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Dans le Nouveau Testament

1.6. Retrouver le don sacré de la vie

2.1.4. Le côté maternel de Dieu

2.1.4.3. Dans le Nouveau Testament

Dieu précède et dépasse toute maternité biologique humaine : « La femme oublie-t-elle son nourrisson, oublie-t-elle de montrer sa tendresse à l’enfant de sa chair ? Même si celles-là oubliaient, moi, je ne t’oublierais pas ! »168 Une parole pleine de confiance qui aide, particulièrement dans des situations où sa propre mère aura pu être défaillante à certains égards.

L’amour inconditionnel de Dieu fonde tout amour parental. Le mot םיִמֲח ַר169, en hébreu, signifie à la fois « entrailles » et « miséricorde », « compassion » ou « tendresse », selon la traduction de la TOB en Es 49, 15, où Dieu assure à l’être humain son amour indéfectible, plein de sollicitude, surpassant les limites de l’amour maternel. De même, le verbe grec σπλαγχνίζοµαι (être ému, pris aux entrailles) provient du mot σπλαγχνα qui signifie à la fois les entrailles, l’utérus et la miséricorde. La façon dont Dieu aime l’humain, créé à son image « mâle et femelle »170, est maternelle, charnelle, viscérale, comme celle d’une mère bouleversée, « prise aux entrailles », devant son enfant chéri qu’elle ne peut supporter de voir souffrir et errer.

L’amour inconditionnel de Dieu est premier, fondateur, créateur. Dieu a voulu que l’humanité Lui ressemble et qu’elle exprime quelque chose de Lui en retour. Ce quelque chose, c’est l’amour maternel miséricordieux qui aime inconditionnellement, qui tempère et qui pardonne. Chaque mère peut expérimenter un peu, si elle est disposée à le considérer comme tel, l’amour que Dieu porte à sa créature à travers l’amour qu’elle manifeste à son enfant, qui est un amour spécial qu’elle n’aura jamais connu auparavant, se distinguant de l’amour qu’elle porte à son mari, à ses propres parents et à ses autres proches…

 

2.1.4.3. Dans le Nouveau Testament  

2.1.4.3.1. Double naissance

Dieu créateur, Dieu qui engendre, Dieu qui prend soin, Dieu qui aime… Autant de facettes qui rappellent la maternité du Père, si proche de la condition humaine qu’il en dépasse même les limites de souffrance et de désordre intérieur en promettant son amour inconditionnel. Chacun a à la fois à naître de la chair et de l’esprit. « Il n’y a pas de                                                                                                                

168 Es 49, 14-15.

169 םֶח ֶר , au singulier, signifie le « sein maternel ».

170 Cf. Gn 1, 27.

confession biblique du Dieu créateur sans confession rendue au Dieu recréateur de toutes choses.»171 « (…) il devient alors évident que, en langage chrétien, il ne saurait y avoir de doctrine de la création qui ne passe par une interrogation centrée sur la croix et la résurrection. »172

C’est ce qu’a voulu rappeler Jésus à Nicodème : « "En vérité, en vérité, je te le dis : à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu." Nicodème lui dit :

"Comment un homme pourrait-il naître s’il est vieux ? Pourrait-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère et naître ?" Jésus lui répondit : "En vérité, en vérité, je te le dis : nul, s’il ne naît d’eau et d’Esprit, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit." »173 Jésus incite les humains à passer par les entrailles de Dieu après être passés par celles de leur mère, c’est-à-dire à se détourner de la croyance erronée en leur totale et unique puissance personnelle sur les événements de leur vie et à accepter leur état de créatures ayant besoin de Dieu comme le fœtus puis l’enfant a besoin de sa mère pour se développer et accéder à la plénitude de son existence.

Le jésuite Yves Simoens souligne néanmoins que les humains ont besoin de leur monde, du monde qui atteste de l’amour de Dieu pour les siens. « Si Dieu crée et sauve par engendrements, écrit-il, c’est qu’il est Père, le Père par excellence. S’il est Père, toutes ses créatures humaines sont ses enfants (…). Des menaces d’extinction risquent sans cesse de tout compromettre si Dieu n’était pas là pour veiller et redonner vie. La logique pascale traverse la Bible de part en part. »174 J’ai abordé dans le premier chapitre la question de la naissance comme passage175, où le parallèle avec Pâques et l’expérience de la résurrection du Christ dans la vie humaine a été fait.

