• Aucun résultat trouvé

Antécédents inhérents au message publicitaire

Chapitre 2 Cadre conceptuel, objectifs et questions de recherche

2.2 Antécédents inhérents au message publicitaire

Les paramètres liés à la production ainsi qu’à la stratégie publicitaire forment l’objet de la prochaine section de la présente thèse.

2.2.1 Ton émotionnel de la publicité – cadrage des émotions

Lorsqu’on parle du cadrage (framing) en publicité sociale, on réfère généralement à la manière dont les arguments sont présentés dans un message. Plus précisément, les concepteurs placent l’accent soit sur les bénéfices (gains) du comportement préventif ou de la cessation d’un comportement préjudiciable (p. ex. : retrouver un joli teint à la suite de l’arrêt du tabac), soit sur les conséquences

négatives (pertes) pouvant survenir si les recommandations prônées dans le message ne sont pas suivies (p. ex. : cancer du poumon lié à l’usage du tabac). Cependant, une autre avenue de recherche, certes moins connue, a fait son chemin au courant des dernières années. Il s’agit du cadrage des émotions (emotion framing) (Kim et Niederdeppe, 2014; Nabi, 2003). Nous nous intéressons ici uniquement à cette dernière forme de cadrage.

Nabi (2013) précise que l’approche selon laquelle les émotions agissent en tant que cadres intègre les théories de l’évaluation cognitive21 et les théories du cadrage pour faire valoir que les émotions sont

elles-mêmes des cadres qui, une fois évoquées, ont une influence différentielle sur le traitement de l’information et la prise de décision. Ainsi, selon cette approche, le ton publicitaire renvoie au style du message, c’est-à-dire à la manière dont le contenu est exprimé (Dillard et Seo, 2013). L’idée de base derrière ce postulat est que les variations stylistiques (p. ex. : le rythme, le montage, etc.) façonnent la compréhension du message en sélectionnant, puis en rendant saillants certains aspects de la réalité perçue au détriment d’autres aspects (Entman, 1993, cité dans Dillard et Seo, 2013).

Le cadrage émotionnel fonctionne en présentant des caractéristiques du message qui reflètent le « thème relationnel fondamental » (core relational theme) (Lazarus, 1991) d’une émotion. Selon Lazarus (1991), chaque émotion est associée à un thème relationnel fondamental qui renvoie au facteur déclenchant de chacune des émotions et qui est, en grande partie, prédictif de la réponse émotionnelle. Ainsi, le thème relationnel fondamental de la colère consiste à faire face à une offense dégradante contre soi ou les siens, alors que celui de la peur consiste plutôt à faire face à un danger imminent et concret. Celui de la culpabilité se traduit par le fait d’avoir transgressé un impératif moral, etc. (Lazarus, 1991). Ainsi, pour susciter la peur, les concepteurs des messages publicitaires pourraient avoir recours à des images qui dépeignent une menace physique ou psychologique (le thème relationnel de la peur), alors que pour susciter la tristesse, ils pourraient mettre en scène des personnages qui vivent l’expérience d’une perte irrévocable, etc. (Nabi, 1999).

Plus concrètement, les théories de l’appraisal se penchent sur les facteurs situationnels susceptibles de déclencher une réaction émotionnelle. Selon les postulats fondateurs de cette théorie, pour comprendre une émotion, il est primordial de saisir « […] the relational meaning that has generated it,

and how that meaning was fashioned » (Lazarus, 1991, p. 606). Une fois l’émotion évoquée, la

tendance à l’action22 qui lui est associée et qui se présente généralement en réponse au thème

relationnel sert à guider le traitement de l’information (Nabi, 2003). À cet effet, Izard et Ackerman (2000) avancent que « […] induced emotion guides perception, increases the selectivity of attention, and helps

determine the content of working memory » (p. 254). Parce que les messages émotionnels ont un but précis (p. ex. : induire la culpabilité pour inciter les gens à changer les comportements discriminatoires), les tendances à l’action liées à chaque émotion devront encourager un traitement sélectif de l’information pertinente pour le but lié à l’émotion évoquée (p. ex. : si la culpabilité est provoquée, cela devrait motiver les récepteurs à chercher de l’information permettant d’atteindre le but lié à cette émotion – une manière de réparer le mal causé). De surcroît, Nabi (2003) souligne le potentiel des émotions à influencer favorablement l’attention sélective : « […] message-relevant

