• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 Problématique

1.2 Problème spécifique – l’empathie et comment la susciter

1.2.2 Persuasion par l’empathie

Dans le champ spécifique de la réception et de la persuasion publicitaires, les conclusions des recherches ayant exploré le concept d’empathie ont mis en évidence qu’en raison des motivations altruistes qui lui sont inhérentes, l’empathie constitue une variable médiatrice susceptible d’influencer favorablement la réception des publicités ayant pour but de promouvoir les valeurs et les comportements prosociaux (Griffin, Babin, Attaway et Darden, 1993; McKeever, 2015; Peng, Shen, Vanderbilt, Kim et Foley, 2018; Shelton et Rogers, 1981; Shen, 2015, 2019). Par comportement prosocial, nous entendons ici tout comportement qui est utilisé au bénéfice d’autrui « ainsi que des comportements tels que l’aide, la consolation, le partage, la coopération, la défense, le fait de rassurer et de porter un certain intérêt » (Fiske, 2008, p. 391). Rappelons par ailleurs que les conclusions des recherches ayant exploré l’empathie en contexte communicationnel ont mis en exergue qu’il s’agit

d’une variable susceptible d’influencer favorablement la réception des publicités sociales (Campbell, 1998; McKeever, 2015; Shen, 2010a, 2011, 2019). Comme le soulignent Campbell et Babrow, « [f]or

many centuries, rhetorical scholars have contended that persuasion can be accomplished by messages that foster empathy or conceptually related responses » (2004, p. 160). Dans leur étude portant sur l’influence des réponses empathiques eu égard aux communications persuasives sur la prévention du sida, Campbell et Babrow (2004) expliquent que c’est l’amalgame de certains processus affectifs et cognitifs inhérents à l’empathie qui favorise un traitement en profondeur du contenu d’une publicité sociale et, ultimement, la persuasion. Plus précisément, l’empathie permet de faciliter la persuasion en favorisant l’adoption du point de vue du protagoniste publicisé. À ce propos, Chory- Assad et Cicchirillo (2005) avancent qu’à travers leurs capacités vicariantes, les récepteurs sont en mesure de s’identifier aux personnages présentés dans le contenu médiatique et, ainsi, ils sont plus portés à changer les comportements jugés préjudiciables et à adopter les comportements plus socialement acceptables. Toujours eu égard à la persuasion publicitaire, Campbell (1998) soutient que l’empathie a une incidence positive sur le traitement de l’information ainsi que sur la formation d’attitudes favorables au changement de comportement escompté. Dans la perspective d’expliquer la pertinence de recourir à l’empathie pour engendrer un changement d’attitude, cette même chercheuse souligne que « […] a message that arouses emotions through empathy should be more enduring than

a direct emotional appeal such as a scare tactic because the felt emotion from empathy spurs deeper, more extensive issue-relevant thinking that is retrievable from memory at the appropriate moment » (1998, p. 34-35). À l’inverse, Campbell explique que les appels aux émotions fortes, telle la peur, peuvent susciter des réactions indésirables et ainsi générer des effets boomerang ou bien produire d’autres mécanismes de résistance à la persuasion, dont la dissonance cognitive17 (Festinger, 1968)

ou encore la réactance psychologique18 (Brehm et Brehm, 1981; Dillard et Shen, 2005; Shen, 2010a).

En outre, les recensions des travaux qui lui ont été consacrés ont mis en évidence que, lorsque la réponse empathique se produit, les récepteurs sont moins enclins à rejeter les recommandations prônées dans le message et à mettre en place des stratégies de résistance à la persuasion (Mealy et Stephan, 2010; Petrova et Cialdini, 2011; Shen, 2010a). Certains constats de recherches relativement à l’impact de l’empathie sur la persuasion publicitaire pointent dans la même direction en indiquant que

17 « La notion de dissonance cognitive […] fait référence à l’état de tension interne provoqué par la présence de cognitions

simultanées incompatibles entre elles » (Chabrol ert Radu, 2008, p. 124).

