• Aucun résultat trouvé

Pilotage et diversité : quelques critiques

représentation collective

Chapitre 4 : Vision stratégique et diversité

III. Pilotage et diversité : quelques critiques

La littérature abordée dans ce chapitre traite de la diversité à deux niveaux différents. D’un côté, nous trouvons une littérature qui traite du sujet à un niveau global et conceptuel (Stacey, 1995 ; Brown & Eisenhardt, 1998 ; Thiétart & Forgues, 1993 ; Koenig & Thiétart,

1995 ; etc.). Celle-ci offre un cadre séduisant, qui semble a priori pertinent et qui ancre bien la gestion de la diversité dans le pilotage de l’entreprise. Toutefois, cette littérature est loin d’être toujo urs fondée empiriquement, ce qui pose le problème de la légitimité de ses conclusions. Ainsi, comment définir pratiquement dans une organisation ce qu’est un fonctionnement au bord du chaos ? Comment savoir si l’organisation a atteint un niveau de diversité cognitive suffisante ? Etc. Cette littérature ne donne pas de piste précise pour réponde à ces questions.

Pour tenter de fournir un début de réponse à ces interrogations, nous avons examiné un autre type de littérature qui, à l’inverse se veut beaucoup p lus pratique et fourni des outils beaucoup plus opérationnels pour gérer la diversité. Ce sont par exemple les recommandations de Collins & Porras (1996b) sur la gestion des ressources humaines, celle de Koenig (1996) sur la mise en place de réseau, de forums ou les recommandations d’Alter (1995) en matière d’innovation et de déviance, etc. Ce type de littérature peut nous aider pour recenser les différents mécanismes susceptibles d’aider l’entreprise à instiller un certain degré de diversité en son sein. Elle peut ainsi nous servir de « grille de pointage » pour notre étude empirique. Toutefois, cette partie de la littérature ne se rattache pas toujours explicitement au pilotage global de l’entreprise.

Ainsi le lien entre ces deux types de littérature, l’un e très conceptuel, l’autre très pratique est pour l’instant relativement peu fondé empiriquement. Notre travail empirique, présenté dans la suite de la thèse devrait nous permettre de déterminer la pertinence de la gestion de la diversité au niveau du pilotage global. Si cette pertinence est confirmée, notre étude de terrain devrait en outre nous permettre de porter un regard critique sur ces différents dispositifs pour tenter de déterminer notamment leurs avantages et inconvénients respectifs et voir lesquels sont les plus utilisés.

Une seconde interrogation concerne la conceptualisation du pilotage par la vision. La conduite de l’entreprise telle qu’elle ressort de ce chapitre 4, ne constitue pas à nos yeux une construction exempte de faiblesses. Certes, la cohérence interne est relativement importante. La gestion de la diversité s’insère assez logiquement dans notre conceptualisation du pilotage et répond d’une manière a priori adéquate aux critiques formulées à l’encontre de la littérature examinée au chapitre 3, mais cela ne préjuge en rien de la validité de notre modélisation. En intégrant toutes ces notions (paradigme, valeurs fondamentales, culture, apprentissage, pour ne citer que les principales) notre construction n’est-t-elle pas devenue une sorte de fourre-tout dont la réalité sur le terrain n’est pas assurée ? Les entreprises utilisent-elles

le pilotage par la vision tel que nous l’avons défini avec tous ses éléments liés entre eux ou se basent-elles uniquement sur une partie de notre conceptualisation (le paradigme par exemple) ? La partie empirique de notre recherche dont nous rendons compte dans la suite du présent travail devrait nous fournir des réponses à ces interrogations.

IV. Résumé et conclusion du chapitre 4

Si l’on suit les conclusions des travaux s’intéressant à la complexité, il apparaît que pour faire face au risque de déconnexion de l’entreprise d’avec son environnement, l’organisation gagne à passer d’un fonctionnement centré sur la stabilité à un fonctionnement centré sur l’équilibre i nstable à la « frontière du chaos ».

