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Vision et raison d’être : lier le futur à un grand idéal

Encadré 4 : Les 7 types de biais cognitifs possibles d' après H Laroche (1991)

III. La seconde approche : vision et idéologie : d’une stratégie entrepreneuriale à une stratégie idéologique

III.1 Vision et raison d’être : lier le futur à un grand idéal

La motivation, le processus qui pousse les membres du personnel à partager une vision n’est pas toujours ou pas seulement un processus fondé sur une analyse froide et précise de l’objectif. Campbell & Yeung (1991b) notamment, soupçonnent l’intent ion stratégique d’être exagérément le fruit de l’hémisphère gauche du cerveau (Mintzberg, 1976) et de ne pas « laisser parler les sentiments » (Campbell & Yeung, 1991b)

« Nous pensons que les leaders trouveront plus facile de créer de l’enthousiasme et de l’engagement chez leurs employés s’ils choisissaient une raison d’être liée à un grand idéal. » (Campbell & Yeung, 1991a). Schmidt (1993) abonde et écrit que : « dénuée d’objectifs plus larges [...] une vision exclut toute tentative de fidélité. ». De même pour Nanus (1992) : « Les employés ont la volonté de s’engager volontairement et complètement dans quelque chose de vrai et qui en vaille la peine, quelque chose qui rend la vie meilleure pour les autres ou qui représente un progrès significatif pour leur communauté ou leur pays, ou encore, quelque chose qui permet la croissance et le progrès de leur organisation. »

Comme le constate Lipton (1996), une vision motive les individus si elle est liée au dessein de l’organisation. « Les gens doivent sentir qu’i ls participent utilement à un projet qui en vaut la peine. [… Une telle] vision les autorise à voir comment leurs efforts participent à un tableau de plus grande envergure » (Ibid). Par ces travaux, le concept de raison d’être est ainsi lié à celui de vision.

Si ces travaux fournissent un apport appréciable en contribuant à lier les aspects formels du management stratégique (définition d’objectifs, stratégies délibérées etc.) et ceux plus « affectifs » (raison d’être...), il nous faut toutefois préciser la définition du concept de raison d’être. Nous nous y employons dans le paragraphe suivant.

III.11 Le concept de raison d’être : une définition

D’après Campbell & Yeung (1991a) et Lipton21 (1996), la raison d’être de l’organisation est la réponse à la question « Pourquoi la compagnie existe-t-elle ? Pour les bénéfices de qui faisons nous ces efforts ? » Pour Campbell & Yeung (1991a), les réponses peuvent être classées en 3 catégories :

• les entreprises qui existent pour maximiser la valeur pour l’actionnaire ;

• les entreprises qui existent pour satisfaire toutes les parties prenantes ;

• les entreprises qui ont identifié « une raison d’être qui est plus profonde que les besoins combinés de toutes les parties prenantes. Il s’agit de quelque chose auquel tous peuvent se sentir fier de contribuer. Bref, elles poursuivent un idéal plus grand. » (Ibid.)

Ils ajoutent d’ailleurs : « Nous pensons que les leaders trouveront plus facile de créer de l’enthousiasme et de l’engagement chez leurs employés s’ils fournissent une raison d ’être liée à un grand idéal. [...] Les desseins exprimés en terme d’intérêts des différentes parties prenantes mettent l’accent sur les intérêts particuliers de chacun [alors que] les desseins animés d’un idéal plus grand tendent à nier ces intérêts partic uliers ou au moins à en diminuer la légitimité. Il est alors plus facile de rassembler l’organisation. » (Campbell & Yeung, 1991a) C’est pourquoi, cette dernière acception du terme est la plus souvent retenue dans les écrits portant sur la vision.

Collins & Porras (1996a), appellent ce dernier type de raison d’être, le « dessein central22 de l’organisation ». « [Celui-ci] capture l’âme de l’organisation23 [...] C’est la

21 Lipton assimile toutefois la raison d’être (purpose) et mission de l’entreprise alors que Campbell & Yeung

différencient les deux concepts. Pour eux, la raison d’être n’est qu’un des 4 éléments de la mission les 3 autres étant la stratégie, les standards de comportements et les valeurs fondamentales. Pour notre part, nous retenons cette dernière définition et assimilons la mission au projet d’entreprise (i.e. « mission statement » en anglais). Nous reviendrons ultérieurement dans notre exposé sur les concepts de valeurs fondamentales et de projet d’entreprise.

