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Du diagnostic à la décision de poursuivre la grossesse

4.2. Accompagner les parents d’un enfant handicapé ou gravement malade

4.2.3. Du diagnostic à la décision de poursuivre la grossesse

4.2.3.1. De l’utilité du DPN

Les examens médicaux font partie de la routine de la grossesse. Echographies, prises de sang, analyses d'urine, la future maman n'échappe en principe pas à toute une batterie de tests sitôt qu'elle se sait enceinte et ce jusqu'aux suites de couches. Plus tard, c'est le pédiatre qui prendra le relais et surveillera le bébé très régulièrement au moins durant la première année. Je précise « en principe » car en réalité, ces examens ne sont pas obligatoires et toute parturiente peut les refuser. En général, dans ces rares cas-là, la raison invoquée est d'ordre religieux ou moral : les parents accepteront leur enfant tel qu'il se présentera à la naissance. Il faut souligner qu'en Occident, 80% des grossesses qui débutent aboutiront à terme à la naissance d'un enfant en bonne santé. Les examens médicaux effectués durant ces neuf mois ne servent, en général, qu'à rassurer les futurs parents et le corps médical.

Cependant, en cas d'anomalie détectée lors de l’un de ces examens de routine, c'est le coup de tonnerre dans un ciel sans nuages, c'est la sidération, l'impression de vivre l'événement « de l'extérieur », comme anesthésié, sans doute inondé d'adrénaline et de cortisol, réponses hormonales consécutives à un stress soudain. Les parents ne sont plus tout à fait eux-mêmes, aux prises avec un traumatisme générateur d’angoisse, tiraillés par maints questionnements (« Que va-t-il devenir ? » « Qu’allons-nous devenir ? ») Dans leur tête, leur enfant n’est plus qu’un monstre, un intrus, un gêneur, résumé à sa maladie ou à son handicap. Peut-on vivre avec cette idée ?

4.2.3.2. « Sélectionner ou accepter ? »513

Les parents ont tendance à s'en remettre entièrement au corps médical, au moins dans un tout premier temps. « Dans le rêve de bonheur de la plupart des gens, un handicap

                                                                                                               

513 Titre d’un chapitre du livre Sélectionner ou accepter ? La vie en devenir face aux diagnostics prénataux et préimplantatoires.

n'a pas sa place. »514 C'est le constat de bien des personnes, et en particulier du groupe d'accompagnement de personnes vivant avec un handicap qui a écrit un chapitre intitulé

« Sélectionner ou accepter », dans le livre Sélectionner ou accepter ? La vie en devenir face aux diagnostics prénataux et préimplantatoires. Ces auteurs soulignent que si le diagnostic prénatal s'est affiné ces dernières années, il n'en va pas de même pour les possibilités thérapeutiques. Certaines pathologies découvertes in utero se soignent, mais dans des cas plus graves, aucun médicament ni aucune chirurgie ne soignera la malformation. C'est pourquoi, en cas d'anomalie de l'embryon ou du foetus, on n’a souvent que le choix entre sélectionner (supprimer) et accepter.

« Sélectionner le type de vie autorisée à se développer ou accepter la vie qui se développera. »515 Qui décide ? En dernier recours, les parents. Quelle responsabilité ! « Accepter ou refuser un enfant présentant un handicap constaté ou présumé : cette question conduit les futurs parents à la limite de ce qui est humainement supportable. »516 Apeurés par une telle situation, les médecins proposent le plus souvent d'interrompre la grossesse, pensant qu'il sera moins difficile aux parents de stopper le processus que de se projeter dans un avenir incertain avec un enfant malade ou mort-né. De même, selon une enquête restituée par Raphaël Hammer, Claudine Burton-Jeangros et Samuele Cavalli517, la plupart des femmes interviewées procéderaient à une interruption de grossesse en cas de diagnostic de trisomie 21. Ils soulignent que la question de l’acceptation d’un enfant handicapé ne serait toutefois pas réglée. De surcroît, donc, « les médecins sont aussi tenus d'établir des contacts avec les associations de parents et d'attirer l'attention des futurs parents sur le fait qu'il existe des alternatives à un avortement. »518

4.2.3.3. Un accompagnement encore trop discret

Il reste encore bien du chemin à faire par le corps médico-social pour accompagner les parents vers une issue différente, porteuse de vie et d'amour. Certes, un enfant handicapé exige beaucoup de ses parents dont les liens peuvent se renforcer à ses côtés, comme se fragiliser. Le couple doit trouver un terrain de communication et ne pas laisser                                                                                                                

514 Kind Christian, Braga Suzanne et Studer Annina (dir.), Sélectionner ou accepter ? La vie en devenir face aux diagnostics prénataux et préimplantatoires, p. 149.

515 Id., p. 150.

516 Id., p. 155.

517 Cf. Marie-Jo Thiel (dir.), « L’enfant à venir au prisme des examens prénatals », Quand la vie naissante se termine, Presses universitaires de Strasbourg, 2010, p. 254-270.

