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Deux témoignages éloquents

4.1. Accompagner l’infertilité

4.1.4. Pourquoi un accompagnement spirituel des couples infertiles ?

4.1.4.2. Deux témoignages éloquents

« J’ai fait une fausse couche et c’était au moment de ma préparation au baptême.

J’en ai parlé au pasteur. Il m’a écoutée, mais il ne m’a pratiquement rien dit à part que j’étais encore jeune et que j’aurai d’autres enfants… Alors que j’attendais des paroles consolatrices, du réconfort, voire une explication... ça m’a manqué… » On a diagnostiqué plus tard une ménopause précoce chez Nina. Jeune ou pas, ses ovaires fonctionnaient très mal. Elle n’aura pas d’autre enfant, ce qu’évidemment le pasteur ne pouvait pas savoir…

Sa phrase fut néanmoins totalement déplacée et blessante à l’égard de cette jeune femme qui venait de perdre un enfant in utero. On ne sait en effet jamais ce que vit réellement la personne qu’on a en face de soi. C’est d’ailleurs valable pour toute relation… Cela nous dit en tout cas quelque chose de la « non-perception de la mort périnatale comme perte d’un enfant, le non-événement que cette perte représente souvent pour l’entourage, qu’il soit médical ou familial. »462

En premier lieu, on peut attendre de l’accompagnant spirituel qu’il écoute activement, c’est-à-dire qu’il reformule ce qui lui est dit selon la théorisation rogérienne.

« L’accompagnant est appelé à se reconnaître serviteur des mots et non pas maître du sens.

En se faisant sujet de l’écoute et de la parole, il consent à perdre la maîtrise des mots énoncés dans la mesure où leur destin demeure inconnu. Nul ne sait par avance où viennent se nouer les mots et les gestes dans l’existence d’un sujet. Et lorsqu’après coup il est possible d’en percevoir une trace, on reste souvent étonné de ce qui fut décisif pour un

                                                                                                               

462 Geneviève Delaisi, « Deuils périnatals : ce qu’en disent les parents », dans René Frydman et Muriel Flys-Trèves, Mourir avant de n’être ?, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 159.

autre. »463 Hélas la perte de maîtrise des mots énoncés peut être positive mais aussi négative, à l’instar de l’histoire de Nina… Et nombre de ces blessures d’Eglise sont ensuite difficilement rattrapables, sans compter le déséquilibre affectif et spirituel qu’elles causent chez les personnes concernées dont la confiance en elles se trouve ensuite particulièrement fragilisée.

Le deuxième témoignage relatant un épisode sans doute inconscient mais maladroit vis-à-vis d’un couple infertile provient du site Internet suivant : http://www.chretiensinfertiles.fr/464, sur lequel on peut lire plusieurs témoignages disant une souffrance encore trop souvent tue. Voici un extrait de l’histoire d’Anne (prénom noté sur le site), que l’on peut lire en intégralité sur la page intitulée « Ils témoignent » : « Du côté de notre foi, il y a des hauts et des bas. Nous essayons d’avoir une vie de foi forte dans notre paroisse. Nous avons de la chance, cette dernière est plus jeune que la moyenne, dynamique, chaleureuse, et le prêtre est vraiment formidable. Néanmoins, malgré toutes les qualités humaines de ce dernier, elle souffre d’un défaut assez répandu dans l’Église catholique: il y a peu de place pour les couples en attente d’enfants. Les familles sont très bien intégrées dans la paroisse, mais, même avec un prêtre qui écoute les confidences des fidèles sur le sujet (et le nôtre y est attentif), ça reste parfois difficile.

Ainsi, plusieurs fois par an, la messe des familles est l’occasion de prier particulièrement pour les familles qui demandent le baptême de leur enfant. Au début, cela m’émouvait et je nous imaginais, un an plus tard, tenant notre petit dans les bras en train de le présenter à la paroisse. Maintenant, il arrive que les larmes coulent pendant le "Je vous salue Marie" qui conclut ces messes. De même, les dimanches paroissiaux sont souvent difficiles car les couples de notre âge, qui sont souvent des amis, passent une partie du repas autour de la table des enfants, en surveillant les leurs.

                                                                                                               

463 Jean-Daniel Causse, « Quelques repères théologiques pour un ministère d’accompagnement », dans Hubert Auque et Claude Levain (dir.), Rencontres à l’hôpital. L’aumônerie en questions, Genève-Lyon, Labor et Fides-Réveil-Publications, 2001, p. 105.

