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Souffrances de la naissance spirituelle

2.3. Pas de naissance sans souffrance

2.3.2. Souffrances de la naissance spirituelle

 

2.3.2.1. L’œuvre de Dieu  

  La naissance spirituelle, c’est la naissance d’en haut évoquée dans l’Evangile de Jean213 lorsque Nicodème, un Pharisien, donc un intellectuel juif, strict observateur de la Loi, décide de venir voir Jésus pour lui dire que lui et ses amis le reconnaissent comme envoyé de Dieu (v. 2). Soulignons cette venue de nuit vers Jésus, discrètement. Nicodème est intrigué par la fascination que Jésus exerce sur ses contemporains. Nicodème représente en quelque sorte l’agnostique curieux qui, voyant des proches heureux dans leur foi, aimerait bien croire aussi.

Le Pharisien est surpris par cette rencontre, comme renvoyé au doute sur lui-même.

Dans ce passage, l’accent est mis sur la condition de l’humain à la foi inaccomplie qu’il a envie d’examiner davantage. Pour cela, il doit trouver un moyen d’approcher Jésus tout en continuant à mener sa vie normale. La démarche est personnelle, volontaire et débouche sur un échange surprenant. « Comment cela peut-il se faire ? »214, demande Nicodème.

Jésus lui-même rit un peu de Nicodème qui demeure cramponné au premier degré et lui répond : « Tu es maître en Israël [sous entendu tu es connaisseur de la religion] et tu n’as pas la connaissance de ces choses ! »215

La complexité de la conversion n’est pas à notre portée. Dieu exclusivement convertit par sa seule grâce. L’être humain reçoit une proposition (en écoutant ou en lisant la Bible, en rencontrant d’autres personnes au détour d’un chemin ou d’un voyage qui devient alors pèlerinage, après un coup dur ou à la lecture d’un livre…) et choisit de l’accepter ou non. Soit en l’entendant et en y répondant par sa foi et en se mettant en route à la suite de Jésus, soit en l’ignorant et en continuant sa vie d’alors sans recevoir le témoignage émis216.

« Naître d’en haut » ou « naître de nouveau » (l’adverbe ἄνωθεν a les deux acceptions), puisque tel est le « programme » que lui propose puis lui explique Jésus, signifie pouvoir lâcher prise et dépasser ses a priori, sa logique, ses concepts pour le suivre. L’Evangile de Jean ne nous raconte pas comment Nicodème a vécu cette conversion, se bornant juste à évoquer son nom encore à deux reprises. D’une part                                                                                                                

213 Cf. Jn 3, 1-21.

214 Jn 3, 9.

215 Jn 3, 10.

216 Cf. Jn 3, 11.

lorsqu’il prend la défense de Jésus qui est malmené par les Pharisiens217 et lorsqu’il aide Joseph d’Arimathée à déposer Jésus au tombeau et à le préparer selon les rites juifs218. De l’ombre à la lumière, nous le retrouvons timoré au début et dans un rôle privilégié à la fin de l’évangile. Nous pouvons imaginer qu’entre ces deux moments, il a pu s’écouler de longues heures de doute, de renoncement et de questionnements, comme en vivront ensuite de nombreux croyants.    

   

2.3.2.2. Un « travail » à accompagner  

  Beaucoup de personnages bibliques et de grands mystiques de tous les temps sont passés par une « nuit de la foi », moment presque incontournable d’une quête spirituelle : Jacob au gué du Yabboq219, Elie220, Nicodème221, saint Benoît de Nurcie, Martin Luther, saint Ignace de Loyola, sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse de Lisieux, Mère Teresa... Tous ont tenu ferme dans des moments de lutte contre eux-mêmes et contre Dieu. Tous en sont ressortis grandis et raffermis dans leur foi. Cela ne signifie pas qu’il faille absolument passer par des malheurs et des souffrances pour se rapprocher de Dieu, mais cela montre que même au cœur d’une existence troublée peut naître quelque chose de plus grand et de plus beau, d’inattendu et même d’inespéré.

La naissance biologique est souvent accompagnée par une sage-femme qui aide la mère à mettre son enfant au monde en la rassurant, en lui faisant trouver une position moins douloureuse et au besoin en appelant un médecin. Qu’en est-il de la naissance spirituelle ? « Nouveauté, surgissement, ouverture à la vie, mise au monde, à travers douleurs et joie : ces notes de toute naissance humaine ne sont pas étrangères à l’expérience spirituelle. »222 Comment est-elle accompagnée ? Qui peut soulager une souffrance liée à la foi et aider à trouver le chemin de la lumière ? J’évoquerai la question de la paternité et de la maternité spirituelles dans mon prochain chapitre et préfère m’arrêter ici sur la question de cette naissance particulière.

