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Chapitre 1 Problématique

1.2 Problème spécifique – l’empathie et comment la susciter

1.2.3 L’empathie et les relations intergroupes

Dans cette section, nous présentons le concept d’empathie dans le contexte des relations intergroupes en général et non seulement dans le contexte médiatique. En ce qui a trait aux relations intergroupes et, plus précisément, à la discrimination, plusieurs chercheurs mettent en exergue l’importance du rôle que joue l’empathie dans l’atténuation des préjugés (Batson, Chang, Orr et Rowland, 2002; Batson, Polycarpou et al., 1997; Eisenberg et al., 2010; Finlay et Stephan, 2000; Pagotto, 2010; Stephan et Finlay, 1999). À ce propos, Dovidio et ses collaborateurs avancent que « [e]mpathy can substantially

shape intergroup responses; thus, it is an important factor to consider in interventions and programs designed to improve intergroup relations and promote lasting harmony » (2010, p. 395). Mealy et Stephan (2010) partagent sensiblement la même position et soulignent que l’empathie joue un rôle crucial dans le cadre des relations intergroupes, car elle permet, entre autres, de créer des ponts, de tisser des liens et de développer la compréhension entre les groupes dont les histoires, les intérêts et les visions du monde diffèrent. Selon ces mêmes auteurs, l’étude de l’empathie, en raison de son potentiel de réduction des préjugés, des stéréotypes et de la discrimination, s’avère une avenue très prometteuse.

Par ailleurs, les recherches empiriques portant sur l’hypothèse empathie-altruisme ont mis en lumière que l’altruisme induit par l’empathie améliore les attitudes envers les groupes discriminés (Batson, 1991; Batson, Polycarpou et al., 1997). Partant de ce constat, les chercheurs ont suggéré que le fait d’induire l’empathie « […] may get directly at the affective core of attitudes, overcoming challenges to

improved group-related attitudes that are normally present when negative group stereotypes are endorsed » (McKeever, 2015, p. 3). Stephan et Finlay (1999) suggèrent que la prise de perspective – élément central de la dimension cognitive de l’empathie – peut réduire les préjugés, notamment parce qu’elle diminue la perception de différences entre l’endo et l’exogroupe. Qui plus est, ces mêmes chercheurs soutiennent que « [t]he feelings of threat engendered by concerns over differences in value,

the outgroup may all be dissolved by learning to view the world from the perspective of outgroup members » (1999, p. 735).

La littérature signale que l’empathie peut être induite par une variété de facteurs, dont l’un des plus proéminents consiste à amener les individus à prendre la perspective des cibles de la discrimination. Plus précisément, dans le cadre des recherches expérimentales, les participants reçoivent des directives explicites d’imaginer le ressenti de la personne discriminée ou encore d’imaginer comment ils se sentiraient s’ils se retrouvaient dans une situation similaire. Les résultats montrent que la prise de perspective peut amoindrir la discrimination, enrayer les préjugés et diminuer la possibilité que des conflits futurs se produisent(Davis et Maitner, 2010; Galinsky, Ku et Wang, 2005; Vescio, Sechrist et Paolucci, 2003; Wang, Tai, Ku et Galinsky, 2014). Emblématique du rapport à l’autre, la prise de

perspective est envisagée par ces auteurs comme un levier de coopération. De même, la prise de perspective peut également conduire les individus à prendre conscience du partage d’une identité et d’un destin communs. Ces derniers constats ont d’ailleurs reçu l’attention de plusieurs chercheurs [voir Gaertner et Dovidio (2012); Shnabel et Ullrich (2013); entre autres], qui reconnaissent son potentiel d’influence sur la coopération intergroupe pour la réalisation d’un but commun, ainsi que sur la diminution des préjugés et de la discrimination qui peuvent s’ensuivre.

Suivant le fil de ce raisonnement, dans le but d’augmenter les chances que l’éveil empathique se produise, certains chercheurs ont eu recours aux expériences de projection de rôle afin de susciter des réponses empathiques envers les groupes stigmatisés (Batson, Early et Salvarani, 1997; Byrnes et Kiger, 1990; Dampier, Dancer et Keiser, 1985). En guise d’exemple, Batson et ses collaborateurs (2002; 1997; 2005) ont mené une série d’études empiriques dont les résultats montrent que le fait de demander aux participants de s’imaginer le ressenti d’une personne stigmatisée augmente les sentiments positifs non seulement à l’égard de cette personne, mais également à l’égard de tous les individus pouvant se retrouver dans cette même situation. Au terme de leur recherche, ils avaient en effet constaté que l’empathie ressentie envers l’individu concerné s’est généralisée à l’ensemble du groupe auquel il appartenait (les personnes atteintes du SIDA, les minorités ethniques et raciales, les sans-abri et même les meurtriers).