Dans ce cadre, afin de favoriser les interactions avec l’environnement, les entreprises doivent créer intentionnellement une diversité interne (ou désordre) afin de répondre aux différentes demandes externes. Elles vont de ce fait même être génératrice de chaos. (Thiétart & Forgues, 1993)

La recherche propose un certain nombre de pistes pour faire naître cette diversité : remettre en cause les représentations, les comportements, les pratiques ou les produits que les organisations offrent ; mettre en place des dispositifs destinés à favoriser l’expérimentation et la prise de risque ; encourager la coopération et le partage de l’information par la mise en réseau de l’organisation.

Par delà ce recensement, nous pourrions reprendre les propos de Collins & Porras (1996b). Ils résument bien à notre sens l’esprit des travaux présentés ici :

« Comme les grands artistes ou les inventeurs, les entreprises prospèrent dans le mécontentement. Elles comprennent que la satisfaction mène à la complaisance, ce qui entraîne inévitablement le déclin. [Pour cela,] elles installent des mécanismes puissants pour créer l’inconfort, pour éradiquer la complaisance et stimuler le changement et l’amélioration. » (1996b:257) Cependant, il nous faut souligner, comme le constatent Koenig & Thiétart (1995) que la complexité du système est réelle :

« La maîtrise [du système] n’est et ne sera jamais acquise. Les organisations mécaniques peuvent aspirer à une relative stabilité. En revanche, les organisations complexes doivent vivre une stabilité

changeante ponctuée d’une succession d’équilibres sur l’étroite frontière entre ordre et chaos. Ces organisations ont besoin de rationalité, de certitude, de stabilité afin de pouvoir agir en tant qu’entités finalisées. Elles ont également besoin d’instabilité et d’expérimentations afin d’explorer maintenant les réponses à apporter aux demandes futures qu’elles ne peuvent anticiper. Leur équilibre dynamique est constamment menacé d’effondrement Trop d’initiatives divergentes et contradictoires et c’est l’éclatement ; trop d’encadrement et de structure et cela devient un carcan. La route est étroite entre les tenants de l’ordre et ceux du changement. » (1995:82)

Cette voie est d’autant plus étroite que comme le remarqua ient déjà Cyert & March (1963), il est difficile pour une organisation d’allouer assez de ressources pour chercher de nouvelles opportunités dans son environnement tant les réponses défensives à des problèmes nouvellement reconnus consomment de ressources.

Le désordre, s’il est inhérent à la nature dynamique des organisations est également le fruit de la volonté délibérée des acteurs. (Thiétart & Forgues, 1993) Ainsi, « de formulateurs de la stratégie, [...] d’architectes de la structure formelle [de l’orga nisation], les dirigeants [sont devenus ...] les développeurs de processus organisationnels qui capturent l’initiative individuelle de façon à ce qu’elle serve la compétitivité de long terme de l’entreprise. » (Bartlett & Ghoshal, 1993)

Suivant les points évoqués dans ce chapitre, nous pouvons donc modifier notre représentation du processus visionnaire de pilotage de l’entreprise pour y intégrer ces mécanismes. (Cf. Figure 6 p.110) En reprenant le schéma présenté à la fin du chapitre 2, nous pouvons les représenter de la façon suivante. Une double flèche transversale figure les mécanismes de coopération nécessaires au maintien de la diversité, tandis qu’une flèche verticale symbolise les dispositifs censés favoriser l’expérimentation, l’innovation, et l’émergence de solutions alternatives.

A la suite de March (1991) Koenig (1996a) note : « Toute organisation qui vit dans un environnement perturbé voit son avenir conditionné par son attitude à exploiter convenablement la situation du moment et par sa capacité d’adaptation aux variations. Si elle veut vivre longtemps, toute organisation doit donc satisfaire deux exigences contradictoires : être constamment adaptée et savoir s’adapter de façon répétée. ».

Nous pouvons donc conclure en disant que l’organisation doit sans cesse arbitrer entre affinage du paradigme existant et introduction d’un certain degré de diversité. Piloter

Figure 6 Représentation du processus visionnaire de pilotage incluant des dispositifs de maintien de la diversité

l’organisation revient alors à gérer, en plus de la tension entre présent et futur, une autre tension : celle entre nature et identité de l’organisation d’une part et diversité et changement d’autre part.

Notre étude de terrain devrait nous permettre de juger de la pertinence de cette conceptualisation.