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La Visitation

3.5. Marie, une mère « ordinaire »

3.5.2. La Visitation

alors tous pourront à leur tour goûter la joie de croire !

3.5.2. La Visitation317  

3.5.2.1. En marche !

En marche ! En grec, le verbe περιπατέω signifie se promener, circuler, marcher.

En hébreu, il est intéressant de noter une acception supplémentaire : la racine רשא signifie à la fois « marcher, s’avancer » et « heureux ». L’Evangile présente Jésus comme itinérant,

« en marche », allant, cheminant, pour venir à la rencontre des humains. La foi chrétienne, ce n’est pas rester tranquillement à attendre, mais c’est marcher aux côtés de Jésus. Il faut juste oser faire le premier pas, donner le bras à celui ou celle qu’il envoie nous chercher, comme Elisabeth a été heureuse de voir arriver Marie ! « Partir, se lever ou se mettre en route est souvent un effet de l’Esprit. C’est Lui qui, dans une motion intérieure parle au cœur, motive et met en mouvement. »318

Acceptant sa mission, Marie est porteuse de la Bonne Nouvelle, de l’Evangile, εὐαγγέλιον, en grec, c’est-à-dire de la venue de Dieu dans le monde par qui tout humain peut accéder à la vie éternelle. L’important est de noter que Jésus est venu au monde comme n’importe quel être humain. A travers lui, Dieu entre dans l’histoire et épouse toute la condition humaine, se faisant « Tout Proche ».

3.5.2.2. Se laisser rejoindre

L’histoire d’Elisabeth, qui a connu la profonde blessure de la stérilité avant de se laisser surprendre par Dieu et de se mettre à l’écoute de sa Parole, montre que « rien n’est impossible à Dieu »319. C’est bien à ceci qu’elles invitent toutes les deux le lecteur, à se laisser convertir, à tourner son regard vers les signes ténus de la Présence de Dieu à ses côtés, là où il l’attend le moins, mais là où il en a le plus besoin… Marie communique cette joie de croire à Elisabeth qui rayonnera à son tour de la lumière du Dieu-avec-elle, à condition d’y consentir.

                                                                                                               

316 Cf. Jg 6, 14 : « Va avec cette force que tu as ! »

317 Lc 1, 39-56.

318 Luc Lannoye, Le Tout-Petit, p. 21.

319 Lc 1, 37.

3.5.2.3. « La joie de l’Evangile »320

Plusieurs mots dans le texte soulignent cette joie dont Marie irradie. D’abord la hâte dont elle fait preuve en se mettant en route. Elle veut vite rejoindre Elisabeth. Ensuite, les paroles de l’hymne321 qu’elle entonne. Cette rencontre souligne aussi bien l’importance du lien, du vivre ensemble, du croire ensemble. Dans des temps particulièrement bousculés comme une grossesse, une naissance, une séparation, une maladie, un deuil, se savoir entouré et soutenu rend plus fort pour traverser l’épreuve et accueillir avec humilité le salut que Dieu apporte par le biais de telle ou telle personne.

A peine arrivée, Marie ayant salué Elisabeth, l’enfant de cette dernière bougea dans son ventre et elle fut remplie de l’Esprit Saint322, accomplissement de la promesse de l’ange à Zacharie323. Les trois protagonistes de cette histoire, Jésus, Jean-Baptiste et l’Esprit saint, sont invisibles. L’apôtre Paul rappelle à ce titre que « notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas ; ce qui se voit est provisoire, mais ce qui ne se voit pas est éternel. »324 Dans le ventre de ces deux femmes se tissent deux vies distinctes au destin lié par l’Esprit saint. L’un des enfants annonce déjà le règne de l’autre alors qu’aucun des deux n’est encore né.

Juste après, Elisabeth bénit Marie et confesse sa foi en disant : « Comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? »325 « La foi est une manière de posséder déjà ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités que l’on ne voit pas. »326 Elisabeth reconnaît là une deuxième fois327 la promesse du Seigneur à son égard et croit en Celui par qui elle va devenir mère. Marie ne s’arrête pas à cette exultation, mais renvoie directement à Dieu seul la gloire, en chantant son Magnificat328 qui rend grâces pour l’Annonciation et la Visitation.

Rien ne nous est rapporté des trois mois que passe Marie chez Elisabeth. Un silence éloquent, un silence qui accompagne souvent les débuts de grossesse et leur annonce à l’entourage, laissant l’espace nécessaire à l’appropriation du mystère et du miracle d’une                                                                                                                

320 Titre d’une exhortation apostolique du Pape François émise en novembre 2013. En latin : Evangelii gaudium.

321 Le Magnificat. Cf. infra.

322 Cf. Lc 1, 41.

323 Cf. Lc 1, 15.

324 2 Co 4, 18.

325 Lc 1, 43.

326 Hb 11, 1.

327 La première fois a lieu en Lc 1, 25, lorsqu’Elisabeth dit que le Seigneur a jeté les yeux sur elle pour enlever sa honte (de ne pouvoir enfanter).

328 Lc 1, 46-55.

nouvelle vie humaine en germe. « (…) toute maternité s’accomplit dans une merveille de silence. Longtemps on ne s’aperçoit pas de son état. Puis l’enfant ne se décèle qu’à de très faibles frémissements. Sa mère lui parle, le rêve, s’en inquiète, s’en amuse, et tout reste intérieur, fin comme une pensée. »329 La puissance de Dieu s’accomplit dans la faiblesse330, le Très-Haut331 devient le Très-Bas en Marie et en toute femme enceinte qui L’accueille !