Il convient ici de mentionner l’une des expériences de jeu de rôle parmi les plus connues dans le contexte scolaire. Il s’agit de l’expérience en classe – Blue Eyes – Brown Eyes – de Jane Elliott. Inspirée par les recherches de Tajfel (1978) et dans l’optique de rendre les préjugés ethniques

tangibles pour ces élèves, cette jeune institutrice a divisé sa classe en deux groupes : les élèves dont les yeux étaient bleus et ceux ayant les yeux bruns. Ensuite, elle a fait une déclaration choquante en annonçant à ses élèves que ceux qui ont les yeux bruns sont supérieurs à leurs camarades aux yeux bleus. Dans le but d’exacerber les effets de la discrimination, elle a accordé certains privilèges aux enfants aux yeux bruns et a interdit aux deux groupes de jouer ensemble. Le lendemain, elle a avoué s’être trompée et a affirmé que ce sont plutôt les personnes aux yeux bleus qui sont supérieures. Tour à tour discriminés pour la couleur de leurs yeux, ses élèves ont pris conscience et ressenti les conséquences de la discrimination à leur égard. Cet exercice avait été conçu dans le but d’aider les élèves à 1) comprendre que les différences interindividuelles peuvent causer des conflits, 2) être empathiques avec les personnes qui sont victimes de la discrimination, 3) reconnaître les préjugés et comprendre l’ampleur des dommages que de telles attitudes peuvent causer aux individus et aux sociétés et 4) apprécier les élèves dont le groupe ethnique ou la culture diffèrent des leurs (Guyton et Fielstein, 1991). Plus récemment, en 2006, une enseignante d’une école primaire de Saint-Valérien- de-Milton au Québec s’est livrée à une expérience inspirée par celle de Jane Elliott dans le but de faire prendre conscience aux enfants de sa classe des mécanismes de la discrimination et de l’intimidation. Dans la même veine, mais sans avoir recours aux jeux de rôle, Finlay et Stephan (2000) ont démontré que le fait de s’imaginer à la place d’une personne appartenant à un groupe stigmatisé en situation de discrimination augmente la perception de l’injustice et améliore les attitudes envers l’ensemble du groupe concerné. Le fait d’appréhender la souffrance et la discrimination comme s’ils les vivaient eux- mêmes pousse les participants à penser que les victimes de la discrimination ne méritent pas le sort qui leur est réservé.

Sans entrer dans les détails, nous jugeons néanmoins pertinent d’exposer brièvement une émission de téléréalité australienne dont l’objectif était précisément la prise de perspective dans le but d’éveiller la conscience et de générer plus d’empathie envers les réfugiés. Intitulée Go Back to Where you Came

From (Retourne d’où tu viens), l’émission proposait à des personnes estimant qu’il y a trop d’étrangers dans leur pays de revivre (à rebours) le parcours semé d’embuches que traversent les réfugiés afin de fuir une situation de guerre, de pauvreté ou de famine. Ils partaient ainsi d’Australie, sur une embarcation de fortune, pour se rendre dans des pays tels que l’Irak, l’Afghanistan, la Malaisie, ou encore le Kenya et le Congo (ATOM, 2011). Ainsi, cette émission de téléréalité permettait aux participants de se mettre littéralement dans la peau des réfugiés. Chaque fois, ces Australiens voyaient de leurs propres yeux les conditions de vie de ceux qui espèrent un jour se rendre dans leur pays.

L’émission a connu un succès retentissant, mais a aussi provoqué la polémique dans un pays où le racisme est un problème national. Bien qu’il y ait eu des critiques à l’égard de cette émission (le côté superficiel du programme et le voyeurisme, avec notamment la mise en scène télévisée d’un malheur bien réel), ses bienfaits dans la lutte contre la discrimination ont été maintes fois relevés (Macbeth Marshall, 2011).

Comme le démontrent les exemples cités ci-dessus, les directives explicites de prise de perspective et les jeux de rôle favorisent l’émergence de l’empathie. À cet effet, Johnson et ses collaborateurs soulèvent ce point pertinent : « […] empathic feelings were induced through direct instructions to the

participants. However, in many “real-world” situations there are no direct instructions to feel empathy for an individual in-need » (Johnson et al., 2009, p. 473). À notre connaissance, aucune étude relative au rôle de l’empathie dans la persuasion et dans les relations intergroupes n’a traité des antécédents de la réponse empathique. Plus précisément, les chercheurs ne semblent pas avoir exploré les antécédents, autres que les directives précises de se mettre à la place d’autrui ou d’imaginer son ressenti, pouvant susciter une réponse empathique. Comme le soutiennent Johnson et ses collaborateurs, « [o]ne notable limitation of empathy research is the minimal empirical attention given

to whether factors other than direct instructions might influence intergroup empathic responding » (2009, p. 465). À ce jour et à notre connaissance, aucune étude ne s’est attachée à explorer les antécédents de la réponse empathique dans le contexte de réception des publicités sociales anti- discrimination.

Quoique efficace, la « technique » de prise de perspective limite la possibilité d’explorer et de découvrir d’autres antécédents potentiels pouvant avoir une incidence sur le déclenchement de la réponse empathique.

Chapitre

2 -

Cadre

conceptuel,

objectifs et