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PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES

1. Composition de la TQSR

1.1 Enjeux de représentation

1.1.4 Représentants de la recherche

Les représentants du milieu de la recherche se positionnent davantage dans des rôles de promoteurs des volets scientifique et social de la sécurité routière, à tel point que leurs discours sont parfois perçus comme plus « militants » que collaboratifs. Non seulement ces représentants se font les porte-parole de la mission des institutions qu’ils représentent, mais ils témoignent également des préoccupations scientifiques et de santé publique. Le rapport entre la finalité de la Table et les missions institutionnelle et professionnelle de ces participants est très étroit, d’où un engagement plus assidu de leur part dans les activités de la TQSR. Leur participation est souvent volontaire dans le sens où ils prennent part au débat d’une manière personnelle et non uniquement pour représenter leur organisation et ses orientations. Certains acteurs ont même mentionné

en entrevue avoir éprouvé du découragement et de l’impuissance lors du rejet par la majorité des participants de la TQSR de recommandations dont le bien-fondé était explicitement établi par la recherche.

Les représentants du domaine de la recherche scientifique siègent à la Table principalement pour promouvoir la prise en compte des « données probantes » issues de la recherche dans les prises de décision. Ces participants connaissent autant les dernières découvertes en terme de mécanismes et de stratégies pour améliorer la sécurité sur les routes que les conclusions de récentes études empiriques, et ce, partout à travers le monde et sur différentes thématiques. Lors des délibérations, l’intérêt scientifique défendu par ces représentants entre souvent en confrontation avec les intérêts associatifs ou techniques soutenus par les autres participants. Bien que ces derniers comprennent généralement bien la légitimité théorique des mesures proposées par les chercheurs, d’un point de vue pratique ils les considèrent détachés des enjeux auxquels ils font face dans leurs activités quotidiennes. Ils s’opposent donc fréquemment aux mesures suggérées par les représentants de la recherche, soit parce qu’elles sont jugées inapplicables et impossibles à sanctionner, soit parce qu’elles perturbent les opérations et le fonctionnement de leur organisation. Face à l’obligation de s’accorder sur des compromis afin de satisfaire les intérêts de tous, les chercheurs considèrent que plusieurs recommandations de la Table manquent de vigueur et d’audace. À leur avis, la nécessaire recherche de consensus mène inévitablement à des recommandations diluées qu’ils estiment peu pertinentes, alors que d’autres participants les considèrent trop sévères.

Ces représentants de la recherche se trouvent également confrontés aux enjeux politiques qui s’articulent derrière les travaux de la Table et avec lesquels ils sont peu familiers pour la plupart. En tant que forum initié par le ministre des Transports et supporté par les ressources de son ministère, la TQSR inscrit ses travaux, du moins implicitement, dans les orientations ministérielles. Les représentants du milieu scientifique se disent plutôt mal à l’aise face à cette influence politique qui sous-tend les activités de la Table, alors que d’autres acteurs acceptent sans gêne la présence et l’apport du politique à la TQSR. Certains y voient même un avantage en terme de possibilité d’action puisque la Table reçoit l’écoute du pouvoir politique.

Ceux qui sont souvent, qui sont autour de la Table, qui ont été dans des cabinets ministériels, il y en a quelques-uns là-dedans qui se retrouvent à la tête d'organismes qui sont autour de la Table. Eux autres le comprennent très bien parce qu’ils savent comment l'État fonctionne. D'autres qui sont plus, je dirais plus la branche scientifique là, qu’ils sont moins habitués un petit peu au fonctionnement de l'État, ben eux autres le saisissent un petit peu moins bien cette façon-là. Et c'est correct aussi, ce n’est pas leur façon de faire habituelle. Et il y a peut-être plus d'indépendance scientifique sur les recommandations en même temps. (Sarah, fonctionnaire)

La Table c'est une création du ministère. Et à partir de là, dans mon esprit à moi, et il faut comprendre que je suis dans un environnement politique, je suis très près du politique, donc je peux très bien comprendre qu’il y a une orientation à caractère politique qui est donnée à la Table. Moi j'accepte ça, je ne suis pas inconfortable du tout, du tout avec ça. (Mathieu, représentant du milieu municipal)

