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Chapitre 1 Problématique

1.1 Problème général

1.1.3 Le rôle des médias dans la discrimination

Plusieurs chercheurs, tant à l’échelle nationale qu’internationale, dépeignent les médias comme les principaux vecteurs de dissémination des images stéréotypées (Johnson, Olivo, Gibson, Reed et Ashburn-Nardo, 2009; Schemer, 2014). La question du rôle des médias dans la construction des opinions a reçu l’attention de nombreux chercheurs, dont Potvin (2017) qui reconnaît qu’une couverture médiatique répétitive et négative des événements liés aux minorités ethniques « […] alimente leur construction comme “problèmes” pour la majorité, provoque des états de crises et de “panique morale” et accentue la radicalisation des discours d’opinion au sein du public » (p. 50). Behm-Morawitz et Ortiz (2013) se sont intéressées aux représentations des minorités ethniques dans les médias. Leur travail retrace l’évolution historique ainsi que les principales conclusions de la recherche en psychologie des médias examinant les représentations des minorités ethniques dans les médias et les effets de l’exposition à ces représentations. Un effort particulier est fait par les auteures pour documenter les perspectives utilisées à ce jour pour comprendre de tels effets ainsi que pour s’appuyer sur des recherches en psychologie qui n’ont pas encore été appliquées dans ce domaine. Les constats de leur revue de la littérature mettent en relief que l’exposition fréquente aux stéréotypes véhiculés par les médias qui reproduisent des attitudes et des opinions perçues comme la norme peut avoir une incidence sur la formation de l’opinion publique. De plus, Johnson et ses collègues avancent que « […]

exposure to stereotypical media depictions elicits dispositional attributions for stereotyped group members stereotype related behaviors » (2009, p. 472). Schemer (2014), pour sa part, impute aux médias, chaînon vital des démocraties, une responsabilité particulière dans le domaine de la lutte contre les préjugés et la discrimination pour promouvoir le respect de la dignité humaine. Il ajoute par ailleurs que les stéréotypes véhiculés par les médias sont susceptibles d’activer automatiquement chez les récepteurs les cognitions évaluatives négatives à propos des minorités, car les rapports et les communiqués de presse contiennent souvent des éléments à connotations « raciales » négatives (p. ex. : les minorités ethniques sont pauvres et/ou violentes).

En ce qui concerne le contexte précis du Québec, plusieurs chercheurs attribuent aux médias un rôle central dans le maintien et la diffusion des stéréotypes et des préjugés (Eid, 2012; Giasson, Brin et Sauvageau, 2010; Labelle, 2010; Potvin, 2017), particulièrement dans le contexte de la « crise » des

accommodements raisonnables8 (Labelle et Icart, 2007; Potvin, 2008). Les travaux entrepris depuis

cette perspective ont permis de constater que les médias ont accordé une forte couverture médiatique aux quelques cas « d’accommodements raisonnables ou d’ajustements administratifs concertés », ce qui s’est traduit par la montée d’un certain malaise envers la population issue de l’immigration (Giasson et al., 2010). En effet, selon Labelle et Icart, « […] la presse semblait se livrer à une véritable chasse aux arrangements les plus déraisonnables possible » (2007, p. 126). En appui, Labelle souligne que « [l]es médias ont grandement contribué à soulever le “malaise identitaire” sous-jacent » (2010, p. 43). Eu égard au débat concernant le rôle des médias relativement à cet enjeu, Potvin (2008) suggère que plusieurs journalistes ont contribué à nourrir la confusion en présentant faussement des actions d’ajustements volontaires et des ententes privées en tant qu’accommodements raisonnables qui sont, pour leur part, une mesure réparatrice introduite dans le but de pallier les difficultés inhérentes à une situation créant ou pouvant créer une discrimination. À ce propos, cette chercheuse ajoute que « […] Jean-Claude Leclerc disait, dès février 2007 dans un article au Devoir, que les médias avaient exagéré. Selon lui, ce débat, considéré comme une “psychose publique”, a été une pure fabrication des médias, “les seuls qui ont mis cet enjeu sur la table” » (p. 5).

Le débat sur les accommodements raisonnables a servi de précurseur à celui entourant la Charte des valeurs québécoises (projet de loi 60) plus récemment. À l’instar des accommodements raisonnables, la responsabilité des médias dans la polarisation des discussions politiques et citoyennes concernant la place de la religion dans les affaires publiques a été soulevée par certains chercheurs (Dalpé et Koussens, 2016; Lemieux, 2014). Une étude exploratoire menée par Hassan, Mekki-Berrada, Rousseau, Lyonnais-Lafond, Jamil et Cleveland (2016) a démontré que le débat sur la Charte des valeurs a non seulement créé une fracture au sein de la population québécoise, mais les relations interculturelles ont, par conséquent, été perçues comme étant de plus en plus tendues. Qui plus est, les résultats de leur recherche révèlent que, depuis que les débats sur la Charte ont été amorcés, les femmes, les personnes s’identifiant comme des minorités culturelles et religieuses ainsi que les immigrants ont une perception de plus en plus négative des relations intercommunautaires (Hassan et al., 2016). Depuis le dépôt du projet de loi, outre les perceptions négatives, plus de 30 % des participants de cette étude ont déclaré avoir été victimes d’un acte discriminatoire ou avoir été témoin de la discrimination ethnique ou religieuse. Bien que la Charte visait à placer la laïcité et l’égalité des

