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Chapitre 1 : Entrepreneur et leadership : les origines de la vision

V. Des conclusions parfois abusives

Si ces travaux ont le mérite de souligner le rôle primordial du dirigeant d’entreprise dans la définition de la vision, les conclusions de cette école sont par trop abusives. Les critiques adressées à cette école sont principalement de trois ordres : une critique immédiate et

deux critiques plus fondamentales. Nous détaillerons chacune de ces critiques dans les pages suivantes.

• la critique la plus immédiate porte sur le simplisme de la prescription centrale de cette école ;

Mais, de manière plus fondamentale et à la lumière des derniers développements de l’approche cognitive (Laroche & Nioche, 1994), nous pouvons adresser 2 critiques importantes à l’égard de l’école entrepreneuriale :

• En intronisant le seul dirigeant comme stratège de l’entreprise, cette école expose la formation de la stratégie à un certain nombre de biais cognitifs dus au caractère forcément partiel des perceptions individuelles ; Introduire une dimension collective dans l’élaboration de cette vision apparaît donc comme un moyen pour réduire ces biais.

• D’autre part, il apparaît justement que le modèle de la décision sous -jacent à cette école est dépassé : l’entreprise est une collectivit é et en ce sens, la théorie se doit de rendre compte de cette réalité et de dépasser la simple perspective top-down.

V.1 Une prescription centrale simpliste

La prescription centrale de cette école apparaît comme trop simpliste. Pour qu’une entreprise soit performante, elle doit posséder un leader visionnaire à sa tête. Et le mythe du gourou de refaire surface, car Quid alors des organisations sans leader charismatiques ? Sont elles condamnées à végéter ? « L’imagination créatrice et le pouvoir charismatique des « entrepreneurs nés », des leaders, leur ont permis et leur permettront toujours d’atteindre un tel résultat. Mais qu’en est -il des autres, les plus nombreux, qui gèrent leurs entreprises au mieux ou ceux qui, en dépit de l’efficacité de leur gestion, so nt confrontés au problème du choix d’une stratégie de renouveau ? » (Greffeuille, 1994) L’école entrepreneuriale ne fournit ici aucune aide.

V.2 Individualisation de la vision et risque de biais cognitifs

Par ailleurs, et quand bien même le dirigeant de l’entr eprise serait visionnaire, cela ne garantit en rien la pertinence de sa vision. Une personne seule peut-elle se forger une vision réellement claire de l’avenir ? Nous serions tentés de répondre par la négative. Laisser à une seule personne le soin de définir la vision pour toute l’organisation présente des risques.

La complexité de l’environnement actuel conduit à une augmentation du nombre de paramètres à prendre en compte. Or, les capacités mentales d’un individu, sont limitées (Simon & March, 1962). Le cadre mental du dirigeant sera donc forcément partiel, même en tenant compte de la grande expérience de son métier qu’il peut acquérir. La littérature économique a d’ailleurs produit de nombreux travaux sur les biais cognitifs des individus (Ancori, 1993) Dès lors, rien ne garantit que les éléments qu’il omet ne sont pas primordiaux pour l’avenir de son entreprise. Ainsi, Kiesler & Sproull (1982) montrent par exemple, que la perception du changement est très problématique, pour les managers qui ont tendance à favoriser l’information déjà acquise et à minimiser si ce n’est ignorer les signes de bouleversements imminents.

Ce risque est d’autant plus important que nous avons vu plus haut que le dirigeant est prompt à lier ensemble des éléments disparates et à généraliser à partir d’un petit nombre de cas (Mintzberg & Westley, 1989). Or, comme le souligne Lesca & Caron (1995) : « ce regroupement est subjectif. Il se fait [...] compte tenu des préoccupations majeures de l’individu. » Ce faisant, il ne porte pas attention aux autres signaux. Or ceux-ci peuvent être primordiaux pour le futur de l’organisation.

Il existe donc un véritable risque de biais cognitif lié aux schémas mentaux du dirigeant (Schwenk, 1984 ; Barr & al., 1992). Laroche (1991) distingue même 7 types de biais cognitifs possibles (Cf. Encadré 4 p.43)

« Il est [donc] difficile de produire des stratégies créatives lorsque la formulation de la stratégie est du ressort de la seule élite, car celle-ci ne constitue qu’un faible pourcentage des acteurs de l’entreprise et est trop homogène : elle ne représente pas assez de cerveaux, pas assez de points de vue différents, pas assez de connaissances et de compétences différentes. » (Avenier, 1996) Ces risques peuvent être atténués si le regroupement est le fruit d’un travail collectif. (Lesca & Caron, 1995)12

De plus, comme le souligne Nanus (1992) « si l’on reste isolé et si l’on présente une vision [toute faite] à l’organisation [...] on ne récolt era que scepticisme et résistance. [...] De plus on apprend toujours des collègues et des autres [...] de ce qui est considéré comme

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Si le recours à une élaboration collective est préférable, il pose toutefois également des contraintes en terme de gestion et de synthèse de l’information. Ces problèmes sont notamment abordés par la li ttérature sur la veille stratégique (Voir Lesca & Caron, 1995 par exemple) qui propose des outils pour gérer un système d’information collectif.

acceptable ou attractif pour les stakeholders. [...] Il existe peut être déjà d’excellentes visions au sein des profondeurs de l’organisation. Pour cela, on peut par exemple interroger [...] ou mettre sur pied une task-force chargé de l’élaboration de la vision. » (1992:167)

Ainsi, dans le nouveau contexte fait d’incertitudes et de complexité, le dirigeant ne sait pas tout La vision peut donc gagner en pertinence si son élaboration se fait - au moins en partie - de manière collective. Une pluralité de points de vue, étant un moyen de diminuer le risque d’omission d’éléments et donc de biais cognitifs.

« [Cependant], on s’aperço it vite que les biais cognitifs sont innombrables, que leur liste n’est jamais close. [...] Si en plus on accepte d’inclure les biais liés aux émotions [...] alors l’approche en terme de biais se perd dans des amendements sans fin. Cela amène logiquement à mettre en doute l’intérêt de maintenir ce modèle rationnel comme référence pour la décision stratégique. » (Laroche & Nioche, 1994)

V.3 Un modèle de la décision dépassé

A partir des éléments du paragraphe précédent nous sommes logiquement amené à constater que, le modèle de la décision sous-jacent à ces interprétations de la vision est largement faux. L’interprétation qui est fait de la construction de la vision, la représentation de la décision stratégique et plus largement de la nature de l’entreprise est dépassée. Dans leur grande majorité, les tenants du leadership raisonnent sur un modèle de la décision et de l’action stratégique encore très empreint d’une perspective délibérée et top -down. Or on ne peut ni amalgamer l’entreprise et son dirigeant, ni réduire le processus stratégique à une succession de décisions et d’actions clairement identifiées et déconnectées.