, de mobiliser de manière intériorisée un ensemble intégré de ressources en vue de résoudre une famille de situations-problèmes. » Nous précisons en référence à l’Institution : dans le rapport n°2007-048 de l’Inspection générale, on lit une suite de caractéristiques des compétences, du point de vue institutionnel, basées sur « des mots-clés * transversalité : les compétences recouvrent plusieurs disciplines, elles s’exercent dans des situations variées ;

* contextualisation / décontextualisation : la compétence doit être maîtrisée et évaluée à travers des situations concrètes, les plus proches possibles de celles rencontrées dans la vie réelle ;

* complexité : les tâches, les situations de mise en œuvre des compétences sont par essence complexes, requérant la mobilisation de savoirs, savoir faire, capacités, attitudes variées ;

* intégration : les compétences intègrent diverses disciplines, diverses facettes (capacités, attitudes, connaissances). »

72 Chaque année, depuis 2004, nous recueillons des productions du même type que celles de Farida. Plusieurs d’entre elles figurent en annexe au chapitre 8.

Chapitre 7 (Deuxième partie) - Les malentendus

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Cette copie révèle des éléments du contrat didactique relatif à la démonstration en vigueur dans la classe, tel que nous l’avons décrit dans le chapitre 2. Les tâches proposées à Farida pour l’apprentissage de la preuve reposent sur l’utilisation d’un tableau en trois colonnes comme elle l’a dessiné. Elle a bien tracé une figure illustrant l’énoncé, comme on le lui demande habituellement, elle a réécrit les hypothèses et noté ce qu’elle voulait démontrer, ces tâches préalables étant demandées par le professeur comme un rituel indépendant du projet de preuve.

Nous faisons des hypothèses sur la façon dont Farida a pu remplir son tableau. Comme le montre la première ligne, Farida a bien compris qu’elle devait écrire une donnée dans la première case du tableau : elle recopie donc, pour la deuxième fois d’ailleurs, le début de l’énoncé, « BLE est un triangle isocèle ». Elle voit sur la figure que BUE est aussi un triangle isocèle, donc que UB = UE, mais elle sait que ce n’est ni une hypothèse, ni une « règle », elle n’a donc que le choix de l’écrire dans la colonne de droite, et sur la même ligne que « BLE est un triangle isocèle », car c’est bien une des raisons pour lesquelles UB = UE. Il lui faut une « règle » à écrire dans la colonne du milieu, qui permette d’obtenir une égalité de longueurs, elle écrit donc « il a deux côtés de même longueur », ceci ayant l’avantage d’être lié en outre à l’hypothèse de la même ligne. Ainsi Farida a bien rempli sa première ligne en s’appuyant sur des indices pertinents, distinguant bien le statut d’hypothèse et celui de conclusion.

Or, en guise de premier pas, l’enseignant attendait : « on sait que BLE est un triangle isocèle, or un triangle isocèle a deux côtés de même longueur, donc

LB = LE. » La « règle » de justification attendue est donc la définition d’un triangle

cette première ligne n’est qu’une autre façon d’écrire que BLE est isocèle. Cela fait la troisième fois, sans compter celle de l’énoncé, que l’on écrit cette donnée du problème. Et nous pensons que c’est peut-être cela qui a gêné Farida pour son premier pas : la conclusion « LB = LE » est porteuse de trop peu d’information par rapport à l’énoncé et elle ne vaut pas la peine d’être écrite ; par contre, « UB = UE » est un résultat qui semble faire avancer davantage la solution du problème. Cette difficulté à comprendre ce formalisme qui nécessite d’écrire plusieurs fois la même chose ne doit pas être identifié par le professeur comme une non-compréhension de la preuve. Or c’est bien l’amalgame qui est fait. De plus, le professeur pense qu’il faut être exigeant avec les élèves sur l’écriture de tels petits pas, surtout au début de l’apprentissage de la démonstration. Notre hypothèse est contraire, d’autant plus que si l’on réfléchit à la construction du triangle BLE, faite avant la démonstration, on utilise nécessairement que LB = LE. Enfin le souci du professeur d’unifier la formalisation par l’utilisation du seul mot de règle induit une autre difficulté dans la réalisation de la tâche : une définition doit être considérée comme une règle.

En ce qui concerne le deuxième pas, Farida recopie le deuxième bloc d’hypothèses qu’elle a déjà marquées à côté de la figure. Ce qu’elle écrit comme « règle » reprend en partie ces hypothèses, « si elles sont parallèles deux à deux… » : elle a compris que les hypothèses de la « règle » à écrire dans la colonne du milieu devaient correspondre au contenu de la colonne de gauche. Ceci n’est cependant pas suffisant, elle le sait, pour conclure que LEUB est un losange, ce qu’elle a bien remarqué sur la figure. Aussi ajoute-t-elle « …et ont la même longueur » dans la colonne centrale, sans se préoccuper du sens mathématique de la proposition conditionnelle toutefois grammaticalement correcte. Farida a vu en effet que tous les côtés du quadrilatère BLEU avaient la même longueur : BL = LE vient du fait que le triangle BLE est isocèle, UB = UE vient d’être écrit à la ligne précédente du tableau, LB = UE est implicitement contenu dans « … et ont la même longueur. »

Le professeur qui nous a proposé cette copie avait identifié que Farida n’avait rien compris à la démonstration. Nous faisons l’hypothèse que ce n’est pas la démonstration que Farida n’a pas comprise, mais que c’est comment satisfaire à ce formalisme posé a priori, qui n’a pas valeur de preuve pour elle. C’est bien la pratique de l’enseignant qui est à questionner. Et nous renvoyons aux deux autres types de malentendus déjà évoqués dans le paragraphe précédent : le professeur avait auparavant constaté que beaucoup d’élèves réussissaient ce type de tâche passant par ce tableau en trois colonnes, ce rituel de réécriture des hypothèses et de ce qu’il y a à démontrer à côté de la figure, il ne s’était pas nécessairement interrogé sur la nature de ce que les élèves apprenaient de cette façon.

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