8 « […] le propre de l’accommodement est de remédier, au moyen de certains aménagements, à des formes de

discrimination qui surviennent parfois dans l’application d’une norme ou d’une loi par ailleurs légitime » (Bouchard et Taylor, 2008, p. 63).

femmes dans le débat public, les résultats de l’étude de Hassan et de ses collègues montrent que les conséquences négatives sont plus que réelles et que certains vont même jusqu’à associer l’attentat de la Grande mosquée de Québec aux dérapages dans les débats sur la Charte des valeurs (Duchaine, 2017). À ce propos, Hassan et ses collègues mettent en exergue que :

[t]his might have been partially due to the dominant role of the media in presenting the Charter and the debates around it in a polarized manner, conveying a political and social construction of certain religious and cultural minorities as threats to Quebec identity, security, and democracy, and thus reinforcing divisions in perceptions of “us” and “them”

(2016, p. 12).

Dans un même ordre d’idées, le traitement médiatique des questions liées aux peuples autochtones entraîne une méconnaissance flagrante des enjeux et des cultures autochtones, ce qui crée un terrain propice à la création et à la dissémination des stéréotypes et des préjugés à leur égard (Cotton, 2008; Dufour, 2013; Loranger-Saindon, 2007; Trudel, 2004; Viens, 2019). À la lumière de la littérature consultée, nous remarquons que les médias ont tendance à traiter les problématiques auxquelles font face les peuples autochtones de deux façons. D’une part, le traitement médiatique des nations autochtones est souvent négatif, parsemé de préjugés et de propos discriminatoires (Viens, 2019). Pour l’illustrer, la couverture médiatique des « crises », notamment celle d’Oka, était particulièrement problématique, car elle était peu objective et proposait souvent des représentations monolithiques des activistes mohawks (Aubin, 2012; Lepage, 2019). Selon Valaskakis (2000) : « [i]n all television, radio

and newspaper coverage, one image emerged as salient in the Mohawk crisis : the image of the “warrior” – bandana-masked, khaki-clad, gun-toting Indians who dominated the media […] the military masculine, criminalized through association with terrorism » (p. 79). Au surplus, Cotton (2008) souligne que la couverture médiatique des revendications autochtones met l’accent avant tout sur « […] la forme de ces manifestations, sur la notion d’affront à l’ordre public, sur un risque de glissement vers la violence et le chaos, ainsi que sur les coûts publics impliqués, au détriment du contenu des revendications, de leur contexte politique, ainsi que du thème du racisme » (p. 362). Plus encore, les nouvelles portent souvent sur les défis socioéconomiques qui se présentent chez les peuples autochtones, contribuant ainsi à perpétuer l’image entachée par des stéréotypes et des préjugés (Loppie et al., 2014). Par contre, le rapport de la Commission Viens déplore que « […] en dehors des périodes de crise […] les réalités autochtones sont très peu représentées dans les médias » (2019, p. 223).

À l’opposé, les chercheurs ont constaté qu’en général les thématiques liées aux peuples autochtones et, plus particulièrement, aux femmes autochtones ont peu ou pas d’écho dans les médias. Différents chercheurs affirment que les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées se trouvent souvent dans l’angle mort des médias (Dufour, 2013; Gilchrist, 2010; Pearce, 2013). En effet, les médias laissent très peu d’espace aux réalités autochtones et, lorsqu’un peu d’attention leur est accordée, le blâme est souvent placé sur les victimes pour leur propre sort. D’ailleurs, il n’est pas rare que les médias insistent sur le « mode de vie dangereux » de la survivante d’un crime à caractère sexuel, victimisant ainsi une deuxième fois les personnes touchées par l’événement (Vallée, 2017; Wylde, 2019). « In the realm of representations, prostitution and Aboriginality mark these women as

missing, but as naturally so – the stereotypical attributes ascribed to both these positions feed into and reproduce common-sense notions of itinerant and irresponsible behaviour, which is then seen as naturally inviting victimization », rapportent Jiwani et Young (2006). De tels constats conduisent naturellement à s’interroger sur l’importance qu’occupent les femmes et les filles autochtones dans l’espace médiatique, mais surtout dans la sphère publique. Dans son étude, Gilchrist (2010) a analysé la couverture médiatique de six femmes disparues, dont trois étaient autochtones et les trois autres blanches. L’une des particularités de sa recherche résidait dans le fait que les filles autochtones en question « […] by all accounts fit in » (p. 378), donc elles ne consommaient pas de drogues, n’étaient pas des travailleuses du sexe, étaient proches de leurs familles et amis, travaillaient ou étaient étudiantes, voire elles ne menaient pas un « style de vie dangereux ». Au terme de ses analyses, Gilchrist (2010) a conclu que, même lorsque les filles autochtones correspondaient au prototype de « la fille d’à côté » (girl next door), les histoires des disparitions des filles autochtones étaient six fois moins publiées que celles des filles blanches; leurs photos ne se trouvaient que très rarement dans les reportages et leurs caractéristiques personnelles, permettant aux audiences de s’identifier à elles et de les humaniser, n’étaient présentées que de manière très superficielle.

En revanche et comme nous le verrons dans la section qui suit, les médias peuvent également être mobilisés en tant que puissants outils d’intervention pour atténuer les préjugés et combattre la discrimination (Abroms et Maibach, 2008; Crawley, 2009; Sutton et al., 2007).