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Chapitre 2 Cadre conceptuel, objectifs et questions de recherche

2.3 Le résultat du processus d’empathisation

Dans les paragraphes qui suivent, nous abordons la réponse empathique comme résultat du processus d’empathisation. Nous nous penchons notamment sur les concepts de prise de perspective – élément central de la dimension cognitive de l’empathie – ainsi que sur la réponse émotionnelle vicariante et le souci empathique – deux constituantes principales de la dimension affective du phénomène à l’étude.

2.3.1 Dimension cognitive – Prise de perspective

Les notions abordées précédemment, notamment le repérage des similarités et le processus d’identification, constituent, selon nous, des étapes importantes à franchir en vue de s’engager dans

les opérations cognitives complexes, dont celle de prise de perspective. À la lumière de nos lectures, nous estimons que les similarités perçues entre l’endo et l’exogroupe ainsi que la capacité d’identification à l’exogroupe sont susceptibles d’exacerber la pertinence personnelle perçue de la discrimination (Cialdini, Brown, Lewis, Luce et Neuberg, 1997). À son tour, la pertinence personnelle perçue peut motiver les individus à prendre la perspective d’un membre de l’exogroupe. Dans la présente section, nous exposons le concept de prise de perspective tout en accentuant son importance au regard des relations intergroupes.

Parmi toutes les étapes qui composent le processus d’empathisation, celle qui a possiblement fait l’objet du plus grand nombre d’études est celle de la prise de perspective (Davis, 2006; Stiff, Dillard, Somera, Kim et Sleight, 1988). Les chercheurs décrivent ce phénomène comme l’habileté qu’un individu possède à s’imaginer dans la peau d’autrui et à s’engager dans des activités mentales de projection de rôle (Bernstein et Davis, 1982; Davis, 1996; Weyant, 2007). Qui plus est, la prise de perspective reflète la capacité d’une personne à se mettre à la place de l’autre, de façon contrôlée et intentionnelle, pour comprendre et anticiper ses émotions et ses réactions. En outre, ce processus est souvent défini comme la tendance à spontanément adopter le point de vue des autres et à imaginer comment l’autre est affecté par sa situation, sans confondre ses propres sentiments avec les siens (Davis, 1983a).

La prise de perspective est un processus laborieux impliquant à la fois la suppression de sa propre perspective égocentrique et la prise et le maintien de la perspective de l’autre (Davis, 1996). En ce qui a trait à notre recherche, nous considérons qu’elle contribue à réduire les préjugés et les stéréotypes négatifs entretenus à l’égard des membres de l’exogroupe (Batson, Early et al., 1997; Upshaw, Kaiser et Sommerville, 2015; Vescio et al., 2003; Weyant, 2007). Plus précisément, selon les chercheurs s’étant intéressés aux effets de la prise de perspective sur les attitudes envers l’exogroupe, se mettre à la place des individus discriminés permettrait de ressentir cette même discrimination et d’ainsi améliorer les attitudes intergroupes. Les résultats des recherches antérieures mettent en évidence que le fait de s’imaginer à la place d’autrui peut affecter l’accessibilité des stéréotypes négatifs, autrement dit leur activation et leur application (Fiske, 2008; Pagotto, 2010), notamment en raison d’un processus de fusion entre les représentations de soi et celles de l’exogroupe. Plus concrètement, la prise de perspective amoindrit les probabilités que les comportements discriminatoires se produisent, car elle favorise la transposition du concept de soi à autrui (Galinsky et Moskowitz, 2000). La prise de perspective peut également contribuer à accroître le niveau de compréhension entre les groupes

(Batson et Ahmad, 2009; Finlay et Stephan, 2000; Mealy et Stephan, 2010). Cette compréhension accrue peut, d’une part, amortir les sentiments de menace et de peur de l’inconnu qui accompagnent souvent les préjugés (Vescio et al., 2003) et, d’autre part, elle aide à réduire la perception des différences entre l’endo et l’exogroupe (Pagotto, 2010). En effet, le résultat le plus prisé qui sous-tend la prise de perspective est le fait que ce processus contribue à exacerber le sentiment d’interconnexion et d’unité (oneness) entre les groupes (Cialdini et al., 1997; Dovidio, Johnson et al., 2010). À ce propos, Galinsky et Moskowitz stipulent que « [p]erspective-taking has been shown to lead to a merging of the

self and the other, in which the perspective-taker’s thoughts toward the target become more “self-like”. After perspective-taking, there is greater self-target overlap, such that a greater percentage of self- descriptive traits are ascribed to the target » (2000, p. 709).

2.3.2 Dimension affective – Réponse émotionnelle vicariante

Comme mentionné antérieurement, le fait de se mettre à la place de l’autre et d’adopter sa perspective permet d’inférer le contenu de ses pensées et de ses émotions. En outre, l’action de projection de rôle favorise l’émergence des réactions émotionnelles induites par l’expérience d’autrui. En effet, Izard (1991) considère l’émotion comme une force motivationnelle dans les réponses empathiques. Selon ce chercheur, le fait de partager, de manière vicariante, les expériences émotionnelles des autres peut favoriser l’émergence des comportements altruistes (cité par Campbell, 1998).