Lorsqu’une personne sent s’ouvrir en elle un espace jusqu’alors clos, a l’impression d’être au seuil d’une nouvelle étape et s’en trouve régénérée, constate que l’horizon se lève sur de nouveaux possibles et que même les cicatrices, toujours et à jamais visibles, ne font                                                                                                                

217 Cf. Jn 7, 45-51.

218 Cf. Jn 19, 39-42.

219 Cf. Gn 32, 23s.

220 Cf. 1 Rois 19, 9s.

221 Cf. Jn 3, 1s.

222 Sylvie Robert, « Lorsque la naissance est spirituelle », dans Christus n° 229, janvier 2011, p. 38.

plus si mal, c’est signe d’une mise au monde nouvelle et transformante. « La naissance spirituelle est, en christianisme, toujours conjointe ; il s’agit de naître à Dieu et à soi-même, inséparablement. L’intériorité chrétienne est dialogale, non solitaire ; elle se révèle par la rencontre de Dieu et à son initiative. Nous ne nous libérons du poids du passé, de la souffrance qui nous a meurtris comme du péché qui nous enferme, que par la fidélité de Dieu, le regard porté sur nos vies sous sa lumière, le pardon que lui seul peut donner. (…) C’est dans la rencontre de Dieu qu’éclôt la naissance. (…) L’expérience spirituelle est naissance de Dieu en nous. »223

Qu’est-ce à dire ? Tous les jours le chrétien doit laisser Dieu naître en lui puis grandir en lui. Plusieurs théologiens et auteurs spirituels ont insisté sur ce point. « Le Christ peut mille fois naître à Bethléem, s'il ne naît pas en toi tu demeures perdu pour l’éternité »224, met en garde Angelus Silesius, un mystique allemand du XVIIe siècle. En effet, « contempler la nativité du Christ peut conduire jusque-là et faire dire : "C’est comme si le Christ naissait ou me demandait de naître en moi" »225, souligne Sylvie Robert, religieuse auxiliatrice.

Le rôle d’une « sage-femme de l’âme » peut être utile à plusieurs égards.

Premièrement, elle est témoin privilégié d’une double naissance, à soi-même et à Dieu, à Dieu en la personne accompagnée. Un événement qui deviendra plus tard un souvenir positif pour la suite du parcours, doux à se rappeler, ensemble. Deuxièmement, elle veille à ce que la personne concernée consente à cette naissance et y collabore, elle repérera les éventuelles difficultés, les barrages potentiels et l’aidera à s’en libérer. Troisièmement, elle aura peut-être à écouter et à soulager l’autre en cas de souffrance à un moment donné. Il convient de souligner que le soulagement n’est pas un but recherché. L’accompagnant doit rester à sa place d’être humain à côté d’un autre sans vouloir à tout prix le « sauver », mais si un soulagement ou un mieux-être survient, il est « en plus », « de surcoît », ne dépendant pas forcément seulement de l’accompagnant. Le temps de l’épreuve se relira avec patience, le regard et le cœur tournés vers Dieu, dans la vérité. Ces trois tâches de l’accompagnant spirituel sont primordiales. En effet, « il n’est pas de naissance sans vis-à-vis, sans parole, sans accueil. Dire sa naissance fait partie de cette naissance. »226

Ainsi, de la même façon que lors d’un accouchement biologique, l’accompagnant – sage-femme aide la personne à naître à elle-même et à faire naître Dieu en elle, mais                                                                                                                

223 Id., p. 40.

224 Angelus Silesius, Le voyageur chérubinique, Paris, Editions Payot & Rivages, 2004, p. 69.

225 Sylvie Robert, « Lorsque la naissance est spirituelle », dans Christus n° 229, p. 40.

226 Id., p. 46.

n’accouche pas à sa place ! Un effort est donc toujours à fournir, une douleur traversante peut donner un sursaut de vie et mener à bien la naissance qui est un nouveau commencement dans une vie plus pleine. La suite du parcours se déroulera comme une période de discernement pour voir si le Christ grandit et si le nouveau converti diminue227

 

2.4. Engendrement biologique, engendrement spirituel  

2.4.1. La vie dans la Vie  

  Prendre le temps de méditer sur la naissance, c’est méditer sur le cycle de la vie.

Toutes les religions considèrent la naissance comme un événement humain intense comportant une dimension spirituelle. D’un point de vue croyant, on peut placer son espérance dans la venue d’un enfant, envers et contre toutes les misères terrestres, les guerres, le terrorisme, les catastrophes climatiques, etc. « Chaque nouveau-né apporte le message que Dieu n’est pas encore découragé de l’homme », dit le proverbe attribué au poète et philosophe indien Rabindranath Tagore. C’est l’amour de la vie (et non pas la peur de la mort !) qui conduit le croyant à relier son existence à Dieu ou à une force supérieure.

Pour les chrétiens, Dieu est quelqu’un avec qui ils ont une relation personnelle et qui ne se décourage jamais d’eux.

 

2.4.1.1. Le chemin méditatif de la grossesse  

  Eline Landon228 a été surprise par le panel très large de toutes les préparations à la naissance qui existaient. En complément des classiques informations concernant l’accouchement, dispensées par des sages-femmes, les futurs parents ont le choix entre l’haptonomie (pratique récente consistant à entrer en contact avec l’enfant in utero par le toucher qui favorise le développement des liens psycho-affectifs entre l’enfant, la mère et le père), la sophrologie, le yoga, la gym douce en piscine, etc. Mais elle ne trouvait pas que toutes ces propositions prenaient vraiment en compte l’arrivée «sacrée » d’un nouvel être.

En d’autres termes, elle aurait souhaité une préparation spirituelle à la naissance. Alors qu’elle attendait son troisième enfant, l’idée d’un parcours méditatif suivant les neuf mois                                                                                                                

227 Cf. Jn 3, 30 : « Il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue », dit Jean-Baptiste à propos de Jésus.

228 Educatrice et mère de trois enfants.