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Chapitre 3 Méthodologie

3.3 Volets méthodologiques

3.3.2 Volet qualitatif

L’empathie envers les membres de l’exogroupe, tout comme la plupart des émotions intergroupes (Mackie et Smith, 2003), est souvent le produit d’une construction collective du sens et est fréquemment régie par les normes sociales26 (Garcia-Prieto Chevalier, 2009). C’est d’ailleurs la

dynamique interactionnelle inhérente aux entretiens de groupe ainsi que leur potentiel à générer la discussion et à faire émerger les concepts inattendus qui nous ont motivée à avoir recours à cette technique de collecte. À ce propos, Touré (2010) souligne que « [l]e groupe aurait un caractère sui

generis, une dynamique qui lui serait particulière, de telle sorte qu’il détermine les comportements et

25 Le caractère positif ou négatif du message.

26 Pensons notamment à la discrimination directe et ouverte envers certains groupes minoritaires, notamment envers les

attitudes des individus qui s’y rattachent. Par conséquent, toute intervention psychosociologique doit prendre en compte cette dynamique pour qu’elle atteigne ses objectifs de changement » (p. 9). À nos yeux, il était important d’examiner, dans un contexte de dynamisme groupal, comment les personnes réagissent face aux publicités anti-discrimination et d’ainsi découvrir ce qui freine ou stimule leurs réactions empathiques. Les entretiens de groupe sont particulièrement pertinents pour inciter les débats et les conversations autour de sujets délicats (Kitzinger, Markova et Kalampalikis, 2004). À la lumière de nos lectures, nous avons estimé que les entretiens de groupes étaient plus susceptibles, comparativement aux entretiens individuels, par exemple, de favoriser l’expression libre et fluide des participants, puisqu’ils amoindrissent la pression sur l’individu et peuvent créer un environnement favorable à l’émergence de toutes les opinions, même les plus controversées (Hollander, 2004; Krueger, 1998). « Depending on their composition, groups can sometimes actively facilitate the

discussion of otherwise “taboo” topics because the less inhibited members of the group “break the ice” for shyer participants or one person’s revelation of “discrediting” information encourages others to disclose […] », explique Kitzinger (1994, p. 111). Même si nous ne nous intéressions pas directement à la discrimination vécue ou perçue, notre objet d’étude, soit l’empathie ressentie envers les groupes discriminés, pouvait toucher à des questions sensibles liées aux préjugés, aux stéréotypes, à différentes formes de discrimination, considérés comme étant des sujets tabous et délicats.

Dans le cadre de notre recherche, les entretiens de groupe étaient qualitatifs et leur structure était souple et évolutive. Chaque entretien de groupe a eu lieu suivant le visionnement des publicités, ce qui a facilité l’introduction du sujet de discussion et nous a évité de devoir poser des questions trop précises pour lancer la discussion. Cette méthode de collecte de données est celle à laquelle nous avons accordé le plus d’importance. C’est notamment durant les entretiens de groupe que nous avons pu déterminer si, et à quel point, les notions abordées précédemment – la similarité perçue, l’identification et la pertinence personnelle – constituent des antécédents de la réponse empathique dans ce contexte. En ce qui a trait au cadrage émotionnel, la manière dont la problématique est traitée peut soit entraver, soit faciliter l’émergence des processus liés à l’empathisation. Ainsi, il s’avérait pertinent de questionner les participants sur leurs réactions à l’égard des différents tons publicitaires. Au surplus, les entretiens de groupe nous ont permis d’explorer davantage d’autres antécédents potentiels ignorés par les méthodes inadaptées pour repérer les réponses plus subtiles et plus nuancées.

