• Aucun résultat trouvé

La vision comme premier palliatif à la dérive stratégique

représentation collective

III. Les limites de l’approche cognitive et paradigmatique de l’organisation

III.2 La vision comme premier palliatif à la dérive stratégique

Lier vision (au sens strict de représentation du futur) et paradigme organisationnel permet à notre sens de pallier cette faiblesse majeure de l’approche paradigmatique. Dans une organisation où coexistent vision et paradigme, l’incrémentalisme est un incrémentalisme logique.

En effet, l’incrémentalisme en vigueur au sein du paradigme pris seul, s’il n’est pas disjoint (Lindblom, 1959)42 n’est pas pour autant logique. (Laroche & Nioche, 1998) Comme le note Johnson (1988), « l’incrémentalisme logique suppose qu’il existe une

tension entre les stimuli environnementaux et ‘la manière dont nous faisons les choses ici’ ». Or, - nous l’avons vu - l’influence du paradigme sur l’organisation, diminue l’acuité des perceptions du manager et focalise davantage ses pratiques sur la répétition plutôt que sur l’apprentissage de nouve lles pratiques. Ils sont eux-mêmes prisonniers du paradigme et perdent peu à peu leur influence et leur capacité d’orientation de l’entreprise.

Comme le constate Johnson (1988) lui-même à la fin de son article :

« [Pour éviter ce phénomène,] il doit exister une tension constructive entre ce qui doit être préservé et ce qui doit être changé. Une tension par exemple entre le besoin des managers [...] de challenger l’organisation et les valeurs fondamentales [...] de l’entreprise, entre la nécessite de définir une nouvelle direction et de préserver le « core business » » (1988:88)

Cette tension se rapproche de la notion de tension créatrice telle que nous l’avons développée dans le chapitre précédent. (Cf. Chapitre 2 p.4)

Ainsi, si le paradigme organisationnel se charge d’encadrer l’action organisationnelle, la vision fournit à l’entreprise un but précis vers lequel se diriger. Les deux notions sont dès lors complémentaires : l’approche par la vision s’oriente résolument vers le futur, alors que le paradigme est un élément largement centré sur le présent et la répétition des pratiques et actions passées.

L’impulsion initiale donné dans le cadre d’un processus visionnaire de pilotage est alors à la fois plus et moins qu’une solution. « Plus parce qu’elle est le g este qui crée une séparation entre un avant et un après, l’acte qui exprime une insatisfaction et une volonté de changer. Moins qu’une solution parce qu’elle s’accommode d’un manque de contenu, qu’il appartiendra aux [...] opérationnels de combler [encadré s par le paradigme organisationnel] » (Koenig & Thiétart, 1995)

IV. Résumé et conclusion du chapitre 3

42

La logique n’est en effet pas séquentielle : en fournissant sens et cohérence le paradigme fournit une sorte de « logique naturelle » (Hall, 1984) voire une « logique dominante » (Prahalad & Bettis, 1986)

Après avoir constaté à la fin du chapitre précédent que mettre en place un processus visionnaire de pilotage de l’entreprise équivalait à faire émerger et/ou à construire une représentation collective de son fonctionnement et des buts qu’elle s’efforçait d’atteindre, nous avons au cours de ce chapitre développé cet aspect de la vision comme représentation sociale.

Nous en avons conclu que la vision encadrait l’action de l’entreprise en agissant sur les perceptions de ses membres.

Par ailleurs, la vision joue ainsi fondamentalement quatre rôles (Cf. p.79) au sein de l’organisation :

• constituer un savoir commun ;

• orienter les conduites et les comportements ;

• constituer et renforcer l’identité ;

• justifier les comportements et les prises de positions ;

Mais ces travaux mettent également en avant la nature de la vision comme reflet de la structure de pouvoir au sein de l’entreprise : si elle est le fruit des interactions entre individus, elle reste largement influencée par un groupe dominant qu’elle met d’ailleurs en exergue. La vision institue ainsi une manière d’agir « politiquement correcte » voilant les jeux de pouvoirs et constitue un système de légitimation au service de la coalition dominante. Le management revêt alors une dimension symbolique.

L’approche socio -cognitive souligne également la composition duale de la vision : des éléments périphériques spécifiques à chaque individu et permettant l’adaptation au contexte particulier dans lequel chacun se situe gravitant autour d’un noyau commun. Dès lors, dire qu’une vision est partagée ne signifie pas qu’il existe une représentation collective autonome des représentations individuelles, mais uniquement que les représentations individuelles sont structurées autour du même noyau.

Enfin, appréhender les éléments culturels de notre processus visionnaire en tant que paradigme organisationnel (ou stratégique) défini comme « l’ensemble des croya nces, suppositions tenues pour relativement connues dans l’organisation, acceptées comme vraies par celle-ci et discernables dans les histoires et les explications des managers » nous a permis de souligner leur rôle dans le cadrage de l’action de l’entrepr ise et dans la génération de cohérence et de stabilité en réduisant l’éventail des possibles.

Mais nous avons également mis en lumière les dangers de dérive stratégique qui pouvait découler de la présence du paradigme stratégique seul. A contrario, son couplage, avec une vision stratégique orientée vers le futur permet un rééquilibrage de l’attention de l’entreprise et donc l’évitement de la déconnexion de celle -ci d’avec son environnement.

Ainsi, le pilotage par la vision permet de dépasser la simple opposition entre stratégie délibérée et stratégie émergente, et d’articuler ces 2 notions. En effet, la vision « est bien [porteuse] d’une volonté stratégique, d’un projet. [...] et donc vecteur d’une stratégie délibérée. Et dans le même temps, le paradigme est l’outil d’une reproduction stratégique qui échappe au contrôle direct des dirigeants parce qu’il oriente et initie l’action indépendamment de l’impulsion explicite des dirigeants. » (Laroche & Nioche, 1994)

Toutefois, le paradigme seul n’est pas forcémen t suffisant pour générer de l’action au sein de l’entreprise. Celui -ci reste en effet souvent centré sur la reproduction des actions existantes, et si la vision permet une certaine ouverture vers l’environnement, celle -ci n’est pas toujours suffisante pour maintenir un degré de néguentropie suffisant à la progression voire à la survie de l’entreprise. La mise en place de dispositifs supplémentaires permettant à l’entreprise de rester ouverte sur son environnement peut donc s’avérer nécessaire. En intégrant les apports de travaux s’intéressant à la complexité, le chapitre quatre permettra d’approfondir cet aspect et de proposer un certain nombre de mécanismes générateurs de diversité permettant de compenser l’effet négatif du paradigme.

Chapitre 4 : Vision stratégique et