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Emergence de questions spécifiques

4.1. Accompagner l’infertilité

4.1.2. Emergence de questions spécifiques

4.1.2.1. Quelles limites à la PMA ?

Si l’on se place du côté de l’éthique, après une trentaine d’années d’expérience dans le domaine de l’aide médicale à la procréation, de nombreuses questions qui                                                                                                                

408 Cette technique consiste à stimuler les ovaires de la femme afin qu'elle produise plusieurs ovocytes (et non un seul naturellement) durant un cycle menstruel. Ceux-ci lui sont alors ponctionnés sous anesthésie générale, puis mis en présence des spermatozoïdes de son conjoint, préalablement triés et préparés en laboratoire. En cas de fécondation, un ou plusieurs embryons sont ensuite transférés dans l'utérus de la femme quelques jours après, où la nidation peut s'effectuer. La suite de la grossesse se déroule normalement.

Découlent de cette technique les transferts de zygotes imprégnés (c’est-à-dire âgés d’environ 24 heures et composés de deux cellules et plus, avant la fusion du matériel génétique des deux gamètes qui donnera un embryon) surnuméraires réalisés après décongélation gardés en vue d'une tentative ultérieure (la congélation d’embryons, c’est-à-dire d’organismes humains de plus de deux cellules, est interdite à ce jour en Suisse) ainsi que l'ICSI (injection intracytoplasmique de spermatozoïde) lors de laquelle un seul spermatozoïde de qualité est injecté dans un ovule pour forcer la fécondation.

dépassent le cadre initial – à savoir aider des couples hétérosexuels mariés à concevoir un enfant après un diagnostic médical montrant un ou plusieurs dysfonctionnements – ont vu le jour. Monique Canto-Sperber, philosophe, et René Frydman, gynécologue-obstétricien ayant permis la naissance du premier « bébé-éprouvette » français en 1982, en notent quelques-unes dans leur ouvrage Naissance et liberté. La procréation. Quelles limites ? comme par exemple :

« Enceinte de six mois, Nathalie a été grièvement blessée dans un accident de voiture. L’utérus s’étant déchiré de part en part, elle a perdu son enfant. La chirurgie a réparé. Mais toute nouvelle grossesse présente un risque énorme. Un an plus tard, à 36 ans, Nathalie est de nouveau enceinte. Le chirurgien, redoutant l’éclatement de l’utérus, parvient à la persuader d’avorter avant que le délai légal des douze semaines ne soit écoulé. Une année passe. Nathalie revient à l’hôpital, à nouveau enceinte, mais cette fois de quatre mois. Elle demande au médecin de l’aider à poursuivre sa grossesse aussi longtemps que possible jusqu’à la naissance d’un enfant vivant, quels que soient les risques pour elle. Qui décide ? »409

Ou bien : « Cécile a 20 ans. Une leucémie vient d’être diagnostiquée. La chimiothérapie proposée la rendra probablement stérile. Comment lui laisser une chance d’être mère ? »410

Ou encore : « C’est un couple de 36 ans. Voilà huit fois déjà qu’ils recourent à une procréation médicalement assistée. Huit fois que la femme est hospitalisée pour prélèvement d’ovocytes. Huit fois que la tentative échoue. La neuvième fois, quatre embryons sont implantés. Une quadruple grossesse débute, mais se passe mal. On décide de retirer deux des embryons. L’un des deux fœtus restant meurt peu de temps après. Le deuxième fœtus, né très prématuré, meurt au bout d’un mois. L’homme et la femme veulent entreprendre une nouvelle fécondation in vitro. Faut-il leur dire "C’est assez !" ? »411

Ces exemples nous indiquent que le choix maîtrisé et délibéré d’avoir un enfant ne se limite plus au cadre du couple désireux de concevoir, mais s’étend au-delà de ceux à qui l’aide médicale à la procréation était initialement destinée. Ce qui est interdit ici est permis ailleurs. Cela ressort-il de la liberté individuelle des couples, ou des médecins ? Qui décide

                                                                                                               

409 Monique Canto-Sperber et René Frydman, Naissance et liberté. La procréation. Quelles limites ?, Paris, Plon, 2008, p. 11.

410 Id., p. 12.

411 Ibid.

initialement d’avoir un enfant ? Qui peut dissuader ou encourager un couple à procréer malgré certains obstacles (médicaux, moraux, économiques…) ?

4.1.2.2. Du côté des couples

Les réactions face à ces exemples sont en général très vives lorsqu’on les aborde en société. Mais pour des couples confrontés à ces situations douloureuses, désirant plus que tout bâtir une famille, les principes moraux et les attentes spirituelles deviennent vite assez flous tant se profile la possibilité de tout essayer pour arriver à ses fins.

Un parcours difficile d’infertilité, avec ou sans PMA, peut toutefois toucher en profondeur et ouvrir sur un cheminement existentiel, voire spirituel, qui interroge. Une intention de prière déposée par une femme sur le site internet www.chretiensinfertiles.fr l’exprime bien. Elle demande à Dieu de les garder, elle et son mari, dans la foi :

« Seigneur, je te confie notre couple: mariés depuis 4 ans, nous avons attendu puis perdu 6 enfants. Soutiens mon mari, soutiens-moi. Garde nous dans la foi, l'espérance et la joie!

Merci. »412 Plus loin sur le site, on lit encore cette intention : « Seigneur que ta volonté soit faite, et non la nôtre, et que ce chemin de difficultés soit pour nous un chemin d'abandon à ta volonté et à ton amour. »

« La science est nécessaire pour que la société évolue, écrit Susan Bermingham, elle porte en elle de merveilleuses promesses mais ouvre la voie à des controverses inimaginables. Il faut juste prendre le temps de réfléchir à ses limites. Et si ça vous arrivait ? »413, nous demande cette psychologue clinicienne québécoise, consultante auprès de couples souffrant notamment de problèmes d'infertilité.

Ma recherche ne traite pas directement des cas relativement rares que j’ai mentionnés plus haut mais qu’on ne peut pas totalement exclure d’une réflexion sur l’accompagnement spirituel de couples traversant des difficultés face à leurs capacités (physiques, psychologiques, spirituelles, économiques…) à devenir parents. Le cheminement douloureux vers l’accomplissement de la parentalité est unique pour chacun des couples concernés. Les personnes que j’ai rencontrées m’ont fait part de leurs réflexions et de leur questionnement existentiel et spirituel particulier, à partir desquels j’ai réfléchi à des pistes d’accompagnement spirituel en étudiant certaines histoires de la Bible évoquant la stérilité.

                                                                                                               

412 Cf. http://www.chretiensinfertiles.fr/?p=163

413 Susan Bermingham, Vivre avec l'infertilité. Lorsque l'enfant ne paraît pas, Montréal, Bayard Canada, 2001, p. 177.