518 Kind Christian, Braga Suzanne, Studer Annina (dir.), Sélectionner ou accepter ? La vie en devenir face aux diagnostics prénataux et préimplantatoires, p. 151.

les non-dits et la fatigue ronger leur relation. Il peut même parler à son enfant des difficultés qu'il traverse suite à cette découverte bouleversante, à ce rêve brisé, laisser couler ses larmes et s'en ouvrir à lui pour ne pas le considérer que comme un être malade ou handicapé, mais comme un enfant désiré et déjà aimé...

Après mûre réflexion, après avoir écarté l'idée de l'interruption de grossesse, les parents peuvent décider de confier leur enfant malade à l'adoption. En effet, certaines personnes ont vocation à accueillir au sein de leur famille un ou plusieurs enfants handicapés. Il s'agit de bien y réfléchir, de prendre son temps, d'en parler, pourquoi pas au

sein d'une association telle que Emmanuel SOS adoption

(http://www.emmanueladoption.ch/index.html) qui sera un précieux relais pour toutes les démarches à effectuer et proposera un soutien psychologique. « Quant une maman ou un couple désemparé donne son enfant en adoption, il ne l'abandonne pas, mais lui ouvre une perspective de vie et remplit un acte d'amour. Alors, une renaissance est possible par l'accueil de l'enfant dans une famille adoptive », lit-on sur le site Internet de cette association. Des associations peuvent aider et soutenir toute personne concernée avec délicatesse et bienveillance dans son cheminement, quel qu’il soit.

Bien sûr, il s'agit, en tant que personnes externes, de ne pas juger les parents qui auront pris telle ou telle décision. Qui mieux que les parents eux-mêmes peuvent savoir quelles sont leurs limites, leurs capacités à élever ou non un enfant malade ou handicapé ?

« Lorsque des parents doivent prendre une décision existentielle concernant leur futur enfant, parfois dans l'urgence et à partir d'informations qui, le plus souvent, exposent des probabilités et non pas des certitudes, ils se projettent dans l'avenir. Ils se posent des questions sur la qualité de vie de leur enfant et celle de toute la famille. Leurs décisions dépendent en partie du scénario qui se déroule dans leur tête: comment l'enfant sera-t-il accueilli et accepté ? Sur quels soutiens peut-il compter pour se développer de façon optimale et s'épanouir en dépit des défis qu'il aura à relever ? (...) Le contexte social ou l'image qu'ils peuvent en avoir joue un rôle important dans leur décision. (...) Nous sommes coresponsables des conditions de vie de l'enfant; la faculté des parents de l'accompagner avec amour et compétence sur son chemin dépendra aussi de la qualité du soutien matériel et humain de leur entourage. »519

                                                                                                               

519 Gisela Chatelanat, « Dépasser le handicap », dans Kind Christian, Braga Suzanne, Studer Annina (dir.), Sélectionner ou accepter ? La vie en devenir face aux diagnostics prénataux et préimplantatoires, Chêne-Bourg, ED. Médecine & Hygiène, 2009, p. 134.

Ces parents, de nos jours, bien souvent, doivent justifier leur décision de continuer la grossesse en sachant que leur enfant sera malade ou handicapé. Alors qu’auparavant, une femme devait se justifier de vouloir interrompre sa grossesse et était mise au ban de la société, car attenter à la vie d’un enfant in utero était moralement et pénalement répréhensible…

Que dire alors de l’entourage immédiat, la fratrie, les grands-parents, les amis, les collègues ? Sans parler, et c'est là mon sujet, des pasteurs, des prêtres, des accompagnants spirituels, des thérapeutes, dont la vocation est d'accompagner leurs prochains dans ce qu'ils ont à vivre d'heureux et de plus terrible. De telles situations laissent bien souvent démuni, sans mots, dans un « souffrir-avec » qu'une présence silencieuse peut remplir d’affection encore mieux que des mots maladroits.

Les associations de soutien aux proches d'handicapés attirent régulièrement l'attention de l'opinion publique sur l'intégration de ces derniers à la vie de tous les jours afin que les plus vulnérables soient reconnus comme capables de resserrer nos liens solidaires et de nous révéler notre dignité humaine. Gisela Chatelanat est professeure adjointe à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) de l’Université de Genève. Depuis 1976 elle intervient dans les cursus de formation concernant le domaine de l’éducation précoce spécialisée. Dans ses travaux de recherche, elle s’est notamment intéressée au développement de jeunes enfants avec une déficience intellectuelle, à l’intégration préscolaire et à la collaboration entre parents et professionnels. Dans un chapitre intitulé « Dépasser le handicap », elle écrit ceci après avoir cité un extrait du préambule de la Constitution fédérale (« La force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres. ») : « Les parents doivent entendre ce message adressé à leur futur enfant lors d'une consultation génétique ou prénatale, à la maternité ou dans d'autres lieux où sont annoncés les diagnostics. » 520