emotion can lead to selective processing of emotion-relevant information – the first necessary argument that emotions serve as frames that guide information processing and, in turn, decision making » (p. 229). Dans ce sens, il est admis que l’émotion active les mécanismes de l’attention sélective et agit, en quelque sorte, en tant que filtre sélectif pour guider l’action (Lemaire, 2006). Nabi stipule d’ailleurs que « [t]he emotion-as-frame hypothesis emphasizes how receivers’ emotional experiences guide their

perceptions of media messages » (Nabi, 2003, p. 242). Donc, la réaction émotionnelle des récepteurs dépend largement du cadrage émotionnel du message.

Nous partons des principes de l’approche du cadrage émotionnel pour les transposer aux messages anti-discrimination – auxquels nous nous intéressons ici. Ainsi, un tel message cadré négativement (faisant appel à des émotions négatives telles que la tristesse, la culpabilité, etc.) représente la souffrance des personnes subissant la discrimination ou les séquelles négatives liées à la discrimination vécue, tels la marginalisation, le chagrin, le manque d’estime de soi, etc. Les protagonistes aux expressions de visage tristes, la musique à évocation mélancolique ou les textes qui accentuent les conséquences néfastes de la discrimination constituent des éléments stratégiques favorisant l’émergence des émotions négatives. En revanche, un message cadré positivement met en lumière la contribution à la collectivité des minorités ethniques, leur succès ainsi que d’autres caractéristiques positives associées à leur présence dans la société. Dans ce cas, la stratégie

22 Les tendances à l’action réfèrent aux motivations inhérentes à chacune des émotions (composante motivationnelle). Par

exemple, la tendance à l’action de la colère est l’agression, celle de la culpabilité consiste à reconnaître ses torts et à s’engager dans des comportements censés réparer le mal causé. Toutefois, comme le souligne Nugier, « [l]es tendances à l’action ne s’accomplissent pas forcément. L’individu ressent néanmoins une activation physiologique intense, comme s’il allait effectivement accomplir un acte » (2009, p. 13).

publicitaire pourrait faire appel à la joie, à la fierté ou mettre en relief les points en commun ou l’identité partagée.

Dans leur étude sur les effets des messages cadrés par la tristesse (sadness framing) et la colère (anger framing), Kim et Niederdeppe (2014) avancent que les premiers sont plus efficaces pour provoquer la sympathie et l’empathie chez les récepteurs. Ils appuient cette affirmation en soulignant que les individus tristes sont perçus comme chaleureux, gentils et sympathiques et qu’il est, par ailleurs, plus facile d’éprouver de l’empathie pour les personnes que nous trouvons agréables. Étant donné que l’empathie est inextricablement liée à l’identification, Kim et Niederdeppe (2014) sont d’avis que les individus sont généralement plus portés à s’identifier aux personnes qu’ils considèrent comme sympathiques. Suivant la logique de ces auteurs, les récepteurs seront plus enclins à s’identifier aux personnes tristes et à être empathiques à leur égard.

L’empathie a généralement fait l’objet d’enquêtes qui visaient à l’induire dans les contextes liés à la détresse ou à la souffrance des autres (Bagozzi et Moore, 1994; Davis, 1996; Kim et Niederdeppe, 2014). Mais, comme le souligne Lazarus (1991), on peut aussi bien éprouver de l’empathie pour quelqu’un qui se trouve dans un état joyeux, positif, etc. Notre objectif ici est de déceler quel type de cadrage émotionnel (positif ou négatif) est susceptible de provoquer une plus forte réaction émotionnelle – empathique – concordante avec le cadre utilisé et, le cas échéant, une réponse empathique. À ce propos, Nabi (2013) soulève ce point pertinent : « [b]y considering the message

features that lead to discrete emotion evocation, we may ultimately have a better understanding of the potentially central role emotions play in understanding how message frames impact attitudes and behaviors » (Nabi, 2013, p. 385-386).