464 Voici le texte de présentation de ce site dont je salue l’existence : « Ce site est né d’une souffrance, ou plus précisément de paroles et de gestes blessants que nous avons entendus et vus un soir de Noël, à la fin d’une messe de la nuit de Noël. À défaut de pouvoir dire « plus jamais ça », nous avons eu envie de dire « le moins souvent possible ». Les paroles et l’attitude qui nous ont blessés ce soir-là nous ont donné envie d’agir pour faire connaître aux différentes Églises chrétiennes la souffrance et la mise à l’écart que peut ressentir un couple infertile dans sa vie de foi et dans sa vie communautaire. Ce site se veut chrétien. Il a été créé à l’initiative d’un couple catholique mais il est ouvert aux témoignages, aux réflexions et aux initiatives de couples de toutes confessions chrétiennes. (…) Il s’agit donc d’un endroit pour témoigner et pour réfléchir à la place que peuvent avoir les couples infertiles dans leur vie ecclésiale, quand celle-ci valorise souvent les parents au détriment du couple. »

À tout cela il faut ajouter les pasteurs indélicats. Nous en avons eu une expérience lors d’une messe de minuit où le prêtre a procédé à une bénédiction par groupes. Il a fait se lever les enfants pour les bénir, puis les jeunes et les couples non mariés, puis les parents, les grands-parents, et les religieux, et, au lieu de demander à ceux qu’il aurait pu oublier de se lever, il a conclu par "ça y est, tout le monde est debout". Bilan de l’opération: j’ai chanté, comme j’ai pu, "Il est né le divin enfant" en larmes, dans les bras de mon mari. Ce dernier est allé voir le prêtre après la messe, sans obtenir un mot d’excuse. Et nous avons eu des échos nous laissant penser que nous ne sommes pas les seuls à avoir été ainsi touchés par ce manque de tact. »

Ce que dit Anne est terrible. La croyance est encore trop répandue qu’un an après son mariage, un couple accueille son premier enfant. Il n'en va pas toujours ainsi, que ce soit par choix ou par obligation car il y a un problème organique. L’infertilité étant mal connue et taboue, il est alors difficile de prendre en compte la souffrance souvent cachée de ces couples ou des personnes célibataires qui peuvent se sentir exclus de certaines célébrations comme les cultes ou messes des familles.

Deux histoires de femmes blessées par un manque d’attention et de méconnaissance de ces situations de la part du représentant de leurs Eglises respectives. Deux témoignages qui disent ce que la plupart taisent. C’est-à-dire l’ampleur de la souffrance intime de ces femmes et de ces hommes. Et l’incapacité des Eglises et de ses ministres à accompagner une telle souffrance. Au mieux, ils n’en parlent pas, font comme si elle n’existait pas. Au pire, ils profèrent des paroles qui enfoncent plus qu’elles ne relèvent. Voilà pourquoi une information claire, à défaut d’une formation initiale adéquate, non seulement au sujet de la difficulté d’avoir un enfant, mais aussi au sujet de toutes les problématiques abordées dans cette recherche, doit circuler dans ces milieux ! Le pape l’a bien compris en entendant les catholiques du monde entier. « Dans les réponses aux questionnaires envoyés partout dans le monde, il a été souligné qu’il manque souvent aux ministres ordonnés la formation adéquate pour traiter les problèmes complexes actuels des familles. »465 Par « problèmes actuels », on pense sans doute d’abord aux familles recomposées ou monoparentales, mais j’espère aussi à toutes les autres configurations existantes comme les couples qui peinent à avoir un enfant ou ceux qui traversent un deuil périnatal.

Il serait bon par exemple que les ministres aient une parole pour ces couples et pour les célibataires lors des célébrations de baptêmes d’enfants ou de cultes ou messes des                                                                                                                

465 Pape François, La joie de l’amour, p. 153s.

familles, par exemple dans une prière. Cela pourrait être : « Ô Dieu, Père de toute création, nous Te prions pour les couples qui souhaitent donner naissance à un enfant. Accompagne-les dans cette longue attente, fortifie-Accompagne-les par ton Esprit et redonne-leur l’espérance de connaître un jour cette joie ! Par ton Fils Jésus Christ, notre Seigneur. Amen. »

La Fête des mères est une journée particulièrement difficile pour les femmes qui ont dû renoncer à avoir un ou des enfants, et pour toute personne ayant perdu sa mère, d’ailleurs, que l’on ait été ou non en bons termes avec elle. On s’accorde à dire que c’est une fête commerciale, à l’instar de la Saint-Valentin, tout aussi difficile à vivre par certains célibataires. Le matraquage des médias ne permet cependant pas d’y échapper totalement.

Il serait judicieux que cette souffrance puisse être entendue au moins dans les milieux ecclésiaux. Le pasteur ou le prêtre pourrait, dans sa prière d’intercession dans laquelle il évoque souvent les mamans en ce jour particulier, prier également pour celles qui n’ont pu devenir mères et celles qui ont perdu un enfant.