Par ailleurs, dans le cadre de notre recherche, les entretiens de groupe ont été mobilisés, d’une part, à des fins « diagnostiques » (Ereaut, Imms et Callingham, 2002, dans Marchand et Giroux, 2010), c’est-à-dire à des fins d’exploration et de développement des connaissances sur les antécédents de la réponse empathique et, d’autre part, à des fins pratiques. À cet effet, nous avons orienté notre recherche, bien que de façon secondaire, vers des objectifs « pronostiques » (Ereaut, Imms et Callingham, 2002, dans Marchand et Giroux, 2010). En d’autres termes, notre recherche peut s’avérer utile pour, par exemple, des organismes ainsi que pour les intervenants réalisant la conception et la mise en œuvre d’interventions pour lutter contre la discrimination, leur facilitant la prise de décisions ou le passage à l’action sur la base des résultats obtenus. Ainsi, nos entretiens de groupe ont été mobilisés dans le but de comprendre davantage les réactions individuelles face aux publicités sociales anti-discrimination et d’explorer les antécédents qui pourraient favoriser le déclenchement des réactions empathiques envers les groupes discriminés.

3.3.2.1 Canevas d’entretien

Comme les entretiens que nous avons dirigés étaient semi-directifs, il était nécessaire d’élaborer un canevas d’entretien (Mayer et Saint-Jacques, 2000). Dans l’intention d’aborder tous les thèmes, nous avons rédigé un guide d’entretien en nous appuyant sur les points et les conseils mis en avant par Krueger (1998) et Mayer et Saint-Jacques (2000). Celui-ci se trouve à l’annexe B. Les questions présentées dans le guide ont évolué et certaines questions ont même changé au fil des entretiens. Le guide était donc ajusté au besoin à la fin de chaque entretien, en préparation à celui qui suivait. Les changements effectués ont été documentés dans le journal de la chercheuse et ont également fait l’objet d’analyses subséquentes.

3.3.2.2 Analyse des verbatim

Souscrivant aux principes d’analyse inductive, nous avons suivi les quatre étapes techniques d’analyse thématique et de codification menant à la réduction des données (Blais et Martineau, 2006; Braun et Clarke, 2006; Clarke et Braun, 2013; Mayer et Deslauriers, 2000). Dans cette logique, la première étape consistait à préparer le matériel à analyser. Aux fins d’analyse, nous avons transformé les enregistrements audiovisuels en documents textuels numériques. Dans le but d’effectuer la transcription la plus exacte et complète possible, nous avons transcrit le contenu des entretiens mot à mot. De plus, nous avons consigné le contexte dans lequel s’est déroulé l’entretien et nous avons également tenu compte du langage non verbal des participants (Bailey, 2008). Nous avons entrepris

la transcription du premier entretien aussitôt celui-ci terminé. Le fait d’avoir procédé ainsi nous a permis de constater que certaines de nos formulations n’étaient pas assez claires et, devant ce constat, nous avons eu l’occasion d’ajuster nos questions pour les entretiens subséquents.

Nous avons tenu un journal de bord tout au long de notre processus de recherche, dans lequel ont été transcrites toutes les notes prises pendant et après les entretiens. Dans ce journal étaient aussi notés, entre autres, le déroulement des entretiens, nos impressions, nos sentiments, les résumés des entretiens, les grands thèmes abordés et l’actualité. Il apparaît ici opportun de mentionner qu’une partie de notre collecte de données s’est déroulée à peine quelques jours après l’attentat de la Grande mosquée du Québec. Nous avons tenu compte de ce contexte tout particulier et surtout étroitement lié à notre objet d’étude dans nos analyses. D’ailleurs, tenir un journal de bord revêt une importance fondamentale en recherche qualitative. Non seulement cela permet d’assurer la traçabilité de l’analyse et du raisonnement, mais la scientificité d’une recherche qualitative repose sur la capacité du chercheur à expliciter sa démarche (Lejeune, 2014, 2016).

Une fois les entretiens rendus anonymes, nous sommes passée à la deuxième étape de l’analyse inductive, qui consiste en la préanalyse ou la « lecture flottante » (Braun, Clarke, Hayfield et Terry, 2019; Mayer et Deslauriers, 2000). En fait, il s’agit d’une lecture approfondie dans le but de s’imprégner du matériel à analyser. Nous avons alors lu nos transcriptions à plusieurs reprises afin d’acquérir une vue d’ensemble et de « dégager le sens général du récit et de cerner les idées majeures propres à orienter le travail d’analyse » (Mayer et Deslauriers, 2000, p. 164).