18 « La réactance psychologique a été définie comme la réaction négative des individus à toute tentative de contrainte de

l’empathie issue de l’exposition à des messages publicitaires peut parfois atténuer ou même freiner l’émergence des effets indésirables.

Shen (2010a, 2010b, 2011, 2019) a montré que la réponse empathique influencerait favorablement le processus de persuasion en amoindrissant notamment les risques de contre-arguments, de colère, de rejet du message et de cognitions négatives. En effet, la définition de la composante affective de l’empathie situationnelle suggère que les réponses affectives des récepteurs concordent avec celles dépeintes dans le message. Par conséquent, la probabilité que la colère, en tant que réaction indésirable, se produise est réduite. Notons que les stratégies publicitaires ne cherchent que très rarement à provoquer de l’empathie en montrant la colère justifiée (p. ex. : un immigrant fâché de subir la discrimination) en contexte anti-discrimination. Cela est dû au fait que certaines émotions, notamment la colère, peuvent plutôt freiner l’émergence de l’empathie. Cet aspect est discuté plus en détail à la section 6.6.2.1.2 de la présente thèse. Pour sa part, la définition de la composante cognitive de l’empathie situationnelle renvoie à l’idée que les récepteurs reconnaissent, comprennent et partagent le point de vue prôné dans le message, ce qui minimise le risque de contre-argumentation et de réactance psychologique.

Plus récemment, Shen (2015) s’est intéressé aux différences entre les effets produits par des appels à la peur et ceux engendrés par des appels à l’empathie. Au terme de son étude, l’auteur a conclu que les appels à la peur pouvaient générer des réponses comportementales mésadaptées telles qu’un niveau d’anxiété chronique élevé chez les personnes à risque ainsi que de la complaisance parmi ceux qui ne sont pas directement ciblés par les messages. Au surplus, les appels à la peur exacerberaient les disparités en santé, car, selon Shen (2015), les personnes qui ne réagissent pas favorablement aux appels à la peur sont souvent moins éduquées et font généralement partie des groupes à faible revenu. En ce qui a trait aux effets persuasifs des appels à l’empathie, Shen (2015) suggère que la fonction principale de l’empathie situationnelle ressentie est de créer des liens sociaux, de relier et d’associer plutôt que de rejeter ou d’attaquer, comme c’est le cas avec la colère et la réactance psychologique. Par conséquent, l’auteur explique que l’empathie situationnelle a un effet positif et direct sur la persuasion, car la prise de perspective – élément central de la dimension cognitive de l’empathie sur lequel nous reviendrons plus en détail dans le chapitre suivant – renvoie à l’idée que les récepteurs comprendront et adopteront la perspective adoptée dans le message. Pour ce qui est de la dimension affective, Shen est d’avis que la contagion émotionnelle produite en réponse à un appel à l’empathie permettrait que les émotions négatives, surtout la colère, soient évitées.

