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Le paradigme organisationnel ou stratégique et son rôle dans le pilotage

représentation collective

II. Le paradigme organisationnel ou stratégique et son rôle dans le pilotage

La notion de paradigme organisationnel est développée par Johnson (1988) qui la nomme ainsi par analogie avec le concept de paradigme scientifique proposée par Kuhn (1972).

II.1 Définition du concept

Kuhn (1972) définit le paradigme comme « une constellation de croyances, valeurs, techniques, etc. partagées par les membres d’une communauté donnée. » (Lauriol,

1995). Pour Kuhn toujours, le paradigme est basé sur deux supports : la matrice disciplinaire et l’exemplar.

« [La] matrice est composée de 3 éléments :

• les généralisations symboliques qui sont des expressions employées sans questions ou discussions par les membres du groupe ;

• les paradigmes métaphysiques ou la partie métaphysique du paradigme qui réfère aux croyances caractérisant ce paradigme ;

• les valeurs qui contribuent à donner le sentiment d’appartenance à un groupe ;

L’exemplar est quant à lui un type de problème déjà résolu. Il joue un rôle primordial car c’est par son intermédiaire que les scientifiques ont accès aux concepts, théories et valeurs qui constituent le paradigme. » (Lauriol, 1995).

Constatons d’emblée que nous pouvons distinguer ce rôle dans les mythes et les histoires concernant les succès passés de l’organisation. La partie métaphysique quant à elle se retrouve dans la raison d’être de l’organisation ainsi que dans les valeurs morales. Enfin les généralisations symboliques elles font parties intégrantes de la culture de l’entreprise. Le paradigme organisationnel se rattache donc aux éléments cu lturels de notre conceptualisation du pilotage.

Ces attaches culturelles apparaissent clairement dans la définition donnée par Johnson (1988) et dans les travaux qui lui font suite :

Pour Johnson (1988) le paradigme stratégique est « l’ensemble des croyances et suppositions tenues pour relativement connues dans l’organisation, acceptées comme vraies par [celle-ci] et discernables dans les histoires et les explications des managers. » (Ibid.). Symons & Gladys (1988) précisent quelque peu cette définition en ajoutant que le paradigme est formé « des postulats de base, des concepts, des lois et des méthodes et d’autres types de connaissances qui sont tenus pour acquis. »

Mangin (1995) quant à lui reprend la définition de Johnson et la complète :

« Un paradigme organisationnel se compose d’une représentation de l’organisation et de son fonctionnement interne, d’une représentation de l’environnement pertinent de l’organisation, d’une représentation des rapports de l’organisation avec son environnement [...] Son c ontenu intègre un certain nombre d’éléments issus de l’environnement (normes

légales, état de l’art en gestion, organisations identiques ou concurrentes), d’autres peuvent être issues des origines de l’organisation ou de périodes brillantes de son passé [... comme] des éléments éthiques (vision du monde, valeurs, culture, etc.), des éléments opérationnels (routines, procédures, systèmes d’information, tableaux de bord) et des éléments rhétoriques (justifications des éléments éthiques et opérationnels au regard des résultats qu’ils permettent de produire) » (1995:14-15)

Toutes ces définitions montrent que le concept de paradigme organisationnel se rattache aux éléments culturels de notre conceptualisation du pilotage de l’entreprise.

La Figure 5 (p.87) illustre cet état de fait. Le schéma reprend la conceptualisation issue du chapitre 2 en y apportant deux modifications. D’une part, l’action de l’entreprise est différenciée entre stratégies émergentes et stratégies délibérées en accord avec le modèle de la décision comme action. D’autre part, notre schéma indique les éléments faisant partie du paradigme organisationnel.

Le concept défini, il nous faut maintenant nous pencher sur le rôle principal du paradigme dans l’organisation.

II.2 Le paradigme comme générateur de cohérence et de stabilité

Comme le souligne Laroche & Nioche (1998) « le paradigme ne se limite [...] pas à une description de l’environnement. Il n’est même qu’accessoirement une description de l’environnement. Plus fondamentalement, il est l’articulation stabilisée de modes de représentation et de modes d’action (comme par exemple, de la représentation d’un marché et de ce qu’il convient d’y faire pour l’atteindre) Cette articulation concerne non seulement la nature des actions mais également leurs modalités concrètes au sein de l’organisation (par exemple, à qui il appartient de définir mener et contrôler ces actions ) En d’autres termes, le paradigme [...] règle aussi les rapports de l’organisation à elle- même et à son action. »

Johnson (1988) insiste par ailleurs : « La signification d’un certain nombre d’aspects opérationnels du management est mise en lumière, légit imée par les éléments du paradigme [...] que sont les mythes, les rituels et les symboles de l’organisation. ».

« [Ainsi,] le paradigme est le fondement d’une doctrine opérationnelle. » « Il joue un rôle central dans l’interprétation des stimuli environnem entaux et la configuration des réponses stratégiques adéquates. » (Johnson, 1988).

