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Les médias comme outil de lutte contre la discrimination

Chapitre 1 Problématique

1.1 Problème général

1.1.4 Les médias comme outil de lutte contre la discrimination

Les résultats de recherches empiriques ont également mis en lumière que les messages médiatisés dépeignant de manière positive une minorité ethnique pouvaient générer de nouvelles cognitions et changer les stéréotypes existants (Atkin, Greenberg et McDermott, 1983; Behm-Morawitz et Ortiz,

2013; Igartua et Barrios, 2012; Mastro, 2009; Oliver, Dillard, Bae et Tamul, 2012; Schiappa, Gregg et Hewes, 2005; Sutton et al., 2007). À ce propos, Behm-Morawitz et Ortiz avancent que :

[…] there is […] support for the idea that exposure to counter-stereotypes, or positive portrayals of these groups, may positively impact race-related judgements […] it is not unreasonable to assume that, over time, repeated exposure to such positive representations may alter one’s mental model of a racial/ethnic group such as it is adapted to account for these positive portrayals (2013, p. 258).

Schemer (2014) abonde également dans ce sens en suggérant que les récepteurs d’un message modifient leurs perceptions et leurs jugements à la suite de l’exposition à des nouvelles véhiculant des connotations positives d’une minorité ethnique : « […] exposure to favorable news representations of

ethnic minorities is likely to undercut the influence of automatically activated negative evaluative thoughts and can lead to more positive intergroup attitudes » (p. 532).

Une revue de la littérature réalisée par Sutton et ses collègues (2007) sur les campagnes anti- discrimination menées au Royaume-Uni a permis de constater que, d’une part, les campagnes dont la visée est de réduire les préjugés et la discrimination ethniques sont très peu nombreuses et, d’autre part, lorsqu’elles sont élaborées, la plupart d’entre elles ne prennent pas appui sur les constats de recherches issues de la psychologie sociale ou d’autres disciplines connexes. Qui plus est, ces campagnes ne sont que très rarement évaluées, limitant ainsi la possibilité de bien comprendre leur véritable portée ainsi que leurs effets potentiels sur les attitudes et les comportements discriminatoires. Dans l’intention de pallier ces limites, les auteurs ont produit un guide d’information détaillé sur la manière de bâtir des campagnes médiatiques anti-discrimination efficaces. En bref, les auteurs suggèrent qu’il est primordial que de telles campagnes intègrent au cœur de leurs stratégies les déterminants psychosociaux des attitudes et des comportements discriminatoires identifiés dans les modèles théoriques existants (p. ex. : la théorie de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1979). Si ces déterminants ne sont pas pris en considération, les campagnes conçues sur une base purement intuitive et créative sont non seulement susceptibles de générer des effets boomerang9 – c’est-à-dire

contraires à leur visée de réduction des préjugés –, mais elles risquent également d’exacerber les préjugés existants.

Pour leur part, Atkin, Greenberg et McDermott (1983) ont étudié, en se basant sur la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1979), la représentation des Afro-Américains dans les émissions

de télévision commerciales et l’impact social de la télévision, ainsi que son rôle dans la socialisation en matière de relations intergroupes. Dans leur étude, les chercheurs stipulent que les personnes qui ont peu de contact avec les Afro-Américains comptent largement sur la télévision pour forger leurs opinions à propos des personnes appartenant à ce groupe. En se basant là-dessus, les chercheurs émettent des hypothèses qui supposent l’établissement des liens entre la consommation d’émissions télévisées dont les personnages principaux sont afro-américains et les perceptions chez des récepteurs (Blancs) selon lesquelles les Afro-Américains sont 1) plus comiques que les Blancs, 2) parlent, s’habillent et se conduisent de manière différente que les Blancs et 3) constituent une proportion plus large de certaines catégories populationnelles. Leurs analyses les amènent à conclure que la télévision a plutôt le pouvoir de renforcer les dispositions existantes, mais pas de créer des changements draconiens.

Au contraire, d’autres chercheurs sont d’avis que la télévision et les médias en général ont le pouvoir de modifier les attitudes et les comportements. À cet effet, il convient de mentionner une avenue de recherche particulièrement féconde au cours de la dernière décennie, soit la persuasion narrative (Igartua et Barrios, 2012; Nabi et Green, 2015; Tamul et Hotter, 2019). Ce nouveau domaine d’étude diffère de la recherche classique sur la persuasion10 (Petty, Briñol et Priester, 2009) dans la mesure

