• Aucun résultat trouvé

PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES

1. Composition de la TQSR

1.1 Enjeux de représentation

1.1.3 Représentants des milieux policiers

En participant aux activités de la Table, les représentants des milieux policiers se sont engagés dans un exercice où le fonctionnement par concertation n’est pas nécessairement habituel dans leur fonction. En général, les policiers disposent d’une certaine légitimité leur permettant de mettre en œuvre des actions et des mesures sans systématiquement concerter plusieurs acteurs. En outre, les corps de police hésitent parfois à divulguer publiquement certains renseignements. Bien que la notion de reddition de compte soit de plus en plus présente dans les milieux policiers, il n’en demeure pas moins que le fait de concerter différents acteurs sans disposer de l’ascendant représente pour eux une manière non traditionnelle de fonctionner. Selon des représentants des corps policiers rencontrés en entrevue, le fonctionnement de la TQSR diffère effectivement des procédures avec lesquelles ils ont l’habitude de travailler.

Par définition la police se sont des gens qui ont des pouvoirs extraordinaires par rapport aux autres citoyens. Ils sont habitués d’avoir un petit peu plus raison que tout le monde. […] Alors, c’était ben difficile pour les policiers de reprendre leur place à la Table ok. Parce qu’ils ne sont pas habitués d’être juste un joueur. Ils sont habitués d’être un maître de jeu. Ce n’est pas la même affaire. Tu ne te positionnes pas de la même manière. (Céline, représentante des milieux policiers)

Les représentants de la communauté policière sont principalement préoccupés par des intérêts de type opérationnel. Tout en partageant la volonté d’améliorer la sécurité sur les routes, l’applicabilité et la légitimité des recommandations proposées par la Table les préoccupent plus particulièrement. Puisqu’en fin de compte ce sont les policiers qui veillent à la mise en place des mesures et au respect des lois, leurs préoccupations à la TQSR consistent essentiellement à s’assurer de la faisabilité pratique des recommandations et de leur possibilité de sanction, mais aussi de leur recevabilité auprès de la population. Leurs contraintes principales se rapportent ainsi à l’acceptabilité sociale des mesures et à leurs conditions d’application, qu’elles soient légales ou techniques, ainsi qu’aux impératifs liés aux ressources requises. Pour ces représentants, il ne suffit pas d’adopter une loi ou une mesure, encore faut-il qu’elle soit applicable et perçue comme légitime par la population. Selon eux, la meilleure des lois demeure inefficace si les policiers ne peuvent pas la faire respecter ou si la population s’y oppose catégoriquement. Lors des délibérations, les représentants des corps policiers ont à l’occasion été confrontés aux intérêts des acteurs du milieu de la recherche qu’ils jugent moins familiarisés avec les contraintes concrètes d’applicabilité et d’acceptabilité sociale. Les mesures proposées par les chercheurs sont souvent perçues par les représentants de la communauté policière comme impossibles à mettre en œuvre et à faire respecter telles que présentées.

Donc on passait pour une gang de négatif autour de la Table. On ne s’opposait pas, c’est comment voulez-vous qu’on l’applique? On n’a pas assez de, ce n’est pas parce qu’on n’a pas la volonté, on n’a pas la machine que vous pensez qu’on a. […] Mais ça, on n’avançait pas parce qu’on était plus là pour dire, aye woh, woh. Ce n’est pas personnel là, mais moi j’ai dont ben trouvé qu’on avait un rôle négatif. On va créer des nouvelles

choses, on va faire ça. Ben oui, ben oui. Pourquoi tu le mets, ce n’est pas applicable. (Henri, représentant des milieux policiers)

Par exemple, lorsqu’il y a été question d’interdire complètement l’usage du cellulaire pendant la conduite d’un véhicule, les représentants des corps policiers se sont opposés à cette recommandation puisque pour eux, cette mesure est inapplicable. Bien qu’elle soit pertinente en terme de sécurité sur les routes, les policiers ne voyaient pas de quelle manière faire la distinction entre un individu qui chante dans sa voiture, qui se parle à lui-même ou qui entretient une conversation en recourant à la discrétion d’un système mains libres. Qui plus est, ces représentants redoutaient les vives oppositions de la population face à cette mesure. Le compromis trouvé a donc été l’interdiction du combiné, une mesure plus facilement applicable du point de vue des policiers, mais qui est néanmoins peu efficace selon les chercheurs en sécurité routière.

Une situation semblable s’est produite concernant la suggestion de diminuer la limite permise d’alcoolémie à 0.05 mg d’alcool par 100 ml de sang, une mesure déjà en vigueur dans certaines provinces canadiennes. Selon les policiers représentants de la communauté policière à la TQSR, non seulement les appareils actuels ne permettent pas de mettre en œuvre cette mesure, mais elle s’avère également inefficace puisque cette catégorie de conducteurs n’est généralement pas dangereuse sur les routes. En outre, cette recommandation soulevait de fortes contestations dans la population. Pour les policiers, les récidivistes au volant constituent une problématique beaucoup plus préoccupante pour assurer la sécurité sur les routes.

Sur certains dossiers, c’est la démarcation entre la connaissance scientifique et ensuite l’applicabilité. Et c’est ça qui fait dans le fond qu’on n’est pas sur la même longueur

d’onde. On est convaincu du point de vue scientifique qu’une mesure est très bonne. Mais par contre, on sait que ça peut être difficile de l’appliquer. Et c’est là que les débats font qu’il n’y a pas toujours le consensus qu’on souhaiterait. (Lucie, fonctionnaire)

Même au sein des représentants des organisations policières elles-mêmes quelques divergences de positions sur certaines thématiques discutées à la Table les ont obligés à tenir des rencontres préparatoires aux réunions plénières afin de se mettre d’accord sur l’orientation à défendre devant les autres participants de la TQSR.

Mais nous là, on était obligés de tenir des réunions préparatoires. Souvent, on déjeunait ensemble le matin quand on savait à l’avance quels seraient les sujets. Mais il fallait qu’on se concerte entre nous parce que c’était vraiment risqué d’aller présenter des points de vue contradictoires à la Table pour représenter la communauté policière. (Céline, représentante des milieux policiers)