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Jésus à 12 ans

3.5. Marie, une mère « ordinaire »

3.5.5. Jésus à 12 ans

3.5.5.1. Chercher, se chercher

Cette disparition d’un enfant montre Jésus, Marie et Joseph aux prises avec ce que vivent de nombreux parents d’adolescents et de préadolescents ! Age fragile par excellence où l’enfant se cherche, cherche ses limites et se confronte à celles de ses parents, l’adolescence n’a pas épargné Jésus ! D’une manière certes différente que ce à quoi nos contemporains sont habitués… Il est en effet rare, de nos jours, d’avoir un enfant qui s’attarde dans une église ou une salle de cours de théologie pour discuter avec un représentant religieux ou un professeur !

« C’est au bout de trois jours qu’ils le retrouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger. Tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur l’intelligence de ses réponses. En le voyant, ils furent frappés d’étonnement et sa mère lui dit : "Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous ? Vois, ton père et moi, nous te cherchons tout angoissés." Il leur dit : "Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ?" Mais eux ne comprirent pas ce qu’il leur disait.

Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth ; il leur était soumis ; et sa mère retenait tous ces événements dans son cœur. Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes. »349

Toute cette histoire reste incompréhensible pour les parents de Jésus. Nous non plus ne comprenons pas tout de suite le sens de nos échecs, de nos dépouillements, de nos manques. Ce n’est qu’un temps après, parfois même après plusieurs décennies, que l’on peut parvenir à se rendre compte que telle période difficile fut en réalité un terreau fertile pour un enrichissement spirituel, psychologique, affectif et émotionnel. « Le vide nous est                                                                                                                

348 Lc 2, 41-52.

349 Lc 2, 46-52.

essentiel », souligne Lytta Basset dans Ce lien qui ne meurt jamais, il « est là pour appeler le Plein… dans la mesure où nous le laissons venir d’Ailleurs. »350 Le manque, le dénuement, le creux de nos existences peuvent devenir les fondations d’une suite de vie construite selon les plans que seul le Tout Autre connaît pour chacune et chacun.

A Jérusalem, « (…) sa mère retenait tous ces événements dans son cœur »351, comme après la visite des bergers à la crèche. Marie, « toujours tiraillée entre la maternité qui possède et l’obéissance à la volonté de Dieu qui dépossède »352, comprendra à Cana que le destin de son fils était celui d’un fils de Dieu…

3.5.5.2. Différenciation

A Jérusalem, Jésus a pris ses distances avec ses parents et en particulier avec sa mère. France Quéré souligne que « la vocation du Christ a pour premier trait de l’éloigner de sa mère, presque rudement, et par la suite, après Cana, Marie ne sera ni le témoin ni à plus forte raison l’objet d’aucun miracle. »353 Nous nous ouvrons ici à la thématique de la séparation sur laquelle je reviendrai. Plus tard, sur la croix, Jésus établira une nouvelle fraternité, creusant davantage la distance avec les siens, montrant que la famille biologique ne remplit pas forcément tous les rôles ni ne comble toutes les attentes spirituelles. Les évangiles synoptiques brisent clairement la préséance des liens du sang lorsqu’ils rapportent que Jésus dit que sa mère et ses frères sont ceux qui font la volonté de son Dieu354.

Pour lui, le fondement de la vie est en Dieu seul : ni les parents ni les enfants ni quiconque ne peut prendre cette place de Dieu et tout représenter pour une personne. Se mettre à la recherche du Christ implique parfois de s’éloigner un temps de sa famille et de traverser des vallées obscures qui, éclairées par la foi, font croître. Mais s’éloigner définitivement reviendrait à perdre ses proches, comme s’effacer totalement devant eux conduit à la perte de soi-même… Un équilibre est à trouver.

Les parents gagneraient à ce qu’on leur dise qu’une éducation « suffisamment bonne » est celle où ils apprendraient à se séparer de leur enfant pour que ce dernier puisse vivre sans avoir nécessairement besoin d’eux. Ce qui, bien sûr, s’étend sur plusieurs années, jusqu’à ce que le jeune ait assez gagné en maturité pour quitter le nid et se lancer                                                                                                                

350 Lytta Basset, Ce lien qui ne meurt jamais, Paris, Le Livre de Poche, 2010, p. 216.

351 Lc 2, 51c.

352 Elian Cuvillier, Qui donc es-tu, Marie ?, p. 53.

353 France Quéré, Marie, p. 103.

354 Cf. Mc 3, 31s. // Lc 8, 19s. // Mt 12, 46s.

seul sur son propre chemin de vie. Cette perspective serait à garder en ligne de mire tout au long de l’enfance et de l’adolescence. Un enfant avec de solides attaches affectives saura se détacher de ses parents le moment venu, au gré des nombreuses séparations qui jalonneront son existence, à commencer par les premiers jours en crèche ou avec une nourrice à l’âge de quelques mois, l’entrée à l’école primaire, les activités extrascolaires, les camps, etc.