Ce passage de l’évangile de Luc peut inspirer l’accompagnement spirituel de plusieurs manières. D’une part, il indique que l’enfant, protégé dans le ventre de sa mère, perçoit autant le monde extérieur des caresses sur le ventre de sa mère et des voix familières que le monde intérieur des émotions maternelles. Il est « connecté » à son environnement et il le manifeste par des mouvements que la mère ressent bien, à cinq mois révolus de grossesse. L’enfant d’Elisabeth tressaille en entendant Marie saluer sa mère.

Les deux femmes étaient vraisemblablement heureuses de se revoir, et leurs enfants de se pressentir !

D’autre part, le temps de la grossesse est un temps de grands chamboulements émotionnels voire spirituels. Ce peut être déroutant, aussi s’agit-il de les laisser venir, de les accueillir et de voir comment les exploiter pour en tirer un bon profit pour soi et pour son enfant. Les émotions, qu’elles soient positives ou négatives, font partie de toute vie humaine. On peut choisir d’en faire quelque chose, si possible de positif.

Tenir un petit carnet de ses émotions et de son évolution spirituelle durant la grossesse peut s’avérer utile et constructif durant cette période privilégiée et unique pour chaque femme, quel que soit le nombre ou l’absence de grossesses vécues antérieurement.

Pour les futures mères les plus inspirées, pourquoi ne pas écrire un poème ou une prière de louange qui regrouperait leurs pérégrinations intérieures ? Comme Marie dans son Magnificat, ce serait l’occasion de remercier Dieu pour cette vie à naître et de Lui redire sa confiance. Mais aussi de Lui confier ses doutes et ses angoisses, bien légitimes avec l’arrivée d’une être supplémentaire dans la famille, en particulier s’il n’était pas « prévu » ou s’il s’est longtemps fait attendre. Ce texte, sorte de journal spirituel, retracera les tribulations de la future mère qui notera aussi les exaucements vécus et les consolations reçues. Une manière de repérer les fruits de l’Esprit saint qui œuvre en chacune d’elle en cette période spéciale jusqu’à la naissance de l’enfant et même au-delà.

                                                                                                               

329 France Quéré, Marie, p. 61.

330 Cf. 2 Co 12,9.

331 Cf. Lc 1, 32 ; le superlatif grec, ὑψίστου, insiste bien sur la grandeur de ce fils à naître.

3.5.3. La Naissance332  

3.5.3.1. Incarnation

Dieu qui s’incarne en notre humanité ! Voilà ce qu’est la Nativité. Or, toute naissance n’est-elle pas incarnation, espérance ? On dit que c’est à ce moment-là que certains pères se sentent pères « pour de vrai », lorsque le bébé est bien là, réel et non plus imaginé, qu’il rejoint ses parents appelés désormais à prendre soin de lui, à exécuter leurs premiers gestes spécifiques (Marie emmaillote son fils, en Lc 2, 7) et à l’inscrire dans l’histoire de leur famille. Noël symbolise ce que chacun est aussi appelé à faire : accueillir Dieu qui se donne à lui, qui naît au milieu de lui et en lui333, devenir la crèche pour qu’il puisse naître en lui. Un Dieu qui n’est plus lointain, imaginaire, mais tout proche, s’offrant à la rencontre. « Celui-ci est né dans la pauvreté de notre cœur. Là où normalement on place la nourriture pour les bêtes, Dieu a déposé son fils pour apaiser notre faim la plus profonde et pour nous nourrir de sa vie divine et de son amour. Certains artistes ont donné à la mangeoire la forme d’un autel afin d’évoquer l’Eucharistie : Jésus nous est donné afin qu’il constitue notre véritable nourriture qui nous remplit de vie divine. »334

3.5.3.2. Entre exultation et émerveillement

Au cœur de la nuit, la naissance de Jésus est entourée de silence et de recueillement – « Marie retenait tous ces événements en en cherchant le sens »335 – tandis qu’exultent les bergers à qui l’ange a annoncé la nouvelle dans une grande lumière. Contraste saisissant !

« A la naissance de l’enfant, Marie n’est pas le témoin du ruissellement d’étoiles et de chants qui fait accourir mages et bergers. Son bonheur, si c’est lui, elle le surprend dans la pénombre de l’étable : l’enfant est comme tout enfant ; elle, comme une autre mère. Elle l’emmaillote, le couche et le veille. On chercherait en vain dans cette scène intime le moindre signe céleste, comme celui qui avertit le monde alentour. »336 France Quéré détaille avec poésie et pudeur l’ambiance possible de la crèche. Une chambre de maternité est aussi enveloppée de silence et d’admiration face à la nouvelle petite vie qui l’habite et dont les parents prennent soin délicatement.

                                                                                                               

332 Lc 2, 1-20.

333 Les deux sens possibles du grec εἰµι ἐν µέσῳ αὐτῶν sont « au milieu d’eux » et « en eux-mêmes ».

334 Anselm Grün, Je vous annonce une grande joie, Paris, Parole et Silence, 2009, p. 47.

335 Lc 2, 19.

336 France Quéré, Marie, p. 102.