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Discussion des résultats pour le premier objectif de recherche

Chapitre 7 Discussion générale

7.1 Discussion des résultats pour le premier objectif de recherche

Le premier objectif de cette thèse était d’explorer le lien entre les antécédents dispositionnels et la réponse empathique générée par les messages anti-discrimination. À cet effet, nous nous sommes penchée sur le rôle de l’empathie comme disposition stable (trait) et sur celui du sexe des récepteurs.

7.1.1 Le lien entre le trait d’empathie et les réponses empathiques

En ce qui a trait à l’empathie en tant que disposition stable, nos analyses préliminaires de corrélation ont révélé une association statistiquement significative entre le trait d’empathie cognitive et les réponses empathiques cognitives générées par les publicités anti-discrimination. Rappelons que la dimension cognitive de l’empathie renvoie à la prise de perspective, c’est-à-dire au fait de se mettre à la place de l’autre pour comprendre ses émotions et ses agissements. Cependant, aucune corrélation n’a été établie entre le trait d’empathie affective et les réponses empathiques affectives ni entre le trait d’empathie global et les réponses engendrées par les messages. Comme nous l’avons déjà évoqué, le lien entre le trait d’empathie et les réponses empathiques n’a que très rarement été étudié et, à notre connaissance, n’a jamais été étudié dans le contexte de réception des publicités sociales anti- discrimination. Les quelques études qui se sont intéressées à examiner le lien entre l’empathie dispositionnelle et les réponses empathiques (Balconi et Canavesio, 2014; Davis, 1983b; Martínez- Velázquez et al., 2020) ont conclu à des corrélations significatives entre le trait stable d’empathie dispositionnelle et les réponses empathiques générées par les stimuli utilisés dans les études, et ce, surtout pour la dimension affective d’empathie dispositionnelle (Cowan, Vanman et Nielsen, 2014;

Hoffner, 2009). Nos résultats vont toutefois à l’encontre des conclusions rapportées dans les études antérieures.

Afin de mieux comprendre la disparité entre nos résultats et ceux d’études précédentes, nous pouvons proposer quelques explications. À cet effet, il est certainement possible que le déploiement d’habiletés empathiques soit régi par des mécanismes différents en contexte intergroupe que dans d’autres circonstances. Par exemple, un courant de recherche qui gagne de plus en plus en popularité est celui qui s’intéresse aux biais de l’empathie intergroupe (intergroup empathy bias), qui explique la tendance à non seulement empathiser moins avec les membres de l’exogroupe, mais à ressentir du plaisir face à leur souffrance (Cikara, Bruneau et Saxe, 2011; Cikara, Bruneau, Van Bavel et Saxe, 2014). Sans avancer que nos participants ressentaient du plaisir à voir les membres de l’exogroupe se faire discriminer, il est possible que le fait d’appartenir à un groupe ethnique différent ait amorti l’intensité des réponses empathiques affectives (Gutsell et Inzlicht, 2012). De plus, les auteurs s’étant penchés sur le biais de l’empathie intergroupe affirment que, souvent, nous ne parvenons pas à détecter les expériences émotionnelles des membres de l’exogroupe, ou bien nous les percevons de manière substantiellement déformée, et nous ne sommes que faiblement motivés à réduire leur souffrance (Cikara et al., 2011).

Ce sont surtout les résultats issus des recherches effectuées dans le domaine des neurosciences qui ont mis en relief, notamment grâce à l’utilisation de techniques d’imageries, que les facteurs contextuels et sociaux peuvent réguler les réponses empathiques neuronales. À cet égard, une activité empathique réduite en réponse à la souffrance (Xu, Zuo, Wang et Han, 2009) ou même tout simplement face aux visages des membres de l’exogroupe (Brown, Bradley et Lang, 2006) a été documentée dans maintes études (Contreras-Huerta, Baker, Reynolds, Batalha et Cunnington, 2013; Meiring, Subramoney, Thomas, Decety et Fourie, 2014; Vaughn, Savjani, Cohen et Eagleman, 2018). Leurs conclusions mettent en exergue que les préjugés ethniques (parfois inconscients) sont un puissant modulateur des réponses neuronales, notamment en raison d’attitudes implicites particulièrement importantes lorsqu’il s’agit de comprendre des comportements en lien avec les préjugés ethniques, sous-tendant de nombreux comportements sociaux, dont l’empathie intergroupe. La différence entre nos résultats et ceux des recherches précédentes peut également s’expliquer par la possibilité que les stimuli utilisés n’étaient pas aussi chargés affectivement qu’on le pensait. Bien que nos publicités aient été sélectionnées pour leur potentiel empathique, nous étions limitée par le

manque de publicités anti-discrimination existantes. Rappelons aussi que parmi nos 16 publicités, dix étaient des affiches, moins susceptibles d’engendrer des réactions émotionnelles fortes en comparaison à des stimuli dynamiques tels que des publicités audiovisuelles (Detenber, Simons et Bennett, 1998; Gold et al., 2013; Kuypers, 2017). À ce propos, nos données qualitatives permettent d’apporter un éclairage pertinent. En effet, la plupart de nos participants ont mentionné que les affiches les touchaient beaucoup moins que les publicités audiovisuelles, voire les laissaient indifférents. Pour l’illustrer, reprenons les propos de ce participant :

Moi, ça m’a surpris aussi à quel point je pouvais être insensible à des affiches (rire). J’ai juste fait « ah ok ». Je ne me sens pas interpellé, mais pourtant, c’est un super beau message, puis, je le lis et je l’analyse et je me dis que c’est profondément positif et beau, mais je ne sens rien (P43H).

