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PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES

1. Composition de la TQSR

1.2 Nature des vo

1.2.4 Voix politique

La voix à saveur politique se manifeste plus subtilement dans les discussions par l’évocation de quelques thèmes, plus particulièrement celui de l’ordre du jour des travaux de la Table et celui de la prise de décision par consensus. En principe, la création de la TQSR a permis aux autorités politiques de se positionner rapidement en sécurité routière au Québec en mettant sur pied un forum politiquement crédible auprès de la population. Il ne s’agit pas du ministre, du MTQ ou de la SAAQ qui proposent des mesures et des politiques pour améliorer la sécurité sur les routes, mais bien une cinquantaine de participants d’instances différentes issues de la société québécoise. Cette nouvelle voix dans le domaine de la sécurité routière, à cause de la diversité des intérêts qui la compose, donne une crédibilité et une assise aux autorités politiques. Les rapports présentés par la TQSR deviennent un outil qui vient justifier et renforcer les actions ministérielles.

Cette occasion-là de discuter comment amener des mesures pour le Québec qui vont améliorer la sécurité et d’avoir l’aval déjà de tous les gens qui sont touchés par cette mesure-là. Le fait qu’on en discute et qu’ils disent oui on est d'accord, c’est un levier extraordinaire pour aller de l’avant avec des mesures. Quand on arrive au ministre et qu’on dit, voici la Table qui représente tout ce monde-là est d’accord pour proposer. (Laurence, représentante de la SAAQ)

Parce que la Table a été mise en place pas juste pour dire on fait une table. Mais c'est pour donner au ministre un levier pour je dirais venir, pas justifier le mot est mal choisi, mais vous voyez un petit peu ce que je veux dire, les actions qui vont être prises. Pour

dire ben voici j'ai eu recommandation de l'ensemble des partenaires. C'est 45 personnes qui représentent tous les milieux de la société et c'est très très diversifié comme intérêts. Tout ce monde-là s'est mis d'accord sur certaines recommandations, donc moi fort ou forte de ça voici ce que je propose. (Sarah, fonctionnaire)

De l’avis de plusieurs représentants qui siègent à la TQSR, pour un ministre, le fait de pouvoir s’appuyer sur des recommandations consensuelles et approuvées par une cinquantaine d’acteurs associés au domaine de la sécurité routière représente un moyen de mobilisation gouvernemental fort performant pour promouvoir une cause collective. En évitant toutes dissensions, le contenu des rapports de la TQSR se transforme en un outil stratégique qui facilite la promotion et l’adoption de mesures nouvelles. Dans cette démarche gouvernementale, les partisans de cette voix s’assurent ainsi de la légitimité politique des recommandations proposées par la TQSR. Toutefois, les défenseurs de la voix de la route, pour la plupart des représentants de corps policiers et d’associations, déplorent néanmoins un certain manque de considération à l’égard des contraintes concrètes et réelles vécues sur le terrain dans les prises de décision.

Pour un ministre là, madame Boulet, elle s’est vantée, elle s’est vantée, elle s’est vantée. Elle n’a pas eu le trouble de vendre ça sur le terrain. (Henri, représentant des milieux policiers)

La Table représente un lieu où les autorités publiques peuvent sonder l’opinion des acteurs du domaine de la sécurité routière concernant les orientations et les politiques publiques que le ministre est disposé à promouvoir. La TQSR offre l’opportunité aux décideurs politiques d’accomplir ouvertement les consultations nécessaires à l’adoption de projets de loi. Les exercices de délibération se réalisent en amont du processus

législatif. L’analyse des enjeux et des préoccupations est réalisée, de même que la majorité des problèmes négociée et résolue. Avant même d’engager l’Assemblée nationale dans l’étude d’un projet de loi, le ministre sait qu’il peut compter sur l’appui de l’ensemble des participants de la Table.

D’un point de vue gouvernemental, et là je parle plus du niveau des intérêts, mais d’un point de vue gouvernemental quand moi j’ai à mener un projet législatif ou réglementaire et que toute la consultation a été faite ouvertement. On n’attend pas à la Commission parlementaire là. Ben moi je fais des meilleurs dossiers avec des meilleurs états de situation. L’analyse des enjeux est déjà faite. Je sais déjà à l’avance ce que chacun va venir dire. En fait tout ce qui a pu être réglé avant, par le processus, ça fait ça de moins à l’Assemblée nationale. Les gens sont aussi satisfaits parce qu’ils ont eu la chance de dire leur affaire et ils ont eu la chance d’influencer. Parce que ça, ce n’est pas négligeable, quand les gens ont l’impression de pouvoir influencer leur appareil étatique. Et le ministre qui présente quelque chose il sait toujours ben s’il est dans l’adversité ou pas, et il sait où il s’en va. (Claire, fonctionnaire)

Dans la mesure où cet exercice de concertation a été initié par le ministre des Transports et que le MTQ assure les ressources requises à la tenue de ses activités, la TQSR bénéficie d’un appui et d’une volonté politique pour inciter une réflexion en sécurité routière et pour trouver des solutions afin d’améliorer le bilan routier. Certains participants ont alors profité de cette occasion politique pour exposer des dossiers achevés et pour favoriser la mise sur pied de projets de sécurité routière déjà prêts à implanter.

