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3. Gouvernance collaborative

3.2 Défis de diversité

Les discours associés aux collaborations interorganisationnelles, la plupart du temps favorables et élogieux, référent à des concepts tels que la confiance mutuelle, le partage de ressource, la réciprocité des intérêts ou l'efficacité des résultats (Keyton, Ford, Smith, 2008). Néanmoins, la possibilité pour les acteurs de satisfaire leurs propres intérêts, des intérêts qui convergent rarement et même s’opposent souvent, demeure une importante source de motivation pour participer aux exercices de collaboration interorganisationnelle. La théorie de la dépendance aux ressources (Resource dependence theory) soutient d’ailleurs que pour inciter des acteurs à participer à une

satisfaire un intérêt particulièrement important pour leur organisation (Logsdon, 1991). Étant donné la nature de plus en plus complexe et incertaine des enjeux auxquels est confronté chaque domaine d’activité, les organisations reconnaissent qu’elles doivent dorénavant s'associer pour obtenir les ressources nécessaires à l'atteinte de leurs objectifs. La majorité des interactions reposent alors sur un échange de bénéfice, qu'il soit de nature économique, culturelle, sociale ou matérielle. Selon cette théorie, les acteurs cherchent toutefois à minimiser leur dépendance envers la collaboration afin de préserver une certaine autonomie, mais tout en admettant que les interactions sont à la base de l’acquisition de nouvelle ressource et de la satisfaction de leurs intérêts. La recherche et la transmission de ressource représentent ainsi un moyen et un résultat de la collaboration (Nahapiet, 2008). La théorie de l’ordre négocié (Negotiated order theory) abonde également en ce sens puisqu’en prenant conscience et en reconnaissant leur interdépendance, les acteurs apprécient et exploitent plus favorablement les possibilités et les avantages que leur offre leur engagement dans une pratique de gouvernance collaborative. « Negotiated order theories use approaches that involve processes of interactions, through which stakeholders gradually come to shared definitions of the situations they collectively face. » (Pasquero, 1991, p. 40)

Certains acteurs s’opposent cependant à cette idée d’interdépendance, soit parce qu’ils la jugent inutile étant donné les ressources dont ils profitent, soit parce qu’ils refusent tout simplement d’admettre cette interdépendance même s’ils reconnaissent la pertinence des efforts collectifs (Logsdon, 1991). L’inégalité entre les acteurs et l’asymétrie de leurs relations profitent alors à ceux qui détiennent le plus grand pouvoir pour influencer les activités de la collaboration en fonction de leurs propres intérêts et non des objectifs

collectifs. Le pouvoir correspond à une ressource mobilisée par l'entremise de la collaboration et qui concourt à influencer les interactions entre les acteurs. Certains décident ainsi de participer à des exercices collectifs pour protéger leurs propres intérêts dans le partage de ressource face à des participants plus influents qui pourraient envisager de leur soustraire (Lotia et Hardy, 2008).

Compte tenu de la diversité et de l’hétérogénéité qu’associe un exercice de gouvernance collaborative, elle donne inévitablement lieu à des luttes politiques, à des stratégies d'influence et de domination ou à un contrôle d’information et de ressource (Lotia et Hardy, 2008). Les participants s’engagent dans des processus de délibération et de négociation afin de parvenir à des compromis relativement acceptables pour tous. Par conséquent, la collaboration « require more effort and time when groups are composed of members who represent different constituencies, have conflicting individual frames, and / or motives to compete as well as cooperate » (Mohammed, 2001, p. 415).

Selon Lax et Sebenius (1986), il existe trois principaux types d’intérêts (dans Gray et Wood, 1991). D’abord, ceux partagés, c’est-à-dire des intérêts communs à tous les participants. Généralement, ce type d’intérêt est peu fréquent. Les intérêts différents renvoient aux intérêts propres à chaque acteur, mais qui n’interfèrent habituellement pas avec ceux des autres participants. Quant aux intérêts opposés, ils concernent des intérêts individuels qui entrent directement en conflit avec un ou plusieurs intérêts que défendent les autres acteurs de la collaboration. Le défi pour les participants consiste alors à défendre leurs intérêts conflictuels (Gray et Wood, 1991).

