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Une méthodologie mixte pour étudier les phénomènes complexes

Chapitre 3 Méthodologie

3.1 Une méthodologie mixte pour étudier les phénomènes complexes

Le choix d’une méthodologie de recherche se base sur plusieurs éléments. De manière générale, ce sont les facteurs relatifs à la problématique, la nature de la question et les objectifs de la recherche qui contribuent, de façon plus ou moins implicite, à cimenter l’approche de recherche la plus adéquate. En dépit de la coexistence de différents paradigmes23 dans les sciences sociales, plusieurs chercheurs

s’opposent à un aménagement paradigmatique et ils continuent à renforcer une opposition entre les méthodes qualitatives et les méthodes quantitatives, qu’ils considèrent comme diamétralement opposées (Teddlie et Tashakkori, 2009). À cet effet, il convient de mentionner la thèse d’incompatibilité (incompatibility thesis) (Johnson et Onwuegbuzie, 2004; Karsenti, 2006), qui réfère au clivage qui a longtemps régné (et qui demeure présent dans certaines sphères de la communauté scientifique) entre les approches quantitative et qualitative. En revanche, au courant des années 1980, en réponse à la thèse d’incompatibilité, une nouvelle posture paradigmatique a été proposée – celle du pragmatisme, qui accorde davantage d’importance à l’approche de recherche qui répond le mieux au problème à résoudre (Castelli, Crescentini et Pagnossin, 2014). Dans cette optique, les adeptes de l’approche pragmatiste préconisent « […] l’utilisation de toutes les méthodes, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, permettant de comprendre le problème nécessitant une démarche scientifique » (Bourgault, Gallagher, Michaud et Saint-Cyr-Tribble, 2010, p. 22).

En effet, lorsqu’elles sont utilisées de manière isolée, les deux méthodes, qualitatives comme quantitatives, ont des points forts et des faiblesses. Au fil de nos lectures, nous avons constaté qu’une des premières raisons avancées pour justifier l’utilisation des méthodes mixtes réside dans le fait que ce type de recherche offre la possibilité de mettre en synergie les forces des deux méthodes (Creswell

23 « Un paradigme est une façon de concevoir le monde incluant les croyances sur l’éthique, les valeurs et le savoir-faire

et Plano Clark, 2011; Guével et Pommier, 2012; Jensen, 2002; Morse et Niehaus, 2009; Pluye et al., 2009; Teddlie et Tashakkori, 2010). Comme le mentionnent Briand et Larivière (2014) « [l]es méthodes de recherche mixtes découlent de l’idée de la triangulation des résultats de recherche, c’est-à-dire que plusieurs résultats d’expérimentations différentes sont combinés pour mieux cerner un phénomène et assurer la validité des conclusions » (p. 626). D’ailleurs, les méthodes mixtes ont l’avantage de permettre l’intégration de plusieurs perspectives et sont, par conséquent, un atout pour étudier les phénomènes et les notions complexes, multidisciplinaires comme c’est le cas de la réponse empathique. À ce propos, Morse et Niehaus soulignent que « [t]o grasp complex phenomenon,

research often demands that more than one research method be used in the same project » (2009, p. 13).

Par ailleurs, l’importance accordée au problème et à la question de recherche est centrale dans le cadre d’une étude mobilisant une méthodologie mixte (Plano Clark et Badiee, 2010). Selon Creswell et Plano Clark, cela découle de l’héritage pragmatique où le principe de « […] “what works” applies