Saint Augustin a vécu la très forte expérience d’avoir été mis au monde biologiquement et spirituellement par la même personne, sa mère. Il relate magnifiquement bien ce ressenti dans ses Confessions, soulignant l’importance de la faire connaître : « Mais je ne tairai pas tout ce qui naît de pensées dans mon âme au sujet de votre servante dont la chair m’a enfanté à la lumière temporelle et le cœur à la lumière éternelle. »176 Beaucoup

                                                                                                               

171 Pierre Gisel, La création, Genève, Labor et Fides, 19872, p. 20.

172 Id., p. 21.

173 Jn 3, 3s.

174 Yves Simoens, « Devenir enfant de Dieu. Quelques traits sapientiels », dans Christus n°217, janvier 2008, p. 16.

175 Cf. à partir du point 1.3.3.

176 Saint Augustin, Les Confessions, Paris, GF-Flammarion, 1964, IX, VIII, p. 188s.

de grands spirituels177, hommes et femmes, de toutes les époques, disent que leur mère fut leur première « Eglise » qui leur a appris leurs premières prières et à avoir confiance en ce Dieu-Père. Le rôle de la mère s’étend donc souvent bien plus loin que la mise au monde biologique. De ses entrailles nous passons souvent également au cœur « éternel » de Dieu, comme nous passons de la vie terrestre à la vie éternelle en Lui, dans un nouvel espace après la mort du Christ.

Pierre Gisel l’explicite ainsi : « La figure du Christ ne se donne pas au monde comme Seigneur tout puissant, mais comme humilié et crucifié. Or, il nous faut découvrir que c’est là, justement, que réside le secret de la seule vraie puissance. La mort du Christ va en effet instaurer un nouvel espace. »178 Et ce nouvel espace, c’est celui de l’Esprit, du Souffle, qui s’immisce partout et qui ne cesse de venir au monde dans un processus continu, de permettre que l’espérance ne s’éteigne jamais et que tout le monde puisse

« sentir au fond de soi, jusqu’à la fin, que la vie a un sens, qu’elle est belle. »179

En entreprenant une thérapie avec Julius Spier, un psychologue juif allemand, Etty Hillesum, cette jeune Hollandaise juive qui a tenu un journal intime entre 1941 et 1943, année de sa mort à Auschwitz, met au jour son évolution spirituelle, son don de soi et l’amour des autres et de Dieu. Julius Spier, celui qui « guérit les gens en leur apprenant à accepter la souffrance »180 aura une forte influence sur elle. Etty dira, à propos de son évolution spirituelle : « Processus lent et douloureux que cette naissance à une véritable indépendance intérieure. »181 « Ce qui est ici (et il montrait sa tête) doit venir là (et il montrait son cœur ) »182, lui avait-il dit lors de leur première rencontre en 1941.

La foi d’Etty en la vie et en Dieu a mûri au plus intime d’elle-même, non seulement grâce aux échanges avec Julius Spier, mais aussi lors de ses moments solitaires de méditation et de prière, de dialogue avec Dieu à qui elle promit de l’aider à ne pas

                                                                                                               

177 Comme par exemple le moine Christian de Chergé, prieur du monastère de Tibhirine, en Algérie, assassiné avec six de ses frères en 1996, qui écrit ceci dans Quand un A-Dieu s’envisage… : « Je l'ai assez proclamé [le fait que l’islam est autre chose que de l’intégrisme], je crois, au vu et au su de ce que j'en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l'Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église (…) ». On retrouve le texte intégral de ce testament spirituel en suivant ce lien :

http://www.moinestibhirine.org/index.php?option=com_content&view=category&layout=blog&id=79&Item id=110

178 Pierre Gisel, La création, p. 96.

179 Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Paris, Seuil, 2001, p. 156.

180 Id., p. 93.

181 Id., p. 69.

182 Id., p. 24.

s’éteindre en elle183. En liant son intelligence et son affectivité, Etty, au contact de Julius Spier, son père spirituel, prit conscience de la variété des états d’âme qui se trouvent chez chacun et premièrement chez elle, et de la manière de les accueillir.

Son évocation de la souffrance résume à elle seule l’importance de l’accompagnement spirituel : « La souffrance a toujours revendiqué sa place et ses droits, peu importe sous quelle forme elle se présente. Ce qui compte, c’est la façon de la supporter, savoir lui assigner sa place dans la vie tout en continuant à accepter cette vie. »184 Tout accompagnement tend à ce que la personne puisse supporter ce qui l’accable.

Pas de recette toute prête, mais une attention à l’autre et à Dieu dans un cheminement qui conduit la personne accompagnée à une deuxième naissance, à une naissance spirituelle.

Etty elle-même dira qu’elle est née le jour où elle a rencontré celui qui deviendra son thérapeute et « l’accoucheur de son âme ».