Plusieurs représentants du milieu de la recherche se désolent du peu de considération qui est accordée à leur avis aux « données probantes » et aux faits scientifiques dans les prises de décision à la Table. Ils déplorent la forte influence dont bénéficient les intérêts et les opinions des participants lors des délibérations. Par exemple, lors de la négociation

sur l’interdiction complète de l’utilisation d’un cellulaire au volant, les chercheurs ont expliqué et fait valoir que les études scientifiques prouvent que de tenir un combiné en conduisant ne représente pas le danger le plus important. Ces recherches démontrent que le réel danger concerne la mobilisation et la structuration de l’attention du conducteur envers la conversation téléphonique puisqu’elles diminuent sa concentration envers les imprévus et les dangers qui peuvent survenir sur la route. Néanmoins, pour certains secteurs d’activité représentés à la Table, il s’avérait inconcevable d’interdire l’usage du cellulaire au volant, que ce soit pour des considérations juridiques, économiques, pratiques, de sécurité ou d’application de la mesure. Le compromis trouvé a été d’interdire seulement l’usage du combiné, autorisant ainsi les conducteurs à employer un dispositif de type mains libres, et ce, sachant que la conversation téléphonique représente le réel danger.

Alors, c’est sûr que sur ces aspects-là principalement ben c’est sûr qu’on aurait voulu peut-être qu’il y ait davantage de mécanismes ou qu’il y ait plutôt des mécanismes qui fassent davantage place aux résultats de la recherche et à la recherche comme telle au sein de la Table. Et il y a très peu de représentants du milieu de la recherche à la Table. C’est beaucoup plus des gens qui représentent des associations, des regroupements, donc des clientèles. Et donc, ils arrivent avec leurs préoccupations autour d’une même table. Cela dit bon, ce n’est pas nécessairement mauvais pour autant. (Louis, chercheur en sécurité routière)

De la même manière, au début des activités de la TQSR, plusieurs représentants du milieu de la recherche scientifique étaient peu familiarisés avec de tels mécanismes de collaboration et de concertation, en plus de toutes les délibérations et les négociations qu’ils supposent, autant celles formelles qu’informelles. En terme de connaissance acquise, la majorité de ces acteurs apprécient avoir découvert et appris le

fonctionnement même d’un processus de concertation et l’influence politique qui sous- tend ce genre d’initiative gouvernementale.

J’ai appris bien d’autres choses sur les choses autres que la sécurité routière. La façon de fonctionner, les gens et d’un point de vue humain là. (Louis, chercheur en sécurité routière)

Somme toute, la plupart des représentants du milieu scientifique ont souligné que leur participation aux travaux de la TQSR représente une occasion intéressante pour échanger et créer des relations avec d’autres spécialistes associés au domaine de la sécurité routière. Ces participants ont mentionné avoir rencontré et côtoyé des gens d’expertises diversifiées et de niveaux hiérarchiques variés qui autrement seraient inaccessibles.

On n’était pas habitué de transiger avec ce genre d’acteurs là justement. Mais on s’est trouvé une certaine force, comme un appui entre nous autres. […] On avait quand même les mêmes idées nous autres. Mais des fois c’était une découverte. Tu penses comme ça toi aussi, moi aussi. Mais on ne savait pas a priori qu’on était sur la même ligne de pensée. […] On s’est trouvé des alliés naturels là-dessus. (Annie, chercheure en sécurité routière)

Je trouve ça super. Le groupe qui est là est très intéressant. Pour moi c’est une occasion unique de discuter par exemple, avec des ingénieurs. Parce que [Mathieu] il a une bonne équipe, il a une bonne tête ce gars-là, il est intéressant. […] Il y a des gens très intéressants autour de la Table. […] C’est une opportunité de rencontrer par exemple [Roger], que je ne peux pas rencontrer ailleurs. Mais ça permit de développer des liens plus soutenus. (Paul, chercheur en sécurité routière)