well to selecting the methods that “work” best to address a study’s problem and questions » (2011, p. 60). La recherche par les méthodes mixtes peut donc conduire à proposer de nouvelles options pour répondre aux questions de recherche complexes, pour produire des inférences plus robustes ou encore pour présenter une plus grande diversité de points de vue. À ce propos, Creswell et Plano Clark suggèrent que les limites d’une méthode peuvent être compensées par les forces de l’autre méthode, et la combinaison de données quantitatives et qualitatives procure une compréhension plus complète du problème de recherche que « […] either approach by itself » (2011, p. 8). En somme, la méthodologie mixte offre la possibilité de marier stratégiquement les données qualitatives et quantitatives dans le but d’enrichir les résultats de la recherche et de permettre une compréhension plus approfondie du phénomène à l’étude (Arcidiacono et De Gregorio, 2008; Karsenti, 2006). Comme souligné précédemment, l’objectif principal de notre étude est d’explorer les antécédents qui ont le potentiel de déclencher la réponse empathique dans le contexte de réception de publicités anti- discrimination. À cet égard, Arcidiacono et De Gregorio soulèvent ce point pertinent : « […] human

psychological phenomena are systemic, dynamic, social, and a methodology that reflects this fact is needed » (2008, p. 119). Dans le but de défricher ce terrain de recherche encore peu connu, nous avons, dans un premier temps, eu recours à l’échelle d’empathie virtuelle qui nous a permis d’attribuer un score d’empathie à chaque participant. De cette manière, nous avons pu vérifier si l’empathie dispositionnelle a une incidence sur le déclenchement de la réponse empathique générée par les

publicités anti-discrimination. Dans un deuxième temps, les mêmes participants ont évalué les publicités anti-discrimination au moyen de la méthode de l’évaluation continue afin d’identifier les conditions (ton publicitaire) susceptibles d’optimiser la réponse empathique. Étant donné que notre projet demeure, en large partie, exploratoire, nous avons cru pertinent d’accorder une importance particulière au volet qualitatif de notre recherche. À cet effet, dans le but d’obtenir des réponses plus détaillées et plus riches de la part des répondants, nous avons colligé des données qualitatives en recourant à des entretiens de groupe. Cette technique de recherche a grandement contribué à notre compréhension du sujet ainsi qu’à l’affinement de notre projet de recherche à travers le regard des participants et leurs expériences subjectives.

L’approche mixte sied bien à la problématique, aux objectifs et à la question de recherche de la présente étude, car un tel arrimage entre les méthodes quantitatives et qualitatives nous a permis d’enrichir notre recherche et de capter, avec plus de nuances, les différents facteurs qui entrent en ligne de compte quant au déclenchement de la réponse empathique.

3.1.1 Ancrage paradigmatique

Le concept de paradigme, comme évoqué précédemment, renvoie à un système de valeurs qui constitue le pilier de tout projet de recherche (Ponterotto, 2005). Plus significativement encore, les valeurs associées à l’ancrage paradigmatique exercent une influence et déterminent les intentions et les motivations de recherche. Ainsi, les choix méthodologiques ne se limitent pas uniquement au choix des méthodes. Ils déterminent aussi la nature du monde (ontologie), la relation que la chercheuse entretient avec l’objet de sa recherche (épistémologie) et le rôle des valeurs (axiologie) (Crotty, 1998; Shannon-Baker, 2016). Dans cette logique, les paradigmes sont des systèmes de croyances qui attachent la chercheuse à une vision précise du monde et la position paradigmatique influence la façon d’appréhender les phénomènes à l’étude (Guba et Lincoln, 1994).

La tradition paradigmatique à laquelle nous adhérons dans le cadre de notre parcours doctoral est celle du pragmatisme. Dans les lignes qui suivent, nous présentons sommairement la logique qui sous- tend notre positionnement paradigmatique.