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Les auteurs l’appellent « core purpose ». Campbell & Yeung (1991a, 199b) la nomment simplement « purpose ». Quant à nous, nous l’appellerons soit « raison d’être » soit « dessein. » termes que nous considérons comme synonymes.

motivation idéaliste qui pousse les employés à faire ce travail. », et ajoutent « [qu’auc un] des desseins centraux n’est de maximiser la part des actionnaires. Le but principal du dessein est de guider et d’inspirer. [...] Maximiser le dividende constitue le dessein standard et prêt à l’emploi des organisations qui n’ont pas su identifier leur véritable raison d’être. Ce n’est qu’un mauvais substitut. »

Ainsi, ces auteurs définissent-ils la raison d’être comme étant « les raisons fondamentales de l’organisation pour exister au -delà du simple fait de faire de l’argent2425. » (Collins & Porras, 1996b) :

« Pour beaucoup d’entreprises visionnaires, les affaires ont toujours, historiquement représenté bien plus qu’une activité économique ou qu’un moyen de faire de l’argent. [...] La rentabilité est l’une des conditions nécessaire pour exister, et représente un moyen d’atteindre un bilan plus important, mais ce n’est pas une fin en soi pour beaucoup d’entreprises visionnaires. La rentabilité est comme l’oxygène, l’eau ou le sang pour l’organisme ; ces éléments ne sont pas l’objectif de l’existence mais sans eux aucune vie n’est possible. » (1996:82-83)

Comme le souligne Senge (1991), cette raison d’être fait donc référence à un « but ultime [...] pour lequel chacun pense être sur terre. ». C’est un but abstrait, d’ordre spirituel et métaphysique (Le Saget, 1992). La raison d’être de l’organisation ne sera ainsi jamais totalement atteinte. Elle demeure un guide permanent plus qu’un objectif à atteindre. C’est une sorte de « fil rouge » qui guide la trajectoire stratégique de l’entreprise. « Une entreprise visionnaire est en perpétuelle quête mais ne parvient jamais pleinement à son aboutissement. » (Collins & Porras, 1996b). Aspect intemporel, que Collins & Porras (1996a)

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Et les auteurs ajoutent pour préciser : « Une étoile perpétuellement à l’horizo n, à ne pas confondre avec des objectifs spécifiques ou des stratégies économiques. » (1996b:115)

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Pour déterminer la raison d’être d’une organisation, Collins & Porras proposent plusieurs méthodes. Dans la première, ils recommandent à ses dirigeants de partir d’un descriptif des activités de la société et de se demander cinq fois de suite pourquoi il font cela. La répétition de ces pourquoi permettant d’aller au delà des justifications. La réponse au dernier pourquoi rendra compte du dessein pour lequel l’organisation a été crée. Dans la seconde, appelée « Random Corporte Killer », la raison d’être sera la réponse à la question « Si vous aviez la possibilité de vendre l’entreprise pour un très bon prix mais que l’acheteur la dépèce, accepteriez -vous cela ? Sinon pourquoi, qu’est ce qui serait perdu ?

soulignent en disant qu’elle ne doit pas se confondre avec les objectifs ou les output s de l’entreprise.

Nous pouvons ainsi définir la raison d’être de l’entreprise en ces termes : une raison d’être est « ce pourquoi l’entreprise existe. » Elle est lointaine, n’a pas d’horizon temporel, ne peut pas être directement traduite en un enjeu chiffré. Enfin elle est tournée vers l’extérieur de l’entreprise. La raison d’être de l’entreprise est donc différente d’un simple objectif26 stratégique.

Ainsi, en suivant Coulson-Thomas (1992) nous en arrivons à la hiérarchie suivante en matière de pilotage de l’entreprise : « Il faut déterminer un dessein pour l’entreprise : une raison pour laquelle elle continue d’exister et l’articuler avec une vision [...] Il faut ensuite établir des objectifs [...] dérivés de cette vision et des stratégies pour leur accomplissement. » (Ibid.) Nous pouvons représenter cette articulation ainsi (Cf. Figure 2) Sur cette figure, la vision, est représentée par une étoile en haut à droite du schéma. Nous avons choisi cette représentation puisque la vision est censée être une représentation brillante (d’où le symbole de l’étoile) et attractive de l’avenir (donc un idéal plus élevé que la situation présente). Elle est en outre alignée avec la raison d’être de l’entreprise qui a guidé (flèche en pointillé) la trajectoire de l’organisation depuis la création de celle -ci. Pour atteindre cette vision l’entreprise met en œuvre des stratégies (flèches blanches) centrées sur des objectifs intermédiaires (cercles blancs). Dans la conceptualisation du pilotage par la vision qui est celle du chapitre 1, ces stratégies et ces objectifs sont élaborés par le dirigeant et mis en œuvre par les membres de l’organisation.

Mais, pour un certain nombre d’auteurs (Kotter, 1990, Collins & Porras, 1996a, 1996b, Lipton, 1996), lier la vision à un noble idéal traduit en une raison d’être n’apparaît pas toujours suffisant pour que cette vision soit partagée. La raison d’être parce qu’elle est lointaine ne serait pas en mesure de guider l’action au quotidien. C’est pourquoi, ils soulignent également que la vision, le futur envisagé pour l’entreprise, gagne à être lié aux valeurs fondamentales de l’entreprise

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Nous définissons ici le terme objectif en reprenant la définition donnée par Alain Desreumaux (1992) qui écrit : « Les objectifs correspondent à des résultats que l’entreprise se propose d’atteindre à une da te donnée. »