où on s’intéresse plutôt à analyser les effets persuasifs de l’exposition à des récits de fiction conçus pour le divertissement (p. ex. : films, romans, documentaires, articles de journaux), mais qui contiennent des arguments implicites (p. ex. : un film peut présenter des minorités ethniques de manière positive sans nécessairement avoir à le verbaliser de manière explicite) sur différents sujets ou acteurs sociaux. En fait, les chercheurs s’y intéressant se penchent surtout sur l’influence de la fiction sur les attitudes et les comportements et plusieurs études démontrent qu’il est tout à fait possible de les modifier en exposant les gens à des récits fictifs écrits ou audiovisuels. Par exemple, Oliver, Dillard, Bae et Tamul (2012) se sont intéressés aux effets des formats des reportages (narratifs ou non narratifs)11 sur l’empathie. Dans la logique de leurs travaux, les variations dans le format des

reportages peuvent influencer de manière favorable ou défavorable les évaluations que nous faisons

10 La persuasion, dans ce contexte, renvoie à l’idée selon laquelle l’exposition à une information peut conduire à modifier

les représentations sociales, les attitudes et les croyances et peut aussi conduire à un changement de comportement (Courbet, Fourquet-Courbet, Bernard et Joule, 2013).

11 Les (formats) reportages narratifs sont présentés sous forme de récit où beaucoup de place est laissée à la description

des circonstances dans lesquelles se trouvent certaines personnes ou des défis que doivent surmonter certains groupes (p. ex. : minorités ethniques sur le marché de l’emploi). Les formats non narratifs, pour leur part, sont plutôt axés sur les questions telles que la politique et présentent l’information d’une manière plus « sèche » et factuelle (Oliver et al., 2012).

des groupes stigmatisés et, par conséquent, ils ont également une incidence sur le déclenchement de l’empathie envers eux. Les conclusions principales de leur recherche mettent en exergue que ce sont les formats narratifs qui ont le plus grand potentiel d’activation des processus empathiques susceptibles d’améliorer l’évaluation des groupes stigmatisés. Ils produisent aussi des changements dans les émotions, attitudes, intentions et comportements de manière bénéfique pour les membres de ces groupes. Plus précisément, les formats narratifs favorisent la transposition et l’immersion du récepteur dans l’histoire, ce qui suscite des changements positifs dans ses croyances et ses attitudes. Une des stratégies communicationnelles utilisée pour lutter contre la discrimination et les problèmes sociaux en général est celle de l’éducation par le divertissement (Entertainment-Education) (Arroyave, 2015; Singhal et Rogers, 1999, 2002). Cette approche est basée sur plusieurs perspectives théoriques, notamment la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1979), ainsi que sur le concept de l’inconscient collectif de Jung (1968). Elle consiste à créer un message médiatique conçu à la fois pour éduquer et divertir dans la visée ultime d’améliorer les connaissances du public sur une problématique donnée, de créer des attitudes favorables et de changer les comportements jugés préjudiciables. Ainsi, la stratégie de l’éducation par le divertissement a été utilisée au regard de divers sujets tels que : la réduction de la stigmatisation, l’égalité entre hommes et femmes, la protection des enfants, les questions liées à la santé des populations, ainsi que de nombreuses autres problématiques liées aux comportements prosociaux. Différentes études démontrent que les interventions d’éducation par le divertissement sont efficaces pour changer les attitudes et les comportements (Arroyave, 2015; Lapinski et Nwulu, 2008). Dans sa recension des travaux de recherche qui ont été consacrés à l’éducation par le divertissement, Arroyave (2015) mentionne notamment la série télévisée All in the

Family diffusée par CBS durant les années 1970 et dont l’objectif était de s’attaquer à la discrimination et aux préjugés ethniques. Bien qu’elle ait produit des résultats mitigés, certaines personnes s’identifiaient au personnage principal, Archie Bunker, qui incarnait la bigoterie et l’intolérance, la plupart des téléspectateurs reconnaissaient l’absurdité de son comportement discriminatoire, ce qui les amenait à corriger leurs propres préjugés et intolérances (Brigham et Giesbrecht, 1976). Plus récemment, une étude réalisée par Lapinski et Nwulu (2008) sur la réduction de la discrimination faite à l’égard des personnes atteintes du SIDA et du VIH a également eu des résultats positifs, notamment sur les attitudes plus favorables envers la population aux prises avec ce virus. Ainsi, leurs résultats montrent que les participants ayant été exposés au court métrage conçu pour réduire la stigmatisation

des personnes atteintes du VIH/SIDA étaient moins susceptibles de blâmer et de culpabiliser les personnes vivant avec le VIH/SIDA pour leur sort.