La troisième étape de l’analyse implique la codification du matériel. Le codage est un aspect central de l’analyse qualitative et reflète la manière dont les chercheurs décortiquent les données pour construire quelque chose de nouveau. Comme le souligne Creswell, « [c]oding is the process of

analyzing qualitative text data by taking them apart to see what they yield before putting the data back together in a meaningful way » (Creswell, 2015, p. 156). Nous avons découpé, classifié et analysé les entrevues transcrites suivant un modèle de catégorisation mixte. Dans un modèle de catégorisation mixte, une partie des catégories sont préétablies en guise de repères, à partir du cadre théorique/conceptuel de l’étude, et les autres catégories sont induites par le matériel analysé (Bardin, 2013; Elliott, 2018; L’Écuyer, 1990). Ainsi, d’une part, nous sommes partie avec des codes a priori que nous avions puisés dans la littérature portant sur les antécédents potentiels de la réponse empathique relatifs au processus d’empathisation présentés au chapitre 2. D’autre part, notre démarche d’analyse

était caractérisée par une exploration inductive des données recueillies. Étant donné que les antécédents de la réponse empathique dans le contexte spécifique de la réception des publicités sociales visant à prévenir la discrimination demeurent peu connus, nous avons cru nécessaire de laisser émerger de nouveaux thèmes. À ce propos, Creswell souligne que « if a “prefigured” coding

scheme is used in analysis, I typically encourage the researchers to be open to additional codes emerging during the analysis » (Creswell, 2013, p. 185). En appui, Blais et Martineau (2006) mentionnent ce point pertinent : « [l]’analyse inductive se prête particulièrement bien à l’analyse de données portant sur des objets de recherche à caractère exploratoire, pour lesquels le chercheur n’a pas accès à des catégories déjà existantes dans la littérature » (p. 4). L’analyse thématique (Braun et Clarke, 2006) conduisant à la description, à l’inférence et à l’interprétation du sens des données recueillies était réalisée à l’aide du logiciel NVivo 12.5.0. et R 1.0.

Par la suite, nous avons révisé nos transcriptions, ainsi que les codes et les catégories que nous avons créés, et ce, à plusieurs reprises. Ce processus nous a permis de raffiner les catégories en les regroupant en sous-catégories. À cet effet, mentionnons notamment l’exemple de la catégorie intitulée

similarité perçue. La majorité des participants ont indiqué que le fait de percevoir une similarité entre eux-mêmes, leurs expériences, leurs vécus, leurs émotions, etc., et le scénario publicisé favorisait chez eux le désir et la capacité de se mettre dans la peau des protagonistes et à déployer leurs capacités émotionnelles vis-à-vis de ces personnages. En creusant un peu plus, nous avons pu constater que, d’une part, la similarité revêtait une importance particulière permettant de lier les expériences de nos participants à celles dépeintes dans la publicité. D’autre part, plusieurs femmes nous ont relaté qu’elles avaient beaucoup plus de facilité à comprendre le point de vue des protagonistes féminins et, par conséquent, à prendre leur perspective et à partager leur état émotionnel. Il en était de même pour plusieurs hommes aussi. Ainsi, la catégorie similarité perçue a été scindée en deux sous-catégories : similarité d’expérience et similarité de sexe.

Toujours en suivant les recommandations de Blais et Martineau (2006) et de Braun et Clarke (2006), nous avons procédé au raffinement des catégories en les classant par thèmes. Pour la plupart des codes créés ainsi que pour tous les thèmes, nous avons créé un mémo – un document rédigé par la chercheuse dans le but de documenter la logique sous-jacente à la création d’un code ou d’un thème. Les principaux thèmes retenus sont présentés dans l’article intitulé How to foster empathy in anti-

discrimination initiatives? Implication for social interventions - A qualitative approach, qui se trouve au chapitre 6.