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4. Un Voyage rêvé ?

4.3 Un Voyage quête

4.3.1 Voyage et Renaissance

Le recueil Les Fleurs du Mal propose une véritable invitation à l’évasion et au voyage. Par l’expérience même du voyage, Charles Baudelaire désire s’éloigner de sa condition et de sa vie figée. Le poète veut oublier et redécouvrir ce qu’il est réellement. Le voyage devient alors véritablement synonyme de renaissance. Le poète désire provoquer la réminiscence de ce moment originel qui verrait l’avènement d’un moi nouveau purement sensible et ouvert au monde qui l’entoure.

Ainsi, l’expérience du voyage devient une véritable exploration intérieure pour le poète. Le dépaysement et l’éloignement favorisent cet approfondissement de la connaissance de soi.

Tout au long du recueil, Baudelaire évoque la place particulière du poète dans le monde. En effet, tour à tour exilé ou rejeté, Baudelaire déambule dans les rues parisiennes mais ne réussit pas à trouver sa place au sein de cet univers. Le voyage devient alors une solution face à ce mal être existentiel. Cependant, le voyage baudelairien est synonyme de rêve et d’ailleurs. C’est par le biais de l’écriture que la projection vers ce paradis perdu est rendue possible.

Au sein du recueil des Fleurs du Mal, les analogies et les métaphores représentant le poète-voyageur sont omniprésentes. Les allégories animales sont au cœur des différents poèmes constituant le recueil de Charles Baudelaire notamment à travers les oiseaux. En effet, que ce soit l’albatros ou encore le cygne ces différentes figures représentent directement le poète et sa condition particulière. L’albatros et le cygne sont incontestablement les figures phares de ce recueil. Cependant, un autre oiseau est présent au sein du recueil : le hibou. Baudelaire lui consacre un poème :

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« Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

Sans remuer ils se tiendront Jusqu’à l’heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique,

Les ténèbres s’établiront. Leur attitude au sage enseigne Qu’il faut en ce monde qu’il craigne

Le tumulte et le mouvement ; L’homme ivre d’une ombre qui passe

Porte toujours le châtiment D’avoir voulu changer de place.1

»

D’emblée, ces oiseaux nocturnes sont comparés à des dieux, soulignant leur suprématie :

«Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers,2 ».

Cette comparaison place les hiboux au même rang que l’albatros ou le cygne également assimilés à des animaux supérieurs et majestueux. Les deux quatrains soulignent la description précise de ces hiboux entre ombre et lumière. En effet, les premiers vers exposent un portrait sombre de ces oiseaux de nuit. Leurs yeux rouges et leur stature reflétant une quasi immobilité soulignent cet aspect particulier:

« Sous les ifs noirs qui les abritent, Les hiboux se tiennent rangés, Ainsi que des dieux étrangers, Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

1OC, Tome 1, Les Fleurs du Mal, LXVII, Les Hiboux, Page 67.

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Sans remuer ils se tiendront Jusqu’à l’heure mélancolique Où, poussant le soleil oblique,

Les ténèbres s’établiront.1

»

La description de l’environnement entourant ces oiseaux accentue cette vision obscure présente dans les vers ouvrant ce sonnet. Les ifs2 mais également le crépuscule naissant participent à ce décor inquiétant dans lequel évoluent ces hiboux. Tout comme le poète, ces oiseaux sont véritablement sujets au spleen comme l’évoque clairement le vers 6 :

« Jusqu’à l’heure mélancolique ». De

plus, ces oiseaux sont conscients du caractère éphémère de la vie, élément qui les rend d’autant plus comparable au poète. Ce dernier est également lucide face à la fin imminente qui plane sur lui :

« Où, poussant le soleil oblique Les ténèbres s’établiront.3

»

Les hiboux restent impassibles et résignés en attendant que leur heure vienne : « Sans remuer ils se tiendront 4». La seconde partie du poème propose une trame relativement différente. A travers ces tercets, Baudelaire souligne et glorifie l’attitude exemplaire de ces oiseaux de nuit. Malgré les qualificatifs sombres les caractérisant, ces animaux sont avant tout désignés par leur sagesse et leur intelligence :

« Leur attitude au sage enseigne Qu’il faut en ce monde qu’il craigne

Le tumulte et le mouvement ;5 »

En effet, ces oiseaux de nuit semblent avoir trouvé leur bonheur dans cette philosophie de vie. Ils se cachent du monde extérieur afin de se protéger et de

1OC, Tome 1, Les Fleurs du Mal, LXVII, Les Hiboux, Page 67, Vers 1 à 8.

2If : Arbre de la famille des conifères, à feuillage persistant vert sombre et aux baies rouges

3

OC, Tome 1, Les Fleurs du Mal, LXVII, Les Hiboux, Page 67, Vers 7 et 8.

4Ibid. Vers 5.

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pouvoir vivre leur vie sans avoir à se soucier du jugement des autres. Baudelaire semble éprouver une forte admiration pour ces oiseaux de nuit et dans le dernier tercet venant clore le sonnet, le poète oppose vivement l’attitude de l’Homme à celle de ces animaux mystérieux :

« L’homme ivre d’une ombre qui passe Porte toujours le châtiment D’avoir voulu changer de place.1

»

Baudelaire souligne à travers ces quelques vers la fatalité de l’Homme condamné à rester enfermé dans une condition synonyme de prison éternelle. Par le biais du voyage, l’Homme tente de se divertir et de s’échapper de cette condition. Cependant, malgré les différentes tentatives, l’Homme ne peut trouver un véritable échappatoire. Il est constamment rattrapé par sa condition, élément fondateur de sa personne, le confrontant chaque jour à la réalité et à la désillusion.

L’albatros représentait le besoin profond d’évasion et la nécessité d’atteindre un ailleurs reflétant le paradis perdu ; le cygne exposait le statut d’exilé propre au poète et sa volonté de révolte ; le hibou quant à lui reflète une dimension plus terre à terre venant s’opposer aux deux autres figures. En effet, l’albatros et le cygne semblent refléter le rêve profond du poète qui désire s’évader vers un idéal et lutter contre son statut le plaçant hors du monde. Le hibou quant à lui semble confronter le poète à sa solitude, mais aussi aux éléments qui le constitue de manière à part entière. Le poète ne doit plus lutter contre sa nature.

Déjà, à travers ce court poème, Baudelaire amorce la conclusion de son recueil et de ce fait de son voyage intérieur.

Ainsi, c’est notamment à travers l’utilisation de figures d’oiseaux que Baudelaire crée de véritables doubles à son effigie. Ces trois oiseaux reflètent différents désirs et facettes propres au poète. De plus, le choix de ces animaux

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ne semble pas anodin. En effet, les oiseaux reflètent parfaitement le voyage et l’évasion. Tout comme eux, Baudelaire désire s’envoler vers un ailleurs synonyme d’idéal.