Pour sa part, Oliver (1990) précise ces trois différents types d’intérêts en soutenant que la plupart des acteurs qui participent à des collaborations souhaitent également améliorer l’efficacité et la performance de l’organisation qu’il représente (dans Logsdon, 1991). Chacun désire maximiser l’usage et l’accessibilité aux ressources disponibles, tout en cherchant à profiter de bénéfice potentiel. Les acteurs s’intéressent donc à résoudre des problèmes collectifs susceptibles d’affecter et d’influencer les activités et le rendement de leur organisation. Dans une perspective stratégique à plus long terme, leur participation aux exercices de gouvernance collaborative peut en outre contribuer à stabiliser et à réguler l’environnement dans lequel intervient leur organisation puisqu’ils deviennent plus aptes à évaluer les conséquences et les effets de certaines décisions publiques (Logsdon, 1991). La légitimité que ces acteurs et l’organisation qu’ils représentent ont acquise et consolidée au fil du temps dans le domaine d’activité au sein duquel ils œuvrent leur permet d’écarter des possibilités de changement, par exemple en s'opposant à la venue de nouveaux acteurs potentiellement menaçants (Lotia et Hardy, 2008). Inversement, les participants plus influents, toujours dans l’intention de satisfaire leurs intérêts, peuvent contraindre certains acteurs à participer à la collaboration afin d'exercer leur pouvoir sur eux. Les collaborations « are seen as instruments of power and influence and a means for protecting individual organizational interests. […] In other words, collaborations represent political moves by organizations to protect privileged positions » (Lotia et Hardy, 2008, p. 374).

La théorie du management stratégique (Strategic management theory) soutient que les acteurs participent aux collaborations afin d’accroître leur propre contrôle sur l’environnement et les ressources dont ils disposent (Gray et Wood, 1991). Les

collaborations apparaissent comme un moyen pour mieux gérer l’accès aux ressources sans perdre de vue les bénéfices qui peuvent y être obtenus. Cette théorie repose sur la possibilité d’obtenir des gains compétitifs et des avantages stratégiques en misant sur la réduction des menaces et en tirant profit des opportunités se présentant dans l’environnement. Pour ces acteurs, les collaborations représentent un moyen pour rentabiliser leur ressource, soit en faisant diminuer les coûts des produits et des services, soit en investissant dans la recherche et le développement, dans des actions politiques, ou dans d’autres secteurs aidant l’accès et le contrôle à d’éventuelles ressources, ou soit en renforçant des politiques publiques en leur faveur. Il paraît donc inexact de croire que les acteurs s'investissent dans des collaborations avec neutralité et objectivité pour profiter uniquement des bienfaits procurés à l'ensemble des participants et à la société (Lotia et Hardy, 2008).

Dans le même ordre d’idées, les auteurs Sharfman, Gray et Yan (1991) affirment que les deux principales motivations qui incitent les acteurs à collaborer proviennent de deux forces environnementales, la force compétitive et la force institutionnelle. Les forces compétitives découlent de l’évolution du marché et de l’économie, alors que les forces institutionnelles résultent de pression publique et sociale issue d’un ensemble de règles et de normes que doivent respecter les organisations sous peine de perdre leur légitimité. Pour survivre à la compétition et en retirer des profits, les organisations ont alors avantage à collaborer et à s’engager dans un processus d’échange de ressource afin de minimiser et de rentabiliser leurs coûts. Les forces compétitives peuvent également entraîner les organisations à vouloir réduire l’incertitude et les turbulences de leur environnement.

Les inégalités entre les participants sur le plan du pouvoir d’influence et du contrôle de ressource peuvent également être mises à profit afin de contrôler la prise de décision. Les acteurs influents s’assurent que les décisions prises respectent leurs intérêts et n’interfèrent pas avec les activités de leur organisation. Dans les faits, l’autonomie d’une organisation quant à la disponibilité et à l'accessibilité aux ressources, qu’elles soient de nature financière, informationnelle ou technique, témoigne du pouvoir de certains acteurs. En effet, Klijn (2008) précise que « the more the various actors are mutually dependent on each other's resources the more equal the power division in the network » (p. 131).

Ce contrôle de ressource peut également se manifester symboliquement, c'est-à-dire qu'en fonction de ses propres intérêts, un acteur gère et exploite les informations de manière à formuler la définition du problème et les solutions envisagées afin que les participants reconnaissent leur légitimité et leur pertinence comparativement aux autres possibilités (Rodriguez, Langley, Béland, Denis, 2007). Ce pouvoir symbolique permet de contrôler autant l'agenda des thèmes et des intérêts à considérer, des décisions à prendre que des actions à entreprendre et des acteurs à engager (Lawrence, Hardy, Phillips, 2002). Par leurs discours, ces acteurs usent de leur pouvoir pour convaincre de la justesse et du bien-fondé de leur interprétation (Lotia et Hardy, 2008).

De la même manière, les différents langages et les diverses réalités propres au domaine d’activités de chacun des participants s’ajoutent aux défis de diversité des collaborations interorganisationnelles comme pratique de gouvernance collaborative. En fonction de leur statut et de leur profession, les acteurs emploient un langage spécifique et technique

qui peut s’avérer inaccessible pour ceux qui ne sont pas familiers avec le milieu, les préoccupations ou la manière de procéder. Ce qui peut sembler tout à fait naturel et compréhensible pour certains acteurs peut contribuer à exclure des discussions certains participants moins à l’aise avec ce genre de réalités.