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Choisir les stratégies publicitaires appropriées

Chapitre 1 Problématique

1.1 Problème général

1.1.6 Choisir les stratégies publicitaires appropriées

Une des principales difficultés liées au marketing social, et plus précisément à la publicité sociale, consiste à choisir les stratégies les plus adéquates pour provoquer un changement d’attitude et de comportement. Pour augmenter leur efficacité, ces stratégies doivent être élaborées en prenant appui sur les constats de recherches permettant d’orienter avantageusement la conception des campagnes sociales, plutôt que sur l’intuition, comme souvent observé (Daignault, 2007; Daignault et Paquette, 2010; Fishbein, Hall-Jamieson, Zimmer, Von Haeften et Nabi, 2002; Sutton et al., 2007). Ainsi et comme soulevé par plusieurs chercheurs cités plus haut, dans le cadre des interventions publicitaires, les fondements théoriques s’avèrent primordiaux (Atkin et Rice, 2013; Fishbein et Cappella, 2006; Frenette, 2010). Les ancrages théoriques servent, d’une part, à connaître et à répertorier les stratégies les plus appropriées à adopter pour maximiser l’efficacité des interventions et, d’autre part, à mieux comprendre la complexité qui entoure le changement d’attitude et des comportements individuels (Fishbein et Cappella, 2006; Godin et Côté, 2006). Soulignons par ailleurs qu’en identifiant les variables qui influencent la persuasion, il devient plus facile d’adapter les messages et d’accroître leur efficacité (Georget, 2004, 2005; Girandola et Joule, 2008; Godin, 1991). Qui plus est, les théories de la persuasion ou de changement de comportement agissent en tant que cadres conceptuels qui permettent aux chercheurs de comprendre les mécanismes qui sous-tendent le changement des attitudes et des comportements (Fishbein et Cappella, 2006; Frenette, 2010). D’ailleurs, ces théories procurent un éclairage complémentaire sur les variables associées aux changements de comportement telles que les émotions, les normes sociales, les prédispositions individuelles, la confiance en soi et le contexte socioculturel, etc. Dans cette logique, la campagne peut miser sur l’une ou plusieurs de ces variables afin d’augmenter la probabilité que le changement escompté se produise. Étant donné les fondements émotionnels des attitudes15, il n’est guère surprenant que les émotions se

trouvent souvent au cœur des stratégies communicationnelles visant à modifier les attitudes et les comportements préjudiciables (Perloff, 2014). Toutefois, il est à noter que faire appel aux émotions

15 « Affect is a key component of attitudes […] and often constitutes the primary and determining response to social stimuli

[…] affect indeed functions as the dominant force in social attitudes (Zajonc, 2000) […] affective reactions are the major and primary driving force behind most social and interpersonal attitudes » (Forgas, 2008, p. 132).

peut entraîner certains risques. Ainsi, si la tentative d’induire une émotion, par exemple la culpabilité, est perçue par les récepteurs comme une tentative de manipulation, le risque d’effet boomerang devient exacerbé, diminuant ainsi l’intention d’accepter les comportements prônés dans le message publicitaire.

Dans le cadre des initiatives anti-discrimination, et ce, puisque les attitudes envers l’exogroupe sont reconnues comme particulièrement difficiles à changer (Batson, Polycarpou et al., 1997), les réponses contraires à celles souhaitées peuvent non seulement freiner un changement d’attitude, mais elles peuvent renforcer et exacerber les préjugés existants en plus de déclencher divers mécanismes de défense tels que l’évitement défensif (Mealy et Stephan, 2010). Par conséquent, le choix de stratégies persuasives permettant d’éviter les effets indésirables s’avère fondamental.

À cette dernière difficulté ajoutons que l’étendue et la complexité des enjeux sociaux sur lesquels portent les campagnes médiatiques requièrent une connaissance et une compréhension approfondies de la problématique en vue d’élaborer une stratégie d’intervention pertinente et efficace. Il s’agit donc de se familiariser avec les causes et les solutions connues pour le problème en question dans le but d’identifier les variables individuelles ainsi que la stratégie communicationnelle qui seront les plus appropriées en vue d’optimiser l’efficacité du message persuasif. D’ailleurs, la stratégie ainsi que les variables qui entrent en ligne de compte varient selon la thématique dont traite la campagne (Frenette, 2010).

Dans la section qui suit, nous abordons brièvement les appels émotionnels comme stratégie de persuasion, étant donné leur importance dans notre projet doctoral.

1.1.6.1 Les appels émotionnels

L’idée que les émotions sont au cœur de la persuasion trouve des échos jusque dans la Grèce antique. Dans la rhétorique ancienne, l’émotion était considérée comme un moyen de persuader son interlocuteur. En effet, éveiller les émotions chez l’auditoire était jugé une stratégie avantageuse et efficace pour persuader et faire changer l’opinion (Dillard et Seo, 2013). Les œuvres de Cicéron et d’Aristote en témoignent (DeSteno, Petty, Rucker, Wegener et Braverman, 2004). Aristote, dont les travaux sont à l’origine de la réflexion occidentale de l’argumentation, distingue trois types d’arguments, soit le logos, qui réfère à l’usage de la logique ou des appels rationnels (nature du message), l’ethos, qui renvoie à la nature du communicateur et le pathos, qui désigne la technique d’argumentation

destinée à produire la persuasion en émouvant l’auditoire (Perloff, 2014). Cette conceptualisation aristotélienne des arguments rhétoriques ainsi que leur fonctionnement dans le processus de persuasion sont valables aussi dans les sociétés contemporaines, tant dans les relations interpersonnelles que dans les domaines de la politique, du marketing et de la publicité (Turner, 2011). Dans le champ spécifique de la persuasion publicitaire, les appels émotionnels constituent une stratégie communicationnelle dont la visée principale est de provoquer une réaction émotionnelle chez les récepteurs dans la perspective ultime d’un changement attitudinal et comportemental (Stiff et Mongeau, 2003). À ce propos, Turner (2011) mentionne que « […] mass mediated persuasive appeals

often appeal directly to our emotions. In this case, the messages employ rhetorical devices, music, fast pace, and even arguments that are framed in a way to invoke fear, guilt, anger, happiness, sadness or other emotions (Lang et al., 1999; Nabi, 1999) » (p. 239).