Dans la même veine, Peng, Shen, Vanderbilt, Kim et Foley (2018) ont étudié les différents effets entre les appels à la peur et les appels à l’empathie sur la persuasion et la stigmatisation sociale. Bien que leurs résultats révèlent que la peur et l’empathie produisent toutes les deux des effets directs et positifs sur la persuasion, la peur semble générer plusieurs effets boomerang. À cet effet, il importe de mentionner que les auteurs ont contesté l’utilisation « abusive » des appels à la peur dans les campagnes de communication de santé publique, notamment parce qu’ils peuvent imposer des sanctions et restreindre la liberté en utilisant un langage fort et parfois dogmatique pour présenter explicitement les conséquences associées au refus d’adopter les recommandations prônées dans le message. Un autre effet négatif des appels à la peur réside dans le fait que ceux-ci peuvent simplifier la réalité et également stigmatiser les populations touchées par les comportements à risque ou les conditions de santé décrits dans les messages publicitaires. En fait, comme l’expliquent ces auteurs, les appels à la peur vont souvent mettre en scène des images négatives des personnes affectées par certaines conditions dans le but de contrer et de réduire les comportements à risque. Ainsi, dans les messages ayant recours à la peur, les concepteurs peuvent implicitement culpabiliser les gens affligés de leurs conditions en établissant un lien de causalité entre leurs comportements et ces conditions. De cette manière, ces messages peuvent insinuer que les personnes souffrant de certaines situations sont dangereuses surtout en ce qui concerne les maladies infectieuses, ce qui contribue davantage à leur marginalisation et à leur stigmatisation. Dans la perspective de pallier les désavantages associés à l’utilisation des appels à la peur, Peng et ses collaborateurs (2018) suggèrent de recourir plutôt à l’empathie. Ils justifient leur choix en expliquant que les individus qui adoptent la perspective d’autrui et partagent les émotions des protagonistes médiatisés ont tendance à les percevoir d’une manière positive. De même, ceux qui expérimentent, de manière vicariante, les vécus et la souffrance des autres sont moins portés à les juger et à les inculper, ce qui réduit les probabilités que la discrimination et la stigmatisation sociale se produisent. De plus, la dimension affective de l’empathie renvoie à l’idée que les récepteurs partageront les émotions exprimées par les protagonistes.

Pour leur part, Bagozzi et Moore (1994) sont d’avis que le sentiment d’empathie peut exacerber le pouvoir persuasif des messages publicitaires sur la solidarité sociale et contre l’abus d’enfants. Toutefois, la définition d’empathie que ces auteurs mobilisent dans leur étude concorde plutôt avec le concept que d’autres chercheurs ont nommé détresse personnelle. Bagozzi et Moore (1994) expliquent leur raisonnement de recourir aux émotions négatives afin de susciter l’empathie chez les récepteurs par le fait que les réponses émotionnelles de malaise et d’inconfort ressenties face aux émotions

d’autrui conduisent les récepteurs à vouloir apaiser la souffrance des victimes en question. Selon les auteurs, « […] a person experiencing negative affect has a need or motive to feel better and sees

helping others as a way to do this. That is, helping others is viewed as rewarding because either it is seen as a way to receive social recognition or it is intrinsically self rewarding […] » (1994, p. 60). En fait, contrairement à la conceptualisation formulée par Bagozzi et Moore (1994), l’empathie est régie par un désir sincère d’alléger la souffrance d’autrui. En regard de l’empathie, une réaction orientée vers soi correspond plutôt à la détresse personnelle (Batson et al., 1988; Batson, Fultz et Schoenrade, 1987; Griffin, Babin, Attaway et Darden, 1993). À ce propos, Eisenberg et ses collaborateurs soulignent que :

[…] personal distress is defined as a self-oriented, aversive emotional reaction such as

anxiety or discomfort. Batson has suggested that feelings of personal distress can be expected to lead to egoistically motivated assisting, that is, prosocial actions motivated by the desire to relieve one’s own uncomfortable internal state by reducing contact with the aversive, arousal-producing cues emanating from the other (Eisenberg et al., 1989, p. 55). Par ailleurs, MacInnis et Jaworski (1989), à l’instar de Boller et Olson (1991), concluent à la pertinence de l’empathie pour accroître l’efficacité des communications persuasives. Bien que ces auteurs, dans leurs études respectives, s’intéressent plutôt à la réception publicitaire dans un contexte commercial, ils expliquent néanmoins la fonction qu’exerce l’empathie dans le processus de persuasion. Pour leur part, Boller et Olson (1991) suggèrent que la réponse empathique à un message publicitaire peut conduire à la persuasion dans la mesure où elle permet au récepteur de faire l’expérience des avantages que lui apporterait le produit en question. Enfin, dans la logique des travaux de MacInnis et de Jaworski (1989), un traitement en profondeur de l’information publicitaire suppose l’activation des capacités vicariantes par lesquelles les récepteurs s’impliquent personnellement et s’incorporent dans la situation dépeinte dans le message. Dans l’éventualité où un tel traitement de message surviendrait, les récepteurs se projettent dans la peau du protagoniste mis en scène et sont ainsi en mesure de ressentir ses émotions – des processus essentiels à l’empathie.