On a sauté dans le train parce qu’on sentait qu’il y avait comme une locomotive qui nous permettait d’aller de l’avant. (Laurence, représentante de la SAAQ)

Pour les promoteurs de cette voix politique, la TQSR s’est donc avérée un levier pour présenter et pour militer en faveur de mesures sur lesquelles ils travaillaient déjà depuis

un bon moment et qu’ils estiment pertinentes pour améliorer le bilan routier. Les délibérations et les discussions autour de la Table ont en outre permis d’assurer l’acceptabilité sociale de ces mesures. Plus particulièrement lors du premier cycle des travaux, la majorité des questions sur lesquelles se sont penchés les participants de la Table avaient déjà été étudiées par la SAAQ ou d’autres acteurs. Ainsi, la documentation nécessaire pour évaluer la pertinence des recommandations proposées était disponible et accessible. Qui plus est, le Québec accusait un important retard en ce qui concerne les mesures et les politiques publiques dans le domaine de la sécurité routière. Les partisans de cette voix ont alors travaillé politiquement à créer les consensus nécessaires permettant des interventions destinées à améliorer le bilan routier qui sont façonnées par de multiples préoccupations et ordres du jour, incluant ceux du ministre des Transports. Bien que cette voix politique concerne plus particulièrement les acteurs responsables de la sécurité sur les routes au Québec, des participants du milieu associatif y ont également pris part.

C’est vrai que plusieurs mesures, quand on regarde les deux rapports, plusieurs mesures attendaient depuis longtemps dans le collimateur là. Disons ça comme ça. Il y a des choses qui avaient été documentées beaucoup au fil des ans. Je reviens au photo-radar, on en parlait là, le photo-radar ça ne c’est pas décidé avec la Table. On a eu le livre vert en 99. On a eu d’autres commissions en 2001. (Laurence, représentante de la SAAQ)

Plutôt que d’adopter cette stratégie d’offensive politique, d’autres participants ont préféré jouer sur la défensive. Ceux pour qui la TQSR représente une extension de la capacité d’agir du gouvernement dont l’ordre du jour est piloté par le MTQ et la SAAQ se présentent à la Table avec une intention de lobbying. Ces participants cherchent avant tout à promouvoir et à protéger les intérêts de leur organisation sachant que la Table

reçoit l’écoute des autorités politiques. De la même manière, l’appui de ces organisations socialement et économiquement influentes profite à la crédibilité recherchée par cet exercice de concertation.

Et là monsieur [un coordonnateur de la Table] il dit, écoutez non, non, non, il ne faut surtout pas perdre l'appui de [une association d’usagers de la route]. Il va falloir qu’on se parle monsieur [un représentant d’association du milieu de l’industrie]. Fait que finalement il y a eu des discussions par la suite. Alors, ça joue rough des fois. Ça joue des coudes et c’est là qu'on voit que les intérêts qui sont en jeu ne sont pas les mêmes. Et les transporteurs c'est des gros sous et ils ne veulent pas, leur objectif ce n'est pas la sécurité même s’ils le disent là ce n'est pas ça l'objectif, eux autres c'est l'économie. Et c'est correct en soi, mais disons qu’il faut savoir comment se brancher dans tout ça et arriver quand même à faire des consensus. (Yannick, représentant d’association d’usagers de la route)

Finalement, ces différents rôles et ces différentes voix qu’adoptent les acteurs représentent des réalités changeantes autour de la Table. En aucun cas ces positions ne s’inscrivent comme des catégories fermées et statiques dans lesquelles les participants se confinent de manière définitive. Au contraire, selon les enjeux soulevés et les questions discutées, un même acteur peut, à un moment, se positionner en tant que promoteur d’une initiative et à un autre, plutôt comme un défenseur du statu quo ou encore, décider de ne pas prendre part à la délibération et de n’être qu’attentif à la discussion.

La composition hétérogène de la TQSR est responsable de cette variété de conceptions et d’enjeux de représentation. Ces différents rôles incarnés par les acteurs, de même que les diverses voix auxquels ils ont donné lieu, ont nécessairement influencé le fonctionnement de la Table ainsi que le processus de production de consensus, ce que nous verrons dans le section suivante.