Sans entrer dans le vif du sujet, car une telle discussion dépasserait les limites de la présente section, nous jugeons néanmoins pertinent de mentionner que la littérature qui traite du rôle des émotions dans la persuasion différencie les émotions induites par le stimulus persuasif de celles qui préexistent chez le récepteur. Tel est le cas, par exemple, de l’état d’humeur dans lequel se trouvent les récepteurs. (Dillard et Meijnders, 2002). Il est à noter que l’humeur joue un rôle direct sur les attitudes dans le cas où les récepteurs sont peu impliqués envers le thème du stimulus. Dans le cas inverse, donc si les récepteurs sont fortement impliqués envers le message, « […] l’humeur exerce un effet indirect sur les attitudes, car elle influence la quantité et la qualité des pensées générées après l’exposition » (Chabrol et Radu, 2008, p. 34). Les auteurs ont également référé à l’humeur en tant que « […] message-

irrelevant affect, or what is more commonly referred to as mood. Mood is considered an enduring, longer-lasting, diffused affective state […] » (Lewis, Watson et White, 2008, p. 404). Les caractéristiques individuelles ainsi que les émotions ou les états affectifs préexistants influencent la motivation à traiter le message. Les travaux entrepris depuis cette perspective ont permis de démontrer l’existence d’un lien entre l’état d’humeur (état émotionnel préexistant) des répondants et la persuasion qui peut s’ensuivre. D’ailleurs, les résultats de recherches ont démontré que, dans certains cas, les humeurs positives affaiblissent les capacités cognitives des récepteurs et restreignent leurs habiletés à s’engager dans le traitement systématique16 des messages (Bohner, Crow, Erb et Schwarz, 1992;

16 Fait référence aux modèles duaux de traitement de l’information - le modèle de probabilité d’élaboration (Elaboration

Likelihood Model) de Petty et Cacioppo (1981) ainsi que le modèle de traitement heuristique systématique (Heuristic-

Systematic Model of Information Processing) de Chaiken et Eagly (1983). Selon ces modèles, un traitement « périphérique » ou « heuristique » n’exige qu’un faible effort cognitif, alors qu’à travers un traitement « central » ou

Schwarz, Bless et Bohner, 1991). Une des explications de ce constat est que les individus ayant une humeur positive veulent maintenir leur état émotionnel agréable et ils seront, par conséquent, susceptibles d’éviter (ou ils traiteront heuristiquement/superficiellement) les sujets déprimants, les messages contenant des arguments contre-attitudinaux, etc. (Wegener et Petty, 1994). Nonobstant, un état d’humeur positif peut encourager un traitement systématique si les récepteurs jugent qu’une analyse attentive du message leur procurerait une plus grande satisfaction (Dillard et Meijnders, 2002; Petty et Briñol, 2015). À l’inverse, une humeur négative (triste) est susceptible de motiver les individus à effectuer un traitement systématique. En effet, les chercheurs s’étant penchés sur le rôle de l’humeur dans la persuasion stipulent qu’une humeur négative stimulerait davantage les individus à chercher des informations qui pourraient éventuellement les sortir de leur état triste (Chabrol et Radu, 2008; Wegener et Petty, 1994).

En ce qui a trait à l’affect induit par le stimulus publicitaire, plusieurs éléments sont susceptibles de provoquer certaines émotions chez les récepteurs (O’Keefe, 2003). Comme mentionné précédemment, les appels aux émotions ont le but de délibérément provoquer certains états émotionnels. Par la suite, ces états affectifs sont censés motiver les récepteurs à changer leurs attitudes et leurs comportements dans le sens prôné par l’objet de la publicité (Simunich, 2008). Les appels émotionnels se déclinent en deux types. D’une part, les appels aux émotions négatives (peur, culpabilité, etc.) sont souvent utilisés en prévention des comportements jugés attentatoires au bien- être individuel et collectif. D’autre part, les stratégies qui font appel aux émotions positives telles que la joie, l’humour et l’empathie sont moins utilisées dans un contexte de sensibilisation à des problématiques délicates (telles que la discrimination ethnique ou sexuelle) et le rôle des émotions autres que la peur et la culpabilité en persuasion demeure sous-exploré (Nabi, 2002). Dans le cadre de notre projet de recherche, nous nous intéressons uniquement aux émotions induites par les messages publicitaires. Plus précisément, nous nous penchons sur l’idée selon laquelle les émotions agissent en tant que cadres (frames). Cette approche sera détaillée dans la section 2.2.1.

Par ailleurs, dans le contexte de réception de publicités sociales destinées à lutter contre la discrimination, il a été démontré que l’empathie, en tant que variable d’influence du processus persuasif, peut favoriser le changement escompté (McKeever, 2015; Paradies et al., 2009). Quoique relativement brève, cette introduction à la problématique liée à la discrimination et à la publicité sociale

« systématique » les récepteurs se voient exigés à déployer une certaine capacité cognitive et motivationnelle à examiner le contenu du message de manière plus approfondie (Chabrol et Radu, 2008).

comme moyen de la combattre devrait suffire pour contextualiser notre recherche et nous servira d’assise pour introduire le concept unificateur de notre projet doctoral : l’empathie.