Ainsi, le paradigme stratégique façonne les représentations et contraint l’action organisationnelle.

Dans une organisation, le paradigme, s’il est relativement stable génère des processus d’action stratégique convergents. « Les actions stratégiques s’ajoutent [ainsi] aux actions stratégiques précédentes, à l’ensemble plus ou moins bien consolidé des actions stratégiques passées. L’organisation est [alors] dotée d’une dynamiqu e relativement constante et homogène, entretenue par le paradigme qui inspire et filtre les actions stratégiques. » (Laroche & Nioche, 1994) « Cette structure cognitive centrale garantit à l’organisation une forte stabilité. » (Ibid.) Le paradigme organisationnel constitue ainsi à la fois un système cohérent et générateur de cohérence. (Mangin, 1995)

En suivant Laroche & Nioche (1994) nous pouvons donc situer le paradigme « au cœur d’un double mouvement :

• d’une part il est une rationalisation dans le sens o ù il résume ce qui a été appris de manière non systématique et imparfaitement validée sur les lois du monde. La rationalisation qu’opère le paradigme écarte le sentiment d’impuissance.

• Mais par sa capacité rationalisatrice, le paradigme entretient la possibilité de penser l’action et dans une certaine mesure [...] de réaliser une coordination effective de l’action. » (Ibid.)

Nous constatons donc que le paradigme constitue un élément clé dans le maintien de l’alignement entre les aspects culturels et les stratégies de l’entreprise (Cf. chapitre 2)

Cependant, afin de bien comprendre les mécanismes de cadrage et donc appréhender le pilotage par la vision d’une organisation, il nous faut cependant examiner plus avant la façon dont cette cohérence est obtenue.

II.21 Mécanismes d’obtention de la cohérence

En suivant Laroche & Nioche (1998) nous pouvons dire que « le paradigme constitue avant tout une mise en ordre du monde de telle sorte que ce monde soit compréhensible, mais il n’en donne pas une représentation détaill ée, systématique, à l’instar d’une carte routière. [... Ou alors,] le paradigme [serait] une carte routière qui n’indiquerait que la route à suivre [...]. N’y figure que les repères importants, les événements du parcours. Le reste est terra incognita. [...] L’itinéraire cohérent [ainsi] tracé [...] permet de rétablir des liens logiques là où règne l’ambiguïté, d’anticiper sur des effets lointains et probablement jamais clairement discernables. » (Ibid.) Ainsi, la cohérence obtenue n’est pas une cohérence absolue. Elle est surtout le fruit d’une réduction de l’éventail des possibles.

II.22 Le paradigme organisationnel comme expression d’un pôle dominant

L’étude des travaux portant sur le paradigme renforce notre confiance dans le modèle interprétatif dominant.

En effet, Johnson (1988) souligne que le paradigme stratégique est loin d’être effectivement partagé par tous les membres de l’organisation. En effet, il n’est pas le fruit de la collectivité organisationnelle, mais reflète la répartition du pouvoir au sein de l’organisation. Pour Laroche & Nioche (1998) il est même bien souvent l’expression d’un pôle dominant :

« La représentation du monde dont le paradigme est porteur n’est pas neutre par rapport aux acteurs qui peuplent ce monde : [...] il consacre [...] un groupe dominant [...] Le paradigme définit une manière politiquement correcte d’agir [... même si] celle -ci n’apparaît pas au grand jour. [...] Il constitue un système de légitimation dans la mesure où il donne aux dominants une base apparemment objective pour asseoir leur pouvoir. Comme une idéologie il a une fonction de « voilement » : il masque le jeu des passions et des intérêts. » (1998:353)

Ainsi, Mangin (1995) observe que « si le paradigme structure effectivement le comportement de la plupart des membres de l’organisation, [c’est souvent] parce que [sa] mobilisation passive [...] constitue souvent une stratégie de survie économique et sûre. » Les acteurs agissent ainsi en cohérence avec les observations faites par Bourricaud (1985) qui constatent « [qu’il] y a une différence entre la préférence pour une idéologie, l’adhésion intellectuelle à celle -ci et le comportement dans la réalité sociale »

« [Cependant,] si le paradigme sert les dirigeants en constituant un instrument de contrôle, (au sens le plus général du terme) et en légitimant leur action, le modèle suggère que ceux-ci en sont largement dépendants sinon prisonniers. » (Laroche & Nioche, 1998) En effet, comme le souligne Laroche (1991) : « [Cette...] structure cognitive centrale [...] échappe à leur contrôle, [car] il ne s’agit pas d’outils intellectuels, mais d’une manière de penser et peut être même d’une manière d’être. » L’influence du paradigme va ainsi s’exercer également sur eux.

Le paradigme peut donc être considéré comme « une arme à double tranchant » : outil de cadrage de l’action collective, il agit également sur les perceptions des dirigeants en les orientant et en les limitant. Cette constatation induit un certain nombre de limites au concept.

III. Les limites de l’approche cognitive et paradigmatique de