Au vu des études recensées, nous constatons que les conceptualisations actuelles de l’empathie mettent en évidence que, pour qu’une véritable réponse empathique se produise, le partage de l’expérience émotive d’autrui est nécessaire (Bandura, 1979; Batson, Fultz et Shoenrade, 1987; Berger, 1962; Campbell et Babrow, 2004). À ce propos, Strayer souligne que « […] affective response

is the sine qua non of empathy, and this response can be to situational as well as expressive cues » (1987, p. 226). Par ailleurs, selon les arguments de Boller et Olson (1991), les récepteurs empathiques vivent, de manière vicariante, les conséquences des comportements discriminatoires à travers la perspective d’un des personnages avec lequel ils partagent certaines caractéristiques et avec lequel ils se sont préalablement identifiés (Boller et Olson, 1991).

Généralement, lorsqu’on parle d’empathie, on pense instinctivement au sentiment que l’on ressent pour un individu en situation de détresse. Selon Decety (2010), l’émotion ressentie doit être comparable à celle qui est éprouvée par l’autre. Sa conception de la dimension affective de l’empathie rejoint celle mise de l’avant par Eisenberg (1986) « […] pour qui l’empathie implique un isomorphisme

entre l’émotion exprimée par autrui et ressentie par soi » (Grynberg, 2013, p. 93-94). Valkenburg et Jochen nuancent ce propos en affirmant que « […] the affective dimension refers to the vicarious

affective response to a protagonists’ situation. However, the emotions of the viewer and the protagonist do not necessarily have to be identical » (Valkenburg et Jochen, 2006, p. 111). D’ailleurs, plusieurs auteurs soutiennent que la réaction affective face à la souffrance d’autrui peut ne pas être identique à l’émotion exprimée, « mais doit en tout cas être adaptée et appropriée » (Grynberg, 2013). En dépit de ces divergences, il est généralement admis que la réaction émotionnelle doit se trouver dans un juste milieu entre l’absence de réponse affective (le cas échéant, il ne s’agirait pas de l’empathie) et une réaction émotionnelle trop intense qui pourrait susciter un sentiment de détresse. En effet, une réaction émotionnelle trop semblable à celle ressentie par autrui peut générer la détresse personnelle plutôt que de l’empathie.

2.3.2.1 Souci empathique

Conformément à ce que nous avons exposé précédemment relativement au processus d’empathisation, nous sommes d’avis que celui-ci commence par l’appréhension de la situation affective et cognitive d’autrui. Pour sa part, cette appréhension conduit vers l’identification avec les personnes qui subissent des expériences négatives. À leur tour, les processus d’identification et de prise de perspective facilitent et motivent l’émergence des réactions affectives. Entre autres, ces processus cognitifs peuvent inciter les récepteurs à éprouver de la compassion et de la préoccupation générale pour les individus se trouvant dans les situations négatives (Benbassat et Baumal, 2004; Davis, 2006). À cet égard, il est intéressant de noter que Campbell et Babrow (2004) stipulent que l’identification sans souci engendre de la détresse personnelle plutôt qu’une réaction empathique. Ils précisent par ailleurs que, lorsque ce type de réaction se produit, les récepteurs orientent leurs émotions vers soi au lieu de les projeter vers la personne dans le besoin. Selon les mêmes auteurs, le souci empathique augmente le niveau d’implication des récepteurs et, par conséquent, leur motivation à traiter le message.

Par ailleurs, le fait d’observer l’angoisse d’une autre personne peut instiguer différentes réactions émotionnelles. Les deux réactions les plus communes sont la détresse personnelle et le souci empathique (López-Pérez et Ambrona, 2015). La première réfère à une réaction émotionnelle orientée vers soi, tandis que la deuxième est régie par un désir sincère de pallier la souffrance d’autrui (Batson, 2011). Le souci empathique est donc une réaction émotionnelle orientée vers autrui (Batson, Bolen,

Cross et Neuringer-Benefiel, 1986) qui est provoquée par la préoccupation pour le bien-être de quelqu’un dans le besoin. Qui plus est, la littérature suggère que le souci empathique est accompagné des sentiments de sympathie, de tendresse, de tristesse, de compassion, de préoccupation et de chagrin (Batson et al., 1991; Fultz, Batson, Fortenbach, Mccarthy et Varney, 1986; Houston, 1990). À ce propos, Batson explique que « […] empathic concern is other-oriented in the sense that involves

feeling for the other – feeling sympathy for, compassion for, sorry for, distressed for, concerned for, and so on » (Batson, 2011, p. 11). Ainsi, le souci empathique est également un état motivationnel propice à l’émergence des comportements et des attitudes altruistes (McKeever, 2015; Mealy et Stephan, 2010).