Nonobstant, dans le contexte de réception des publicités sociales anti-discrimination, le concept d’empathie, comme facteur d’influence du processus de persuasion, demeure sous-étudié. Les chercheurs s’y étant intéressés en contexte plus général de réception publicitaire soutiennent l’importance d’explorer les antécédents de la réponse empathique. Comme le mentionne Shen, « […]

inducing message features are essential when it comes to message design » (Shen, 2010, p. 413). D’ailleurs, dans un article différent, ce même auteur suggère que :

[…] it remains unclear what kind of message features tend to activate state empathy […]

more audience analysis and formative research are needed to find out what kind of context and perspective might be easier for the target audience members to recognize, understand, and share. In addition, better understanding of the antecedents of message- induced empathy also calls for more research on the content, stylistic, and production features of messages (Shen, 2011, p. 413).

Dans l’intention de pallier ces lacunes, Shen (2019) a récemment publié un article dans lequel il se penche sur certains antécédents potentiels de la réponse empathique en contexte communicationnel. Il s’intéresse surtout aux antécédents inhérents aux messages publicitaires (message features) susceptibles de favoriser l’émergence d’une réponse empathique chez les récepteurs exposés à des messages préventifs de santé publique. Il part des quelques constats de recherches antérieures pour sélectionner son corpus publicitaire. D’abord, les messages narratifs qui mettent en scène des relations sociales ont un meilleur potentiel pour éveiller l’empathie que, par exemple, des messages didactiques ou présentant les conséquences négatives associées au refus d’adopter les recommandations prônées par l’annonceur. Ensuite, le message doit présenter la souffrance, la douleur et la peine des personnages médiatisés, car les données empiriques indiquent que les individus ont tendance à être plus empathiques envers la peine, la souffrance et la détresse d’autrui. Puis, les expressions faciales des protagonistes sont étroitement liées à l’empathie, puisqu’elles constituent d’importants signaux communicationnels des émotions. Finalement, les contenus médiatisés doivent être réalistes pour optimiser une réponse empathique. Partant de ces quatre constats, Shen (2019) a sélectionné 20 publicités sociales dans le but de trouver d’autres antécédents pouvant avoir un impact sur l’éveil empathique en contexte communicationnel. Au terme de son étude, il a identifié les antécédents suivants : une musique qui accompagne de façon appropriée l’expression des émotions chez les protagonistes (la musique de fond accentue l’expérience ou l’état émotionnel des personnages), la vivacité de la publicité (qui fait référence à l’utilisation d’images visuellement attrayantes dans les messages), le regard du/de la protagoniste (le/la protagoniste regarde la camera et établit un contact visuel avec le récepteur). Par la suite, on trouve le réalisme du scénario médiatisé (les événements présentés dans la publicité sont plausibles ou basés sur des événements ou des histoires découlant de la vie réelle, ou ce type d’événements peuvent facilement se produire dans la vraie vie ou se produisent typiquement dans des contextes comme ceux décrits dans le message publicitaire). Puis, la souffrance et la peine des protagonistes (la publicité met en relief l’un des éléments suivants : 1) la

perte irrévocable d’un être cher ou de quelque chose à quoi le/la protagoniste tient; 2) douleur physique ou émotionnelle et souffrance des personnages; 3) les épreuves dans des situations difficiles). Enfin, les relations sociales (le scénario médiatisé présente certains aspects liés aux relations familiales, amicales, etc.) et l’expression faciale des émotions (les protagonistes expriment leurs émotions visiblement et fortement) constituent, selon Shen (2019), les antécédents de la réponse empathique dans le contexte de réception des messages de prévention en santé publique.