De nos jours règne une grande indépendance dans les nouvelles familles, chacun a ses activités professionnelles, bénévoles, divertissantes et rechigne à abandonner telle ou telle activité gratifiante ou bienfaisante. Les enfants sont davantage confiés à des personnes hors de la cellule familiale, qu’elles soient du monde parascolaire ou de l’entourage proche, et sont donc plus vite et plus souvent confrontés à la séparation d’avec leurs parents, obligés parfois même de s’habituer à toute une cohorte d’adultes différents. Il me semble alors que cet apprentissage de séparation devrait se soigner encore mieux, quel que soit l’âge de l’enfant, afin qu’il ne se solde pas en drame à chaque occasion.

Parfois des séparations sont nécessaires, lorsque l’un des parents est dysfonctionnant, afin de ne plus subir ses actes ou ses paroles, mais d’apprendre à le connaître dans l’idée d’amorcer une nouvelle relation, plus saine, plus joyeuse, plus féconde, pour le parent comme pour l’enfant, là encore quel que soit son âge.

L’accompagnement spirituel de ces parents, de ces familles, peut s’appuyer sur la parole de Jésus qui dit qu’il est venu non pour apporter la paix sur la terre mais le glaive355. J’y reviendrai à la fin.

Cet épisode clôt en quelque sorte l’enfance de Jésus dans laquelle Marie et Joseph ont créé autour de lui la première communauté. La famille, en effet, est la première cellule sociale, communautaire, où devraient s’apprendre le respect mutuel, la patience, la confiance en soi et en les autres et où devrait s’expérimenter le premier lien avec Dieu lorsque les parents éveillent leur enfant à la foi par des chansons, des histoires ou la prière du soir. Marie et Joseph n’y ont pas dérogé, puisque c’est bien lors du pèlerinage de la Pâque, l’une des principales fêtes juives, que Jésus s’est attardé au Temple. En ce sens, la famille biologique de Jésus n’exclut pas et préfigure la communauté qui se construira autour de lui lors de son ministère public.

                                                                                                               

355 Cf. Mt 10, 34s.

3.5.6. Cana356  

3.5.6.1. Marie la discrète

Plutôt discrète dans les évangiles, Marie se trouve néanmoins au banquet de noces à Cana, et au pied de la croix, selon l’évangile de Jean. Deux occasions que tout paraît opposer, la joie de jeunes mariés et l’agonie d’un homme, la tristesse de ses proches ; la fête de l’amour et la mort, défaite de la vie. « Non seulement elle n’est pas le témoin des grandes choses que fait son fils, mais où les autres applaudissent, la mère reçoit blessure.

La gloire du Christ déverse en son cœur les eaux de la souffrance. »357

Comme lors de sa naissance où exultaient les bergers et les mages tandis que Marie méditait en silence, l’acclamation des foules face à Jésus contraste avec ce qu’elle vit elle, intérieurement et toujours en silence. « La vie publique de son fils, contesté ou écouté, rejeté ou suivi, sera pour Marie l’occasion d’un débat intérieur où s’affronteront la mère et la croyante : la mère qui s’accomplit dans sa descendance, ou la croyante qui suit son Sauveur. »358 Mais je ne crois pas qu’elle ait dû choisir. Elle a été non seulement la mère de Jésus, mais également une croyante qui suit le Christ. Chaque mère, chaque père, chaque fille, chaque fils, chaque homme, chaque femme, est pour autrui quelqu’un d’unique, dans l’intimité d’un lien familial, ce qui ne l’empêche pas de le soutenir et de l’encourager dans ses entreprises personnelles ou professionnelles. Chaque relation implique des réajustements constants et réguliers même si le mélange des rôles est inévitable selon les circonstances. Dans l’espace public, c’est la fonction qui prédomine, lors d’une fête de famille, c’est le lien affectif. Quelques clins d’œil ou paroles personnelles peuvent d’ailleurs devenir un moment de connivence particulier entre deux êtres lors d’un moment officiel.

3.5.6.2. Une seconde mise au monde

A Cana, elle met vraiment au monde son fils en provoquant le premier signe : alors qu’on manque de vin, elle le signale à Jésus. « Ils n’ont pas de vin »359 est la phrase qui, dite par Marie, montrant là son absolue confiance en son fils, inaugure son ministère public. Mais Marie montre aussi, par cette parole, qu’il faut confier à Jésus toute demande                                                                                                                

356 Jn 2, 1-12.

357 France Quéré, Marie, p. 104.

358 Elian Cuvillier, Qui donc es-tu, Marie ?, p. 52.

359 Jn 2, 3.