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PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES

1. Composition de la TQSR

1.2 Nature des vo

1.2.2 Voix de la route

Tout au long des délibérations qui se sont déroulées autour de la Table, les représentants d’associations ont essentiellement tenu une voix exprimant les enjeux réels et concrets vécus en se déplaçant sur les routes. Les représentants des corps policiers ont également évoqué cette voix de la route en exposant des réalités associées aux contraintes d’application des mesures et des interventions et de leur légitimité, ainsi que concernant les ressources et le fonctionnement du domaine policier. Les participants qui soutiennent cette voix à la Table reprochent à ceux qui adoptent la voix de l’expertise de recourir à des propos trop théoriques et trop abstraits compte tenu du caractère pratique et concret de l’objet même étudié.

C’est le message, moi effectivement quand je les écoute là, ça n’a pas de bon sens. Ils [les chercheurs en sécurité routière] ne sont pas sur la même terre que nous autres. (Yves, représentant d’association du milieu de l’industrie)

Moi je n’avais pas l’impression qu’on cherchait des solutions pour des êtres humains. […] J’étais découragé. […] J’ai dit à la Table écoutez, moi ça ne marche pas. Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas fins, vous êtes ben que trop loin, bien trop loin de la réalité. (Dominic, représentant d’association du milieu de l’industrie)

Préoccupés par des problèmes et des réalités tangibles associés aux déplacements sur les routes ou par des considérations de faisabilité et d’acceptabilité sociale, les tenants de cette voix de la route ont souvent remis en question le manque de considération accordé à cette dimension sensible de la sécurité routière, pourtant essentielle à leur avis. Selon

cette voix, la sécurité routière concerne essentiellement et directement la manière dont les différents usagers de la route se déplacent sur le réseau routier. Les difficultés vécues au quotidien par les automobilistes ou les motocyclistes, par les chauffeurs de taxi, d’autobus ou de camion, ne sont pas les mêmes que celles que vivent les piétons ou les cyclistes, et encore moins semblables aux problèmes auxquels font face les policiers. Pour la voix de la route, puisque ces constats proviennent des gens qui expérimentent quotidiennement le réseau routier, ils doivent servir de base aux réflexions pour améliorer la sécurité routière. En fait, selon cette voix, qui de mieux placés que les usagers eux-mêmes pour juger de la pertinence et de la légitimité d’une mesure destinée à corriger une source d’insécurité sur les routes. Les considérations évoquées par la voix de la route concernent donc des aspects très terre-à-terre, des aspects parfois jugés anecdotiques par les défenseurs de la voix de l’expertise. La voix de la route se positionne ainsi différemment quant au niveau d’analyse de la problématique de sécurité routière comparativement à la voix de l’expertise. Pour la première, l’amélioration de la sécurité sur les routes passe par l’étude des réalités concrètes qui se produisent et se manifestent sur le terrain, alors que pour la seconde les mesures et les solutions de sécurité routière émergent des recherches scientifiques.

Mais j’avais l’impression que c’était très théorique et qu’il y avait une volonté que ça demeure théorique. Ben moi c’est de valeur, la sécurité routière pour moi ce n’est pas théorique ok. (Dominic, représentant d’association du milieu de l’industrie)

À plusieurs occasions, les voix de la route et de l’expertise se sont donc retrouvées en conflit. La voix de l’expertise soutient que si toutes les recommandations proposées par la TQSR avaient été basées sur la littérature scientifique et les « données probantes »,

plusieurs d’entre elles n’auraient pas été proposées telles qu’elles sont formulées dans les rapports. La voix de l’expertise déplore la forte influence des intérêts sectoriels et des points de vue des participants dans les propositions de recommandations, alors que la voix de la route reproche à celle de l’expertise en sécurité routière d’être déconnectée de la réalité telle qu’ils la vivent au quotidien.

Des fois ils se font une idée d’après leur expérience, d’après ce qu’ils voient, et ils prêtent à cette idée-là le statut que c’est aussi bon que la recherche. Là tu arrives, tu présentes l’évidence, et ils sont là, pouf ben non, ce n’est pas ça pantoute. Ils se font une opinion basée sur ce qu’ils pensent. Et ce n’est pas toujours vrai. Et c’est pour ça qu’on fait de la recherche. (Annie, chercheure en sécurité routière)

Ces participants partisans de la voix de la route, principalement les représentants d’associations, se sont en outre trouvés dans des situations où ils ont dû traduire le contenu des discussions tenues à la TQSR afin de le rendre intelligible et compréhensible pour les membres de l’organisation qu’ils représentent. Puisque ces représentants doivent parfois démontrer et convaincre leurs membres du bien-fondé d’une mesure proposée par la Table, nécessairement ils rapportent auprès de leur organisation l’essentiel de la démonstration et de l’argumentaire évoqués lors des réunions plénières. Cependant, ces représentants d’associations se sont rendu compte que le vocabulaire employé, la nature des propos exprimés et la manière de les communiquer à la TQSR créaient un clivage avec les réalités auxquelles leurs membres sont confrontés dans leurs activités journalières. Face à ce scepticisme et afin de rejoindre leurs membres, ces représentants ont donc été obligés de traduire la teneur des délibérations et des négociations tenues à la Table pour les rendre évocatrices et significatives pour les membres et l’organisation qu’ils représentent.

Pour nous autres, c’est intéressant de vous écouter. Sauf que nous autres il faut traduire ça en langage ordinaire. Fait que moi, la première fois que j’ai parlé à mes gars des zones d’approche de lieux accidentogènes, ils me regardaient […]. L’autre chose c’est qu’en l’espace de quelques heures, on passe d’un milieu qui est extrêmement concret […] et le lendemain matin, on arrive en réunion [plénière] avec vous autres et là vous partez avec des choses qui sont, vous êtes toujours là-dedans. Pour vous autres c’est simple. Ben nous autres là, on vient de changer de planète. (Dominic, représentant d’association du milieu de l’industrie)