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2. Charles Baudelaire : un poète voyageur

2.2 Le second voyage de Charles Baudelaire : la fuite vers la Belgique (avril 1864-

2.2.3 Une brusque désillusion

Les premiers jours de Charles Baudelaire en Belgique résonnent comme une renaissance pour le poète. Il semble avoir trouvé auprès du peuple belge une oreille attentive et compréhensive. Armé d’une confiance nouvelle, Baudelaire semble prêt à assouvir son désir d’être considéré comme un artiste reconnu. La découverte de ce pays d’exil lui fournit de nouvelles images qui viennent nourrir sa poésie et lui procure un nouveau souffle. Mais, cet accueil chaleureux semble n’être qu’éphémère. Malgré le succès de sa première intervention, Charles Baudelaire doit rapidement faire face à ses premiers refus et à ses premiers détracteurs. Progressivement, les projets de conférences du poète français sont ajournés et son insertion dans le cercle privé des Hommes de Lettres apparait plus difficile. En dépit de l’investissement total du poète et de son enthousiasme

1 OC, Tome 2, Exorde de la Conférence faire à Bruxelles en 1864 sur Eugène Delacroix,

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à toute épreuve, les résultats sont peu concluants. Le 14 juillet 1864, le poète ira jusqu’à écrire ses profondes déconvenues à Narcisse Ancelle, notaire et maire de Neuilly-sur-Seine mais aussi tuteur de Baudelaire :

« Mon cher Ancelle,

Tout a échoué. Un mouchard ne peut pas réussir dans une ville aussi défiante. J’ai été malade (diarrhée continue, palpitations du cœur, angoisses d’estomac) pendant deux mois et demi ! Le joli voyage ! Cependant, je veux qu’il me serve à quelque chose, et je fais un livre sur la Belgique, dont les fragments paraitront au Figaro. La question des mœurs (mœurs, politique, clergé, libres-penseurs) est déjà rédigée ! Maintenant, il faut voir Anvers, Bruges, Malines, Liège, Gand, etc… […] »

Malgré ses nombreuses connaissances, Baudelaire essuie les refus. La Belgique expose un autre visage au poète, celui de l’exclusion. Fuir n’était pas la solution mais une manière de retarder l’échéance. Le voyage devenu synonyme d’exil échoue car le poète semble poursuivi par ce sentiment d’éviction déjà présent dans la capitale française. Dans cette lettre, Baudelaire propose également l’idée de l’écriture d’un ouvrage consacré à la Belgique. Face à cette opposition constante, le poète alimente progressivement une haine envers le pays. Cette colère, le poète va la déverser dans cet ouvrage, véritable exutoire et résultante de l’aversion envers le territoire belge. Pauvre Belgique !, véritable pamphlet contre le pays, voit le jour. Sous forme de notes, plus ou moins longues, Baudelaire expose les mœurs et les coutumes belges qui ont favorisé ce sentiment de répulsion. Chaque détail y est exposé de manière à représenter la vision de la Belgique selon le poète, amèrement touché par un énième échec :

« La fin d’un écrit satirique, c’est d’abattre deux oiseaux avec une seule pierre. A faire un croquis de la Belgique, il y a, par surcroît, cet avantage qu’on fait une caricature de la

France.1 »

Le but premier de Baudelaire est clairement présenté. Tout en fixant un portrait personnel de la Belgique, il désire également régler ses comptes avec la capitale française. Sous forme de nombreux paragraphes, Baudelaire expose différents

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aspects du pays et plus précisément de Bruxelles, tout en conservant son éloquence. De cette manière, Baudelaire évoque les odeurs, les sensations, les coutumes, l’architecture mais aussi les us et coutumes du pays entre autres. Le poète emploiera aussi sa plume à décrire avec inimitié le physique du peuple belge :

« PHYSIONOMIE DES BELGES

L’œil effaré, gros, stupide, fixe. Malhonnêteté apparente, tient simplement à la lenteur de la vision. Belges qui marchent en se retournant, et qui enfin tombent par terre.

Construction des mâchoires, épaisseur de la langue. Sifflement, prononciation lente et pâteuse.1 »

La blâme de Baudelaire est vigoureux et expose le ressentiment du poète envers la population belge. Outre cette première publication, Baudelaire a également consacré une autre œuvre critique envers la Belgique. Amoenitates Belgicae, prolonge ce réel antagonisme entre le poète et le lieu de son exil, mais cette fois ci sous forme versifiée. La virulence des propos du poète est toujours présente :

« La Belgique se croit toute pleine d’appas ; Elle dort. Voyageur, ne la réveillez pas.2 »

Ou encore dans le poème suivant, L’inviolabilité de la Belgique3, ou le choix du

lexique expose la dureté du poète :

« Qu’on ne me touche pas ! Je suis inviolable ! Dit la Belgique. – C’est, hélas ! Incontestable.

Y toucher ? Ce serait, en effet, hasardeux, Puisqu’elle est un bâton merdeux. »

Baudelaire multiplie les provocations à l’encontre du peuple belge. Cette haine devient un véritable moteur pour Baudelaire qui rédigera ces notes et ces poèmes en peu de temps désirant montrer au plus vite la face cachée de ce pays.

1OC, Tome 2, Pauvre Belgique !, fragment 14, Pages 830-831.

2 Op. Cit., Amoenitates Belgicae, Le rêve belge, Page 971.

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Loin d’être objectives ces réflexions sur la Belgique sont donc davantage le fruit des conséquences de ce voyage sur le poète. Anéanti après un nouvel échec dans un pays dans lequel il portait pourtant tant d’espoirs, Charles Baudelaire est confronté à ce même schéma d’éviction qui semble se répéter inlassablement quel que soit le lieu choisi. Que ce soit en France ou en Belgique, le voyage est un échec pour le poète dans cette volonté de se reconstruire et de s’affirmer. De plus, ce voyage à Bruxelles aura également une forte incidence sur la santé de Charles Baudelaire. Déjà malade depuis le début de l’année 1862, cet exil devint synonyme de fatalité pour le poète.

En effet, le sort semble poursuivre le poète car ce voyage en Belgique sera le dernier. Malgré les nombreuses mises en garde, les excès et l’état mental du poète se dégradent progressivement. C’est lors d’une ultime crise en Belgique que le poète est rapatrié en France, paralysé et aphasique. Comme le souligne Claude Pichois dans son ouvrage, Baudelaire1 :

« Il partit enfin pour Bruxelles dans la dernière décade d’avril. Il ne gagnait pas la Belgique. Il perdait la France. Le voici, solitaire, sur le chemin de la mort.»

Cet ultime voyage en Belgique résonne à nouveau comme une défaite pour Charles Baudelaire. Pourtant fasciné par ce pays et y portant de lourds espoirs, le poète finira par retrouver ces aspects nocifs déjà présents dans la capitale française qu’il tentait pourtant de fuir. Exilé, incompris et rejeté, Baudelaire se retrouve confronté à ce sentiment de solitude fondateur de sa personnalité. Déjà présent lors de son premier voyage aux Mascareignes, cet isolement se retrouve à nouveau dans cette dernière tentative viatique. Résonnant comme un ultime échec, cet exil fournira toutefois un dernier élan d’inspiration exposé à travers l’écriture des deux ouvrages critiques et violents envers la Belgique.

Ces deux expériences viatiques laissèrent un goût amer chez Baudelaire. Synonymes de désillusions, ces voyages se rythmèrent par une succession

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d’échecs dans lesquels le poète réussit tout de même à faire jaillir un pouvoir créateur.