Dans la même lignée d’efforts pour lutter contre la discrimination, de nombreuses théories portant sur l’amélioration des relations intergroupes se côtoient, tant dans la littérature scientifique que dans la pratique. Celle ayant généré la plus grande quantité de recherches en psychologie sociale est sans contredit la théorie du contact intergroupe ou l’hypothèse du contact (Hewstone et al., 2014; Parant, 2015; Pettigrew, 1998). Mise au point par Gordon Allport (1954), cette théorie stipule que le contact direct (positif) entre différents groupes peut contribuer à réduire les préjugés et la discrimination. À cela Allport (1954) ajoute que quatre conditions sont nécessaires afin qu’un contact ait des répercussions efficaces et positives, notamment « […] un statut égal entre les groupes dans la situation, des buts communs, une coopération intergroupe, et un appui des autorités, de la loi ou des coutumes » (Parant, 2015, p. 28). Au fil des ans, la théorie du contact intergroupe a été étudiée dans différents contextes et s’est étendue notamment au contexte médiatique. Puisque les médias de masse constituent une source importante de socialisation au regard des relations intergroupes, ils permettent le rapprochement intergroupe (Kim, Harwood et Xiang, 2018). Dans ce contexte précis, les chercheurs se sont penchés sur les effets du contact vicariant12 et imaginé et ont conclu que le contact per se n’est

pas nécessaire, mais que c’est plutôt l’exposition à des exemples positifs de relations intergroupes qui est un facteur déterminant dans la lutte contre les préjugés et la discrimination.Ainsi, cette approche prend le nom de l’hypothèse du contact parasocial ou encore la théorie du contact parasocial (Schiappa et al., 2005). Cette théorie soutient que, puisque le cerveau humain traite les expériences médiatisées d’une façon semblable aux expériences directes, les gens réagissent généralement aux personnages médiatisés de la même manière qu’aux vraies personnes (Kanazawa, 2002, cité dans Schiappa, Gregg et Hewes, 2005). À ce propos, Rubin et Rubin (2001) suggèrent que l’interaction parasociale est « grounded in interpersonal notions of attraction, perceived similarity or homophily, and empathy » (p. 326). D’ailleurs, dans leur recherche, Schiappa et ses collaborateurs soulignent que les processus impliqués dans le contact intergroupe positif – comme décrits par Pettigrew (1998) – peuvent être reproduits dans le contexte d’un contact médiatisé. Ainsi, on peut acquérir des connaissances sur l’exogroupe (ou l’outgroupe – le groupe auquel le sujet n’appartient pas) au moyen des messages et des représentations médiatisés et, si nous avons eu des expériences positives, cela devrait se traduire

12 Les individus peuvent acquérir les expériences, éprouver des émotions, changer les opinions, etc., à travers l’observation

des autres, ou à travers la projection, par exemple, dans un scénario médiatisé (Bandura, 1979; Berthoz, 2013). « […] vicarious capacity allows the acquisition of knowledge, skills, and affects through observation and modelling » (Miller, 2016).

par un changement d’attitude et un désir d’entrer en contact avec les membres de l’exogroupe (Schiappa et al., 2005). Les connaissances acquises grâce aux recherches dans le domaine des relations parasociales ont mis en évidence qu’il est possible de nouer des liens affectifs avec autrui par la communication médiatique. Par conséquent, les relations parasociales qui en résultent peuvent favoriser un changement d’attitude et une diminution des préjugés vis-à-vis des membres de l’exogroupe.

Roger Ebert, journaliste et critique de cinéma étatsunien, reconnaît lui aussi le potentiel des médias à procurer aux téléspectateurs la possibilité de se transposer dans des situations imaginaires ou fictives, de s’identifier émotionnellement et de s’émouvoir devant les personnages. Il affirme d’ailleurs que les films sont de véritables empathy machines13. Dans ce contexte, il est très possible que les récepteurs

éprouvent des émotions intenses et, à la lumière des études sur l’empathie en contexte médiatique, il ressort que celle-ci n’est plus restreinte au contact direct auquel elle a longtemps été confiée : « […]

empathic reactivity is not restricted to social situations that are immediately witnessed. […] In particular, they must address the fact that actually existing persons, when presented in formats such as the news, can evoke empathic reactions of intensities comparable to those triggered by events in their immediate social environment » (Zillman, 2006, p. 151-152).

Prenant appui sur notre recension des écrits sur le sujet, nous considérons que les attitudes favorables envers les minorités ethniques peuvent être optimisées en mobilisant les médias et en suscitant des réponses empathiques à leur égard. À cet effet, les outils du marketing social – notamment la publicité sociale – sont particulièrement importants, car, comme nous le verrons ultérieurement, leur visée principale est un changement individuel basé sur une motivation et une action personnelles dans la perspective ultime d’un changement au niveau sociétal.