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CONSTITUTION COMMUNICATIVE DES ORGANISATIONS Selon Berger et Luckmann (2006), les discours occupent une place centrale dans la

2. Propriétés de la communication

2.2 Récursive et rétrospective

Cette dynamique créée par l’interaction entre les constructions communes et les constructions privées rejoint une autre propriété de la communication qui concerne le caractère récursif et rétrospectif des discours. La récursivité signifie que « the same conversational procedure that is operative in the construction of a text is also operative in the embedding of that text within another text (or metatext) » (Robichaud, Giroux, Taylor, 2004, p. 621). D’une manière récursive et réflexive, un discours précédent devient l’objet et la référence d’une conservation future. Cette boucle de récursivité conduit à la construction de «métaconversation » qui elle-même, en retour, forme et organise des collectifs. Par « métaconversation », les auteurs Robichaud, Giroux et Taylor (2004) réfèrent au processus discursif par lequel une identité est collectivement constituée à partir des interactions récursives entre divers faits, acteurs et événements. En suggérant, implicitement ou explicitement, différentes significations, règles, normes ou responsabilités, cette construction discursive, qui lie différents domaines de pratique et de langage, contribue à la construction, à la gestion, à la continuité et à la stabilité des

organisations. Les organisations émergent et se construisent donc par l’entremise de « métaconversation » dans la mesure où :

(1) "organization" refers to a language-based social entity composed of multiple communities of practice or cognitive domains and (2) "occurs in a metaconversation" means emerging from the recursive processes of the conversations of the members, where each conversation narratively frames, implicitly or explicitly, the previous one. (Robichaud, Giroux, Taylor, 2004, p. 624)

Une organisation s’impose comme une entité unique qu’à partir du moment où elle a été constituée et interprétée à l’intérieur de discours comme un seul acteur représentant une réalité particulière. Alors que la conversation actualise l’organisation et que le texte la formalise, la « métaconversation » l’objective. En ce sens, la « métaconversation » remplit deux principales fonctions; d’une part, elle représente une conversation qui mène à la production d’un texte et, d’autre part, il s’agit d’une conversation qui réaffirme ce texte produit par l’entremise d’une conversation antérieure. En rendant possible cette interaction entre le texte et la conversation, la « métaconversation » participe ainsi à la rédaction du texte, mais également à sa verbalisation. En tant que conversation sur une autre conversation, la « métaconversation » permet la clarification et l’explication du sens donné au contenu du texte ou à la conversation qui a contribué à sa production.

En regard de la nature réflexive et rétrospective de la communication, Weick (1995) affirme que la signification et l’interprétation des actions se construisent rétrospectivement : « People can know what they are doing only after they have done it » (p. 24). Au cours de leur interaction, les acteurs sont exposés et confrontés à

plusieurs expériences qu’ils parviennent à expliquer qu’après les avoir vécues. Pour être en mesure de donner un sens à une action, encore faut-il qu’elle se soit produite :

Experience as we know it exists in the form of distinct events. But the only way we get this impression is by stepping outside the stream of experience and directing attention to it. And it is only possible to direct attention to what exists, that is, what has already passed. (Weick, 1995, p. 25)

Cette conception suppose que l’action est nécessairement prospective et que son interprétation est subséquente à sa réalisation. La signification des actions et des interactions est alors réflexivement réinterprétée et renégociée rétrospectivement après qu’elles se soient produites (Robichaud, Giroux, Taylor, 2004). Puisque les discours s'avèrent durables et atemporels, ils permettent ainsi l'expression et l'explication a posteriori des événements. La seule référence au temps renvoie en réalité au contexte

général dans lequel s'inscrivent les actions. En permettant l’interaction entre deux niveaux de communication, cette propriété du discours contribue à organiser et à structurer les expériences et les actions à condition toutefois, de distinguer le contenu du contexte des conversations.

Les auteurs Robichaud, Giroux et Taylor (2004) précisent en effet que toute communication comporte deux dimensions; l’une textuelle qui réfère à ce qui est dit, c’est-à-dire au contenu du message, que ce soit de manière orale ou littérale et qui peut perdurer dans le temps, et une autre dimension interactionnelle qui englobe tous les éléments et tous les aspects qu’ils soient comportementaux, attitudinaux ou émotionnels, qui enrichissent le contenu du message. Cette dimension interactionnelle ou contextuelle des conversations s’exprime notamment par l’entremise des modalités du langage. Cette

caractéristique du langage permet à l’émetteur de ponctuer et de dynamiser implicitement son discours afin de laisser transparaître ses émotions et ses attitudes. Non seulement le récepteur décode le contenu textuel du message et les idées exprimées par l’émetteur, mais il est également en mesure d’interpréter et de décoder le sens contextuel ou l’effet qu’il peut avoir sur lui : « To paraphrase Goffman (1981), by talking, A is not only giving information but also giving off information – the kind of information that allows B to speculate on what A’s attitude really is » (Robichaud, Giroux, Taylor, 2004, p. 621).

Pour leur part, Hardy, Lawrence et Grant (2005) réfèrent aux styles de langage, qu’il soit coopératif ou autoritaire, pour témoigner de ce genre de ressource discursive et interactionnelle mise à jour lors de conversation. Les conversations de style coopératif reposent sur un ton, un rythme et un vocabulaire qui témoignent de la volonté des acteurs à collaborer, à respecter et à soutenir les rôles, les intérêts et les préférences de chacun. Le style coopératif donne lieu à des actions collectives et inclusives, tout en favorisant la construction d’une identité collective; un facteur de réussite et d’efficacité des collaborations (Hardy, Lawrence, Grant, 2005). Ce genre d’interaction suscite un respect mutuel, une considération et une égalité parmi tous les acteurs. C’est pourquoi les interactions de nature coopérative s’avèrent particulièrement importantes lors de collaborations où les acteurs présentent différents échelons de pouvoir.

Dans les conversations de style autoritaire, les acteurs recourent à un ton, un rythme et un vocabulaire qui servent à mettre de l’avant et à insister sur leurs propres points de vue et préférences. Ce faisant, ils tentent d’orienter et d’articuler les discussions de manière à

assurer la prise en compte de leurs intérêts dans la mise en œuvre des actions collectives. À la différence des conversations de style coopératif qui suggèrent le respect, l’ouverture et le compromis, celles autoritaires tendent plutôt vers l’argumentation, la fermeté, voire l’agressivité ou l’altercation et se déroulent souvent dans un climat de tension. Néanmoins, ce type de conversation permet aux acteurs de définir leur rôle et leur engagement dans la collaboration, ainsi que d’afficher clairement leur position (Arnaud et Mills, 2012). En ce sens, les styles de conversation témoignent également des différents genres d'action privilégiés par les participants.

Alors que le style de langage coopératif satisfait au partage de constructions communes et à l’intégration de constructions privées, le style de langage autoritaire voit à la représentation et à la concrétisation des constructions privées, de même qu’à la remise en question et à l’actualisation des constructions communes. L’interaction entre ces deux styles de conversation contribue au développement de la synergie nécessaire à la réalisation d’innovation et à l’efficacité des collaborations. En somme, à l’instar du processus de construction des collectifs où plusieurs controverses se manifestent :

Effective collaboration is driven by an ongoing interplay of both styles of talk and will emerge from situations in which agreement is regularly challenged and where styles of talk vary over time and across conversations in a fluid and potentially unpredictable manner. (Hardy, Lawrence, Grant, 2005, p. 70)