P18F abonde dans le même sens : « Les affiches qui étaient jaunes, ça ne m’interpelle vraiment pas […] Pour moi, même les affiches « gros lard », ça m’interpelle un peu moins. Je ne suis pas capable de me projeter sur une image. Je trouve ça plus difficile, en fait. ». Ce résultat est aussi corroboré par nos analyses effectuées sur l’effet du format de la publicité sur les réponses empathiques. Ces résultats sont présentés dans l’article Emotion framing and empathy in anti-discrimination public

service announcements (chapitre 5).

Par contre, les affiches, comme soulevé par nos participants, ont le pouvoir de « faire réfléchir » (P27F) et permettent d’avoir accès à de « l’information sur la personne » (P39H). Ainsi, en raison du nombre élevé d’affiches, il est possible que celles-ci aient eu plus le potentiel de susciter des réponses empathiques cognitives, ce qui expliquerait aussi la corrélation entre le trait d’empathie cognitive et les réponses empathiques cognitives. La compréhension étant étroitement liée à la prise de perspective (élément central de la dimension cognitive de l’empathie), il est possible que les publicités sélectionnées aient plutôt fait appel à la raison qu’à l’émotion. L’un de nos participants apporte une explication intéressante à ce sujet :

L’impression que j’ai, c’est que ces affiches-là visent moins le côté émotif et plus le côté rationnel et je pense que c’est adéquat pour ça. Je pense que le côté émotif est plus facile à transmettre dans une vidéo. Le côté rationnel, il me semble qu’il est plus mis en évidence, je regarde ça et je me dis « ben oui, c’est vrai que les immigrants peuvent apporter quelque chose » sans que ce soit un côté émotif. En tout cas, c’est l’impression que j’ai […] Je le vois plus comme un message rationnel moi. (P1H)

Il faut aussi prendre en considération la possibilité d’un biais engendré par le type de mesure utilisé. À l’instar de toute mesure auto-rapportée, certains participants ont pu répondre d’une manière plus

socialement désirable au questionnaire d’empathie virtuelle. Cela pourrait expliquer l’écart entre les réponses auto-rapportées – produisant des scores élevés sur l’échelle d’empathie virtuelle – et les réponses plus spontanées générées par l’évaluation continue.

7.1.2 Le lien entre le sexe des participants et l’empathie

Les résultats de la présente recherche démontrent aussi que le niveau d’empathie affective ainsi que les réponses empathiques affectives diffèrent significativement selon le sexe. Puisque ce résultat est abondamment discuté dans l’article The interplay of trait-related antecedents and state empathy:

Empathic responding to anti-discrimination PSAs (chapitre 4), nous ne le présentons que très brièvement ici.

Sommairement, les analyses réalisées ont démontré une association significative entre le sexe féminin et le trait d’empathie affective. De plus, les analyses ont révélé une corrélation significative entre le sexe féminin et les réponses empathiques affectives. En effet, ces analyses ont établi que les femmes se perçoivent comme étant plus empathiques affectivement que les hommes. Ces résultats sont cohérents avec les conclusions d’études antérieures qui confirment la présence de différences significatives entre les sexes, où les femmes obtiennent régulièrement des scores plus élevés en matière d’empathie affective auto-rapportée. Par contre, comme évoqué à la section 2.1.1.3, l’une des raisons proposées pour expliquer pourquoi les femmes obtiennent des scores plus élevés serait principalement les méthodes utilisées – les scores étant surtout plus élevés dans les études se servant des mesures auto-rapportées –, mais aussi probablement les rôles sociaux attendus/stéréotypés et normés (il est plus acceptable socialement pour une femme de montrer ses émotions que pour un homme) (Strauss, 2004). À cet égard, les études plus récentes, utilisant des mesures neuropsychologiques, ont mis en évidence qu’il n’existe pas de différences significatives entre les hommes et les femmes quant aux aptitudes liées aux émotions vicariantes et de prise de perspective. Selon ces études, les différences entre les sexes se situent plutôt au niveau de la motivation à se présenter comme quelqu’un d’empathique, ce qui est un stéréotype généralement davantage accolé aux femmes (Baez et al., 2017; Martínez-Velázquez et al., 2020).

7.2 Discussion des résultats pour le deuxième objectif de