En plein cœur de son processus, Etty écrira ceci : « Je trouve la vie belle, digne d’être vécue et riche de sens. En dépit de tout. Cela ne veut pas dire qu’on se maintienne toujours sur les sommets et dans de pieuses pensées. On peut être brisée de fatigue, d’avoir longtemps marché, d’avoir passé des heures à faire la queue, mais cela aussi c’est la vie – et quelque part en vous, il y a quelque chose qui ne vous quittera plus jamais. »185 Des mots qui peuvent ne pas être audibles lorsqu’on se trouve soi-même en proie au chaos, mais qui peuvent aussi, d’une certaine manière, consoler et montrer qu’il vaut au moins toujours la peine d’essayer de se battre. Ce « quelque chose quelque part en nous qui ne nous quittera plus jamais », n’est-ce pas la force du Souffle de vie et d’amour qui, malgré tout, en dépit de tout, guide même les pas les moins assurés ?

2.1.4.3.2. Allaitement

La prise en charge du nouveau-né par sa mère comprend évidemment l’allaitement (maternel ou artificiel). La Bible propose également des images de Dieu-nourricier qui ont inspiré nombre d’auteurs chrétiens des premiers siècles, comme s. Clément d’Alexandrie, s. Augustin ou encore s. Jean Chrysostome qui a fait le rapprochement, dans plusieurs de ses sermons, entre le lait maternel et le sang du Christ à partir du passage de Jn 6,                                                                                                                

183 « Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus claire: ce n’est pas toi qui peut nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant nous nous aidons nous-mêmes. » (Une vie bouleversée, p. 175)

184 Etty Hillesum, Une vie bouleversée, p. 142.

185 Etty Hillesum, Une vie bouleversée, p. 143. Souligné par l’auteure.

58186 : « Vous avez vu de quel aliment [le Christ] nous nourrit tous ? C’est de ce même aliment que nous avons été formés et que nous sommes nourris. Comme la femme nourrit de son propre sang et de son lait celui qu’elle a enfanté, ainsi aussi le Christ nourrit constamment de son propre sang ceux qu’il a engendrés. »187

Comme le souligne Jean-Marie Delassus, médecin et philosophe, initiateur de la

« maternologie », la discipline médicale qui étudie les difficultés de la relation mère-enfant : « Si on prend en compte son sens profond [à l’allaitement], qui est le cycle du don, tout change (…). La rencontre à ce niveau entre la mère et le bébé est indispensable, même si elle est difficile et source de souffrances pour l’un et l’autre. »188 La rencontre…

Mettre en relation deux personnes, la mère et l’enfant, la mère qui nourrit son enfant (au sein ou au biberon, selon son choix ou ses possibilités), l’enfant qui reçoit ce lait dans un moment qui n’est pas dévolu qu’au nourrissage, mais qui est un don gratuit qui n’attend rien en retour. Et c’est ce qui surprend souvent la mère. En effet, « elle s’attendait à un bel et bon enfant qui la comblerait. Ce n’est pas le cas : le nouveau-né la met à l’épreuve de devoir tout donner sans savoir comment faire et répondre à l’appel d’une vie qui la requiert. »189 A travers l’allaitement, la mère fait l’expérience du vrai don, libre de tout contre-don. Exactement comme Dieu qui se donne sur une croix, gratuitement, sans rien demander en retour. La croix est un lieu de rencontre entre Dieu et l’humain, le moment de la mise en relation. L’une laisse couler son lait, l’Autre son sang. « Le don ne s’adresse pas à une personne qui peut recevoir et rendre : il s’adresse à un être en tant que l’on est sensible à son être. (…) Cela s’appelle la relation maternelle, d’autant qu’elle donne la vie. »190 Et la Vie, dans le cas de Dieu, « Père maternel »…

                                                                                                               

186 « "Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour.

Car ma chair est vraie nourriture, et mon sang vraie boisson. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Et comme le Père qui est vivant m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mangera vivra par moi. Tel est le pain qui est descendu du ciel : il est bien différent de celui que vos pères ont mangé ; ils sont morts, eux, mais celui qui mangera du pain que voici vivra pour l’éternité." »

187 S. Jean Chrysostome, « Troisième catéchèse baptismale. Homélie adressée aux néophytes », §19, dans Huit catéchèses baptismales inédites, Introduction, texte critique, traduction et notes par Antoine Wenger, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes » 50 bis, 1970, p. 162. La note n° 2 nous indique que Chrysostome utilise la même comparaison que dans son Homélie 82 sur Matthieu, PG 58, 744 AB.

188 Jean-Marie Delassus, Laurence Carlier et Véronique Boureau-Louvet, L’aide-mémoire de maternologie, Paris, Dunod, 2010, p. 204.

189 Id., p. 104.

190 Id., p. 230.