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Chapitre 1 Problématique

1.2 Problème spécifique – l’empathie et comment la susciter

1.2.1 Historique du concept

L’empathie est un phénomène qui a suscité, et continue à susciter encore aujourd’hui, beaucoup d’intérêt parmi les chercheurs d’une variété de disciplines. D’ailleurs, comme le soulignent Mikulincer et Shaver, on peut constater, au fil des dernières décennies, « […] an upsurge of interest in empathy,

compassion, altruism, and forgiveness–laudable human capacities that Abraham Lincoln called “the better angels of our nature” […] » (2010, p. 3). En appui, Batson (2011) met en relief l’importance d’approfondir les connaissances sur l’empathie et son rôle dans le regard que l’on pose sur autrui :

[m]any problems confront us today—rage and hate crimes, child and spouse abuse, neglect of the homeless, the plight of people with AIDS, exploding population and diminishing resources, the growing disparity between rich and poor (and smug callousness toward the latter), ostracism, isolation, loneliness, taunting, bullying, prejudice, oppression, racial, ethnic, and religious conflict in our schools, our society, our world. These crying needs will not wait. Empathy-induced altruism does not offer a magic solution to any of these problems, but it has the potential to contribute to solutions for each (p. 234).

Le terme empathie est dérivé du mot grec eμπatia, formé du préfixe em- (en-), pour « dans », et de

πatia (patheia, pathês, pathos), pour « émotions », « souffrance ». Autrefois, cela signifiait « souffrir de l’intérieur » (Simon, 2009). Aujourd’hui, cette faculté est plutôt attribuée à la sympathie, un phénomène souvent confondu et parfois même employé en tant que synonyme de l’empathie (Brunel et Martiny, 2004; Escalas et Stern, 2003; Wispé, 1986). Bien que l’étymologie du vocable empathie renvoie à un concept de l’antiquité, ce mot a été incorporé dans le vocabulaire anglais seulement au courant du siècle dernier. En effet, c’est vers la fin du 19e et au début du 20e siècle que l’empathie

connaît un regain d’intérêt et ce sont les adeptes de la psychologie de l’esthétique allemande qui s’intéressent intensivement au concept, qui est alors connu sous l’appellation Einfühlung (Brunel et Cosnier, 2012; Favre, Joly, Reynaud et Salvador, 2005). Plus précisément, c’est Robert Vischer, philosophe allemand, qui a forgé et introduit le concept de Einfühlung (Batson, Fultz et Schoenrade, 1987; Jorland et Thirioux, 2008; Pacherie, 2004). L’acte Einfühlung, qui signifie « ressentie de l’intérieur », « transposition de soi dans l’objet » qui nous fait « sentir de l’intérieur » ou, en anglais, « in-feeling » (Escalas et Stern, 2003) « to feel one’s way into » (Park, 2005) ou encore « vicarious

projection au travers de laquelle un sujet était supposé comprendre une œuvre d’art » (Favre et al., 2005, p. 366). Bien qu’il ne soit pas le premier à forger le terme, c’est le philosophe allemand Theodor Lipps qui « […] is remembered as the father of the first scientific theory of Einfühlung […] and unlike

his predecessors, he used the notion of Einfühlung to explain not only how people experience inanimate objects, but also how they understand the mental states of other people » (Montag, Gallinat et Heinz, 2008, p. 1261). À ce propos, Wispé (1986) maintient que Lipps était une figure centrale dans la conceptualisation de l’empathie, car il était le premier à organiser systématiquement la notion de

Einfühlung.

En ce qui concerne le mot empathie tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est le psychologue britannique Edward Bradford Titchener qui a introduit, pour la première fois, ce terme dans le vocabulaire de la langue anglaise et dans le domaine de la psychologie. Plus précisément, dans son œuvre Lectures on

the experimental psychology of the thought processes, Titchener a remplacé Einfühlung, phénomène jadis étudié principalement par Lipps, par le vocable empathy (Boulanger et Lançon, 2006; Duan et Hill, 1996). Dans sa définition de l’empathie, il lui attribue une fonction perceptive ainsi que sociale. Cette conceptualisation titchenerienne unit alors la perception et le partage des émotions d’autrui. D’ailleurs, il décrit l’empathie « […] comme un sentiment ou une projection de soi dans un objet avec des implications plus sociales, l’empathie étant alors une façon de rendre l’environnement plus humain » (Brunel et Martiny, 2004, p. 475). Cependant, l’empathie prend toute sa dimension avec les travaux du psychologue humaniste Carl Rogers et le courant de l’« Egopsychologie » (Boulanger et Lançon, 2006). En effet, l’empathie devient la pierre angulaire de sa méthode l’Approche centrée sur

la personne et la clé de la relation thérapeutique centrée sur le patient (Decety et Jackson, 2004). Dans le cadre de cette approche, le thérapeute s’immerge de manière à ressentir les sensations et les émotions que son client éprouve en lui transmettant sa compréhension en retour (Rogers, 1975). Par ailleurs, l’un des plus grands débats entourant le concept d’empathie concerne ses propres dimensions. En effet, dans le processus définitionnel, les chercheurs ont utilisé deux approches différentes (Pacherie, 2004). D’un côté, les adeptes de l’approche cognitive définissaient l’empathie en termes d’identification à autrui, où les habiletés empathiques d’un individu sont exacerbées par sa capacité à prendre la perspective d’une autre personne (Dymond, 1950; Hogan, 1969; Ickes, 1993). D’un autre côté, les adeptes de l’approche affective donnent priorité à la composante émotionnelle du concept. Les partisans de cette conceptualisation définissent ce phénomène en termes de partage d’émotions qui se traduit par une expérience affective concordante (ou similaire) à celle d’autrui (Clark,

1980; Eisenberg et Strayer, 1987; Mehrabian et Epstein, 1972; Stotland, 1969). À l’heure actuelle, un consensus semble avoir émergé et plusieurs s’accordent pour affirmer que l’empathie implique tant l’émotion que la cognition. Il est en effet impossible de saisir l’entièreté de la signification du concept d’empathie en se concentrant seulement sur une de ses dimensions (Davis, 1983a, 1996, 2006; Duan et Hill, 1996).

Outre le débat entourant la dimensionnalité de l’empathie, ajoutons que la nature même du concept ne fait pas l’unanimité dans la communauté scientifique. En parcourant la littérature existante sur le sujet, nous avons pu constater que l’étude de l’empathie peut être envisagée sous différents angles, soit comme une disposition ou un trait de personnalité relativement stable (Davis, 1983b, 1996; Mooradian, Davis et Matzler, 2011), ou bien comme une réponse à un stimulus donné (Campbell, 1998; Campbell et Babrow, 2004; Shen, 2010b, 2011, 2019). La perspective situationnelle permet aux chercheurs d’étudier davantage les effets des facteurs situationnels menant à la réponse empathique. Ainsi, l’approche situationnelle met en lumière l’importance du contexte, de la situation et de la nature du stimulus sur l’éveil empathique. Dans le cadre de notre projet de recherche, nous nous intéressons aux antécédents de la réponse empathique ainsi qu’aux conditions qui favorisent son déclenchement dans le contexte d’exposition à une publicité sociale anti-discrimination. Par conséquent, nous privilégions davantage la conception situationnelle de l’empathie.

Les sections qui suivent sont consacrées à la présentation du rôle que joue l’empathie dans le contexte de réception publicitaire ainsi que son rôle dans les relations intergroupes.