Le pragmatisme, au sens paradigmatique du terme, est endossé par plusieurs chercheurs comme étant la meilleure posture en recherche mixte. En effet, comme exposé à la section 4.1, c’est avec l’émergence des méthodes mixtes que le besoin de trouver une philosophie de recherche permettant

de rallier les approches quantitatives et qualitatives s’est fait ressentir (Johnson et Onwuegbuzie, 2004). Selon les tenants du pragmatisme, il est souvent recommandé que les choix méthodologiques soient régis par la question de recherche plutôt que par « […] des hypothèses épistémologiques et ontologiques du paradigme dans lequel s’inscrit le chercheur » (Aldebert et Rouzies, 2014, p. 45). Or, si on adhère à l’idée préalablement émise selon laquelle l’ancrage paradigmatique est choisi en fonction de la valeur qu’il représente pour la chercheuse et en fonction de son utilité lui permettant d’atteindre le but de sa recherche, il est difficile de justifier l’adhésion au pragmatisme sans se questionner sur ses fondements historiques et philosophiques. En d’autres termes, comment adhérer à un paradigme en avançant uniquement qu’il s’agit du paradigme le plus approprié et qui accorde plus de valeur à la question de recherche qu’aux fondements philosophiques guidant la démarche de celle- ci? Bien que nous soyons d’avis que la question de recherche revêt une importance cruciale quant aux choix méthodologiques, il nous est apparu tout de même nécessaire de justifier notre positionnement au-delà de la justification simpliste voulant que ce soit le paradigme logique lorsqu’on mobilise une méthodologie mixte. D’ailleurs, une des principales critiques avancées au sujet du pragmatisme réside dans le fait que la plupart des études s’inscrivant explicitement dans ce paradigme mettent l’accent sur son aspect pratique, négligeant complètement ses fondements philosophiques. En appui, nous reprenons ce point important mis de l’avant par Morgan (2014) : « MMR24 has emphasized the practical

aspect of research methods in ways that both introduced pragmatism as a paradigm for social research, largely avoiding serious contact with the philosophical foundations of pragmatism » (p. 1045). Mentionnons que, d’un point de vue axiologique, notre recherche est grandement motivée par l’importance que nous accordons à la valeur de justice sociale. En fait, comme nous nous sommes éveillée aux injustices sociales que subissent certains groupes dès un très jeune âge, il n’était guère surprenant que nous choisissions de dédier notre recherche à un sujet susceptible de contribuer à soutenir, à l’aide de mesures pratiques, le bien-être de la population, tant à l’échelle individuelle que sociétale. À ce propos, Kaushik et Walsh (2019) présentent les fondements philosophiques du paradigme pragmatique ancrés dans les principes de changement social et de justice et soutiennent que la visée principale des adhérents à ce paradigme est de générer des connaissances qui peuvent facilement être mobilisées dans la pratique, ce qui rejoint par ailleurs le concept de pertinence sociale. Selon Dieleman, Rondel et Voparil (2017), les chercheurs qui adoptent une posture pragmatiste sont

constamment à la recherche de « […] a tolerant and nondiscriminatory culture that regards all people

with equal concern and respect » (p. 2). Plus encore, les tenants de ce paradigme s’accordent pour affirmer que le pragmatisme s’attaque à l’analyse des problèmes sociaux contemporains et aborde souvent des thèmes de l’inégalité sociale, du pouvoir et de la politique (Collins, 2017; Kaushik et Walsh, 2019; Morgan, 2014). Fait intéressant à noter, le mot pragmatisme est dérivé du mot grec  (pragma) et signifie action et dont le mot « pratique » en découle (Pansiri, 2005). À ce propos, la philosophie pragmatiste soutient que la réalité n’est pas statique, qu’elle est en constante évolution. Les changements majeurs dans le monde se produisent à travers les actions et, par conséquent, les actions ont un rôle central dans le pragmatisme (Kaushik et Walsh, 2019; Morgan, 2014).

Notons, en terminant cette section relative à notre position paradigmatique, qu’en tant que chercheuse adhérant au pragmatisme, nous avons pu maintenir notre subjectivité quant à nos propres réflexions sur notre recherche et l’objectivité dans l’analyse de nos données lorsque le besoin se présentait (Shannon-Baker, 2016).

3.2 Devis de recherche – Devis parallèle convergent à dominance